Je discutais avec un amis d'enfance. Bien évidemment, quand on dit ami d'enfance, on pense à un si bon ami que l'on n'a pas perdu contact pendant les études, ou même un ancien camarade de classe que l'on croise dans la rue.

En fait, je ne sais même pas nous sommes toujours amis. Nous ne sommes jamais d'accord sur rien, je n'ai jamais ressenti l'envie de discuter avec lui et je pense que c'est réciproque, et nos dialogues n'ont jamais été instructifs et n'ont fait que renforcer la conviction chez l'un et l'autre qu'il a raison et que l'autre a tort. En fait, plus je discute avec lui, plus je le méprise et le trouve idiot. Pourtant, on ne peut pas dire que nous nous détestons. La preuve en est que nous finissons tout le temps par s'inviter l'un et l'autre. Ou alors, nous nous détestons tellement que nous voulons continuellement prouver à l'autre qu'il a tort, pour gagner une bonne fois pour toutes ce bras de fer intellectuel. Il va aussi sans dire qu'il ne partage ni ne comprend ma passion pour les jeux vidéo.

Bref, je discutais avec lui, quand soudain il y eut un long silence, qu'il rompit non moins soudainement, en lâchant une de ces phrases dont il a le secret :

« Tu sais quel peuple est le plus assimilable à une colonie de fourmis ? »

Et voilà. C'est reparti. Vous comprenez pourquoi je le déteste. Tous les peuples sont comparables à des fourmis, et cette comparaison est toujours fausse. Sa phrase était donc idiote par définition. Je me retins cependant, par « amitié », de lui asséner cette vérité, et le laissai continuer, même si j'avais un pressentiment particulièrement mauvais, car il trouve toujours la chute qui m'énerverai encore plus que le début, ce qu'il fit encore une fois :

« Le Japon ! »

Oh non. Je feignais l'étonnement, même si je savais qu'il ne pouvait dire que ca, car peu d'autres choix de comparés m'auraient autant énervé. Je sais que je vais être très classique, mais même si je n'y suis jamais allé, j'ai une grande estime pour ce pays, notamment à travers sa production culturelle et particulièrement vidéoludique, ce que tout le monde doit ressentir après avoir joué à un FF7 (sauf Marcus) ou avoir lu un Full metal alchemist. Cependant, ce qui devait continuer continua, et le développement ainsi que la facilité avec laquelle je pourrais le contrer me désola d'avoir une telle connaissance depuis si longtemps :

« Je viens de finir « Stupeur et tremblements » d'Amélie Nothomb. Et ben ce livre est incroyable ! Ils sont vraiment fous là-bas ! Tu savais, par exemple, que si tu obéissais à l'ordre d'un supérieur indirect, on pouvait te rétrograder ? Et puis, si tu montais trop vite en grade, tout le monde se liguait contre toi pour te faire virer ? Et puis surtout, la mentalité entière : tu donnes tout à la société, mais quand t'as des soucis, tu te débrouilles tout seul ? »

Tant de choses ont afflué dans ma tête que je suis resté muet quelques secondes. Il me citait probablement directement le livre. Tant d'arguments contraires se bousculaient dans ma tête ! Je décidai de prendre le plus simple :

« - C'est illogique. Tu donnes tout à la société, donc aux autres, mais les autres donnent eux aussi tout à la société, donc aux autres, dont tu fais partie. Donc au final, l'échange est équivalent ! (oui, une petite réminiscence qu'il ne peut pas saisir)

- Non, parce que la société, c'est l'entreprise : tu donnes tout à l'entreprise, et elle ne te rend rien.

- Et tu as appris tout ca en lisant ce livre ?

- Oui.

- Tu es déjà allé au Japon ?

- Non.

- Tu as déjà vu un film japonais ?

- Non.

- Tu as déjà joué à un jeu japonais ?

- Non.

-Tu as déjà lu un livre japonais ?

- Non. Attends, les mangas, ca compte ?

- Ca dépend.

- J'ai lu le premier tome de Dragon ball, et ca me faisait chier.

- D'accord ... Tu as déjà eu un quelconque autre contact avec le Japon ?

- Ma sœur a une Toyota.

- Bon. Est-ce que tu penses qu'en ayant lu un seul livre, autobiographique et donc peu objectif, d'une écrivaine française, sur le Japon, sans en savoir rien de plus dessus, tu peux comparer cette civilisation à une colonie de fourmis qui travaille selon un logique absurde ?

- Euh ... D'un autre côté, tu ne peux pas me prouver le contraire.

Sur ce, la porte de son appartement claqua. J'étais tellement exaspéré par son petit air supérieur, alors qu'il savait que j'avais raison (je le connais bien, il n'est pas assez con pour ne pas l'avoir compris), que je n'arrivais même plus à réfléchir, et je savais que je ne pourrais plus lui opposer d'arguments valables. Bref, il avait réussi son coup. Pourtant, ça m'étonnerait qu'il connaissent mon affinité avec ce pays. Après tout, il n'y connait rien. Mais, maintenant que j'y réfléchis, même si je ne suis absolument pas d'accord avec lui, je ne vois pas d'argument qui pourrait réellement le convaincre. Rejeter la faute sur les américains (et citer les algues d'Amérique) ? Lui démontrer l'absurdité de son raisonnement ? Lui faire découvrir la culture japonaise ? L'emmener au Japon ? Rien ne marcherait. Je continue donc à réfléchir tout en maugréant contre cet infâme imbécile. Je me demande comment je vais le faire chier la prochaine fois.