A l'ère du tout numérique, il est logique de voir débarquer en force un concept de distribution de notre passe-temps favori déjà adopté par d'autres médias, notamment la musique : la dématérialisation.

Kesako? Et bien, c'est le fait de se passer du support physique du jeu (la galette que vous achetez en magasin) pour le distribuer directement en version numérique, via ce qu'on appellera une plate-forme de distribution hébergée sur Internet. Pour illustrer un peu, là où les fans de musique achètent directement leur titre préféré sur l'AppleStore, pour ne citer que lui, les PCistes téléchargent leur jeu sur une plate-forme telle que Steam, et les consoleux passent par le XBLA (XBox Live Arcade), le PSN (PlayStation Network) ou le WiiWare/Console Virtuelle.

Depuis l'explosion du marché dématérialisé en 2009 nous avons vu fleurir pléthore de « petits » jeux sur les plates-formes de téléchargement en ligne (petit non pour leur contenu mais pour leur prix). Véritable retour vers le futur, des développeurs novices ou déjà chevronnés ont pu retourner dans leurs garages seuls ou avec quelques amis (à une époque ou les plus grosses productions embauchent des centaines d'employés) et développer des titres pour une poignée de dollars. Car il faut le rappeler, les circuits de distribution classique intègrent toute une chaine d'acteurs qui, de l'éditeur au revendeur, prennent tous leurs part sur le prix du produit. Ainsi les développeurs ne touchent qu'environ 10% du prix de vente de leurs jeux, là ou cette part peut aisément monter à 60 ou 70% via une distribution sur Steam (PC) ou sur l'Application Store (iPhone ou iPad). Des finances plus facilement assurés, qui permettent de continuer à développer des projets.

Maintenant que les présentations sont faites, il est temps de poser la question fondamentale : concrètement, ça change quoi? Il est difficile pour le moment d'établir un bilan définitif en ce qui concerne ce modèle de distribution. Ses défenseurs sont aussi nombreux que ses détracteurs, et l'explosion de son succès (on pense notamment aux DLCs, DownLoadable Content, ou Contenu téléchargeable pour les anglophobes) laisse penser que la dématérialisation et la distribution numérique va petit à petit gagner du terrain, voire même devenir la norme dans le domaine du jeu vidéo. Commençons donc par les points qui divisent l'opinion.

Depuis l'apparition des consoles dites Next-Gen (qui finiront has been comme les autres!), les DLCs, les fameux contenus supplémentaires, payants ou non, qui font le bonheur des éditeurs, et parfois des joueurs, se sont multipliés, devenant même un passage obligé pour la quasi-totalité des jeux. En revanche, on constate que les véritables Add-ons, ou extensions, vendues en version boîtes sont devenus une espèce en voie de disparition, s'il n'est pas déjà trop tard. Alors, progression ou régression? Nombreux sont ceux qui regrettent le modèle des Add-ons, qui sont a priori plus fournis en contenu, et qui ressemblent plus à des vrais jeux, c'est à dire des jeux complets vendus en boîte. En revanche, les DLCs, qui peuvent paraître moins complets, sont en règle générale moins onéreux que leurs homologues sur galette.

Vous aurez remarqué l'emploi abusif du conditionnel... En effet, la vraie question n'est pas qui est le plus complet, le moins cher, ou autre, mais de savoir si, oui ou non, le développeur se fout de notre gueule en nous sortant du « nouveau contenu » un mois à peine après la sortie de son jeu. Et, soit dit en passant, la question était la même pour les Add-ons. C'est donc malheureusement au cas par cas qu'il faut répondre à la question « pour ou contre les DLCs ». Ainsi, des titres comme GTA IV, de Rockstar, s'est vu prolongé d'un excellent Episodes from Liberty City, tandis que Borderlands de chez 2K Games, hérite de DLCs très inégaux : The Zombie Island of Dr.Ned, considéré comme meilleur que le jeu de base, et à coté l'Underdome de Mad Moxxi, perçu comme une vulgaire pompe à fric. Et que dire des maps packs de Modern Warfare 2, vendus 15 € dans le meilleur des cas, et proposant 5 maps, dont deux repêchées du précédent opus? Si le filon est pour l'instant largement exploité, il est donc toujours permis d'espérer de voir régulièrement des extensions de qualité. Quant à ceux qui ragent en apprenant que tel ou tel contenu est prévu avant même la sortie du jeu, sachez que les équipes de développement sont réparties en plusieurs groupes. Quand le travail artistique est terminé, plutôt que de renvoyer chez eux ces personnes en attendant la finalisation du produit, pourquoi ne pas tout de suite les faire travailler sur du nouveau contenu? Attention en revanche à ne pas pousser le vice jusqu'à intégrer le dit contenu sur le DVD, pour le débloquer par la suite par une clé d'activation à 15 €. Vous ne voyez pas de qui je parle?

Mais je m'étale. Cette question des DLCs n'est que la partie visible de l'iceberg, et le sujet de la dématérialisation englobe bien d'autres problèmes. Car bien plus que les simples extensions, ce sont maintenant les jeux complets qui tendent à être proposés en version tout numérique via les plate-formes de téléchargement dont nous parlions plus tôt. Et là intervient la sempiternelle influence du Dieu Dollar, car c'est bien autour de cela que tout va tourner. Je m'explique. Dématérialisation signifie absence de support physique (DVD, Blu-Ray...), absence de boîtier, de notice... Bref, de matière quoi! Donc moins de frais de packaging. De plus, cela signifie également squeez d'une partie du circuit de distribution traditionnel : livraison, revendeur, etc... Donc moins de frais de ce côté là aussi.

On pourrait donc penser que les prix pratiqués seraient amenés à baisser de manière drastique, mais il n'en est rien. Vous souvenez-vous du passage de la cartouche au CD ? Une bien belle époque ou d'aucuns ont pu entendre de bien belles promesses, comme une baisse de prix engendré par un support moins onéreux. Nous n'en avons pas vu la couleur de cette baisse de prix. Ça ne vous rappelle rien ? Effectivement au jour d'aujourd'hui les jeux vendus à la fois dans le commerce classique et en dématérialisé sont au même tarif (voire plus cher), et nous doutons fort que cela change dans le futur...Alors, quelle différence, me direz-vous? Et bien la différence, c'est que les développeurs vont enfin pouvoir récolter les fruits de leur labeur! En supprimant les intermédiaires, une plus grosse partie des bénéfices des ventes arrive directement dans la poche du studio de développement. C'est ce qui permet l'émergence de ces petites perles que sont 'Splosion Man, Braid ou World of Goo, qui, sans la distribution numérique, n'auraient probablement jamais vu le jour. Et surtout, cela encourage leurs auteurs à continuer leur travail, et à nous proposer, on l'espère, d'autres jeux de cette trempe! Pour les gros studios, de la même manière, cette solution pourrait leur permettre de réinvestir plus d'argent dans la conception de leurs jeux, et peut-être un peu moins dans la com'...

Gain de temps, les plates-formes de téléchargement en ligne sont aussi synonymes d'un accès immédiat à tout un catalogue de jeux. Le joueur peut en rien de temps accéder au jeu sur lequel il aura porté son dévolu, l'essayer via sa version de démonstration et continuer sa partie à la fin de celle-ci en l'achetant dans la foulée. Avec ses produits nomades Apple apporte même une nouvelle dimension à cette facilité d'accès : il est en effet possible grâce au réseau 3G de se procurer de nouveaux jeux n'importe où et n'importe quand (sauf peut-être en pleine forêt amazonienne ou dans le salon de K.W) !

D'autre part jeu dématérialisé signifie aussi jeux stockés sur un disque dur (ou mémoire flash le cas échéant), à savoir transporter toute votre ludothèque en permanence avec vous sur des consoles portables et y avoir accès en une pression sur le bouton / la souris dans votre salon. Bonne nouvelle tout le monde, vous n'aurez bientôt plus à faire le moindre effort et pourrez vous nourrir exclusivement de junk food jusqu'à votre prochain passage en salle de fitness !

Qui dit télécharger son jeu sur une plate-forme dédié dit aussi être dépendant des conditions d'usage de ladite plate-forme. Les jeux que nous possédons aujourd'hui en supports physique sont à notre entière disposition ; libre à nous de les prêter à nos proches ou de les revendre. L'achat d'un logiciel dématérialisé, pour le même prix mais nous y reviendrons, ne nous permet pas autant de libertés. Ainsi il ne s'agit en réalité que d'une licence vous permettant de télécharger le jeu que vous avez acheté, licence vous autorisant à le télécharger un nombre de fois limités selon les systèmes. Gare à ne pas changer de disque dur ou de console... Cette licence est par ailleurs attaché à votre compte, il est donc impossible de la prêter, la donner ou la vendre. Notons toutefois que ce constat ne s'applique pas dans tous les cas et certains jeux dématérialisés nous sont vendu avec libre accès et même sans DRM (système de protection anti-piratage qui frustre plus l'honnête acheteur que le pirate), mais cela n'est malheureusement que très peu courant.

Collectionneur: « Pas cool! J'ai plus ma boîte de jeu de la mort qu'est trop belle! »
Consommateur: « Oué, mais tu vois, trois clics et tu peux jouer, plus b'soin de bouger ton c** de ton fauteuil! Trop biiieeen!! »
Parano: « Ouais, mais pas cool! Tout est sur mon disque dur! Si ça flashe, je fais quoi?! »
Le Gameurz: « No panic les enfants! Pour les collectionneurs et les amoureux des nids à poussière, pas d'inquiétude : quand on voit que chaque jeu se pare de son édition collector, avec moult goodies, artbooks et tout ce qui rend le fan heureux, la tendance n'est visiblement pas prête de s'inverser! Pour les craintifs ou ceux qui ne prenne pas soin de leur matos (mais ces derniers sont-ils vraiment des joueurs?), tous vos téléchargements (à condition qu'ils soient légaux bien sûr) sont archivés dans la base de données de la plate-forme qui vous l'a vendu. Ainsi, si votre machine craque, vous conservez vos droits sur le produit que vous avez acheté, et n'avez qu'à le re-télécharger (dans la limite imposée par le système, rappelons le tout de même). Bien sûr, vous devrez racheter la console ou le PC, mais c'est aussi le cas avec un jeu sur support physique. »

Le tout dématérialisé arrivera-t-il un jour ? Chacun y va de sa prédiction, mais ce qui est sur c'est que si cela arrive nous pouvons dire au revoir à nos belles collection de boîtes. Sauf peut-être si les revendeurs actuels se reconvertissent intelligemment et nous propose toujours des versions « plus mieux » de nos jeux favoris. Il n'est en effet pas exclu de voir des packages avec un code nous permettant de télécharger notre jeu en ligne ainsi que divers beaux objets (bande-son, livre d'illustrations ou d'analyse, figurines, etc.). Bref, vous l'aurez compris, là, c'est question de goût. L'un préfère les boîtes, l'autre s'en bat le coquillard, et tout ce que vous risquez de perdre en cas de casse matérielle, ce sont vos sauvegardes. Y a plus grave dans la vie (comme se faire arnaquer en achetant un DLC miteux à 15 boules xD).

S'il est indéniablement satisfaisant de pouvoir zieuter sa belle ludothèque remplis de versions ultra-méga-collector-de-la-mort-qui-tue (ce n'est pas Tétris qui le contredira), aimer et conserver ses jeux c'est aussi leur allouer de la place sur vos étagères. Le dématérialisé apporte en cela une solution puisque qu'en lieu et place de centaines de boitiers couverts de poussière vous n'aurez bientôt plus que quelques disques dur (NdTétris : Ô rage, Ô désespoir !).

La dématérialisation a donc la belle vie. Mais peut-on sérieusement envisager une distribution tout numérique d'ici quelques années? Et bien tout est possible. Un des scénarios envisagé serait de ne plus vendre sur support physique que les versions collector susmentionnées, et tout le reste en numérique, mais ça n'est pas pour tout de suite. En voyant le succès de plate-formes telles que Steam, qui représente maintenant 25% du chiffre d'affaire de Valve, on peut supposer sans trop se mouiller que ce modèle de distribution a de beaux jours devant lui.

De plus, d'autres concepts émergent, et l'engouement suscité par des systèmes comme OnLive ou Gakai qui viennent réanimer la chimère de la console unique, que l'on croyait morte et enterrée, posent leur lot d'interrogations. Pour info, OnLive proposera d'ici peu (mi-juin au pays d'Uncle Sam) un service d'abonnement permettant de jouer aux jeux les plus récents, et aux autres, sans même passer par la case téléchargement. Tout est hébergé sur les serveurs de OnLive, les calculs ne sont plus effectués par votre machine, mais par leurs monstres dignes du matos de la NASA, ce qui signifie que tout un chacun pourra en théorie (gardons tout de même quelques réserves!) jouer dans les meilleures conditions, avec les meilleurs graphismes, quelle que soit la puissance de leur bécane. C'est ce qu'on appelle le cloud-computing. La seule limite, c'est la bande passante dont vous disposez, et la distance à laquelle vous vous trouvez de leur relais de transmission. A suivre donc, et même de très près. L'avenir nous dira si c'est un modèle viable, qui signera l'arrêt de mort des fabricants de hardware, ou bien un service réservé à une poignée de privilégiés réunissant les conditions pour en profiter.

Article de Garrett & Tétris
Sous la supervision de K.W

Quelques petites infos supplémentaires:
-En France, en 2008, le marché de la dématérialisation représente de 2 à 8% du chiffre d'affaires dans le jeu vidéo (par rapport à la distribution traditionnelle).
-2009, année d'un bond bond phénoménal, énorme avancée de la dématérialisation.
-Le PC est la première plate forme en terme de ventes à utiliser la dématérialisation (Steam).
-La PSP GO mise tout sur la dématérialisation avec l'absence d'un lecteur de jeux physiques.
-Ne diabolisons pas non plus la dématérialisation, elle a permis un second souffle à certains jeux qui n'avaient pas connu le succès escompté. Ainsi Mirror's Edge (un des jeux préférés de K.W) s'est vu offrir un deuxième lancement et donc une deuxième chance; une opportunité impensable avec un circuit de distribution traditionnel. Après des ventes catastrophiques (147 000 unités), Mirror's Edge connut un portage sur Steam. Il lui fallut attendre cependant environ 6 mois pour attendre le million d'unités vendus. Ce n'est pas colossal mais cela a sauvé le titre, et la prise de risque de EA d'avoir développé un jeu aussi novateur et original!