"L'oeil dans le viseur. Dès la première image de jeu, le joueur voit ce avec quoi il a déjà eu maintes fois l'habitude d'interagir dans un nombre pharaonique d'expériences interactives modernes : un viseur, de sniper. A l'écran, aucune indication, aucun objectif clairement informé, seule la tête d'un homme situé à une poignée de dizaines de mètres de nous, en plein milieu de notre viseur. Rien ne nous presse, rien ne nous est demandé. Mais inéluctablement, le joueur, avide d'interactivité, finira quoi qu'il arrive...par appuyer sur la gâchette, et abattre ce qui sera, alors, devenu sa cible."

Contenant d'une telle scène, pourtant relativement simple, et dont la particularité serait seulement de n'afficher aucune information à l'écran, et de ne faire intervenir au préalable aucun contexte narratif, le jeu vidéo pourrait nous en apprendre beaucoup sur les mystères du comportement humain... Pourquoi, presque naturellement, le joueur lambda presserait la détente ? Par simple curiosité ? Juste histoire de faire avancer le jeu ? Par réflexe ? Hélas, ces dernières hypothèses pourraient s'avérer être vraies, étant donnée la force avec laquelle la ribambelle de jeux violents de cette génération nous ont modelés de la sorte, en nous fixant constamment ce même et seul objectif de jeu : tuer, détruire, anéantir, exterminer.
Mais, il est également possible que notre réaction soit plus complexe...

Prenons l'exemple d'un jeu bac à sable : GTA IV. Je suis presque certain qu'au moins 90% si ce n'est plus, des gens qui ont joué à GTA IV, ont déjà fait acte de cruauté et de violence gratuite, à un moment ou à un autre, durant une phase, dite, de "promenade". Se percher en haut d'un immeuble et sniper les passants, se rapprocher d'une innocente piétonne pour ensuite l'abattre à coup de fusil à pompe à bout portant, et continuer à vider son chargeur sur elle même après son décès, organiser une série d'explosions en plaçant des explosifs dans un bouchon... Toutes ces actions terroristes et témoignant de nos plus vils instincts, dépassent selon moi de beaucoup, le cadre de ce qui n'aurait pu qu'être une curiosité ludique, telle que pourrait l'être celle d'un enfant qui s'amuse à tuer des fourmis ou à torturer un chat. En réalité, tout le plaisir que l'on tire de ce type d'interactivité, provient du fantasmé "passage à l'acte". Aller au delà des limites morales, citoyennes, légales, voire parfois physiques, qui sont fixées par notre réalité, c'est cela qui peut faire naître une très grande excitation chez le joueur, ou même, une très grande jouissance. Passer outre les interdits et les impossibles, ne se laisser dompter par aucune barrière.
Après tout, quel est l'aspect sur lequel se basent le plus souvent les journalistes spécialisés, comme les joueurs, pour considérer si tel ou tel jeu est plus ou moins bon ? La liberté, laissée au joueur. Diable, il faut donc se dire que le jeu suprême, le meilleur jeu de tous les temps, devrait donc ressembler à un simulateur de vie, dans lequel il serait possible de faire tout ce dont quiconque rêve de faire quotidiennement, même sans se l'avouer : insulter les individus qui nous énervent, violer ceux qui nous attirent, tuer ceux qui nous gênent, voler ceux que l'on envie, et n'avoir aucune limite géographique ni temporelle, donc savoir voler, se téléporter, et tant qu'à faire, se rendre invisible et immortel. Voilà le portrait de ce qui serait l'expérience virtuelle la plus ludique qui soit, car elle reflèterait parfaitement nos plus grands fantasmes.
Mais alors dîtes-moi donc pourquoi un développeur de jeu quelconque aurait l'effrayante idée de nous fournir une telle expérience virtuelle certes très ludique; mais aussi horrible, et totalement dénuée de sagesse ?! Un tel jeu ne ferait que conforter notre penchant maléfique ! Il ne ferait qu'encourager un éventuel passage à l'acte dans notre vraie vie ! En quoi est-ce donc bon pour l'esprit, d'assouvir ses pulsions les plus malsaines, même si cela reste virtuel ?

En rien. C'est pourquoi, il faut que les développeurs apprennent à ne plus forcément penser en premier lieu au "ludique", car ce n'est pas ce qui importe le plus. Ce qui importe le plus, c'est que le jeu, à travers le type d'interactivité qu'il nous offre, grandisse notre esprit et fasse évoluer notre façon de penser dans le bon sens, pour que cela se voit matérialisé dans notre vraie vie. Alors bien sûr, je ne veux pas forcément dire par là qu'il faudrait à tout prix supprimer toute once de violence dans les jeux vidéo, et ne faire alors plus que des expériences bêtement pacifistes à la Flower. Néanmoins, je reste persuadé qu'il est fort possible que l'on fasse intervenir la violence d'une autre manière, en la traitant avec plus d'intelligence. Reprenons donc notre phase de jeu voulez-vous...

"Notre avatar avait sans doute un devoir à accomplir. Peut-être était-il un sniper en mission, ou peut-être était-il un fou allié, meurtrier improvisé, qu'importe. En tout cas, la balle venait d'être tirée par le joueur, l'acte était réalisé. L'avatar, à travers le viseur, avait tout juste eu le temps de voir la tête de sa cible se fendre telle une pastèque en une ignoble gerbe de sang, avant de détourner le regard, dégouté et coupable. Le jeu étant à la première personne, le joueur voit à travers les yeux de son avatar, dont les mains sont à présent toutes tremblotantes. On arrive à sentir sa sueur et sa panique. Il perd son sang froid, s'éloigne de son arme et regarde le plafond désespérément en proférant moult jurons. Même s'il eut déjà tué d'autres personnes auparavant, un meurtre ne le laisse jamais indifférent, et une vague de panique et de culpabilité perdure toujours apès l'acte. Le joueur ne peut alors plus faire grand-chose, sa manette vibre au rythme de la pulsation cardiaque et du tremblement de l'avatar, qui est dans tous ses états. Rien n'est jouable, le joueur ne peut qu'admirer, impuissant et avec désarroi, son avatar sombrer doucement dans la folie. L'intéractivité n'a pas forcément sa place à ce moment précis, car là où elle en avait une, c'était juste avant que le coup de feu ne retentisse."

Oui, pour que la violence ait une pertinence dans le jeu vidéo, il faut qu'elle soit confrontée à ce qu'elle engendre. Il faut que ses conséquences dérangent le joueur et aillent l'atteindre au plus profond de son être, en partant de ces pouces qui maintiennent la manette, pour aller jusqu'à sa pensée, et toute son expérience de vie. Tuer des centaines d'individus à la chaîne comme dans un Call of Duty, sans que cela n'ait le moindre impact moral sur notre avatar, il n'y a rien de plus absurde. Certes, cela procure un plaisir de jeu, mais diantre, nous arrivons en 2013. Il est temps que le jeu vidéo mûrisse. Nous joueurs, avons déjà eu notre dose de plaisir de jeu il y a de ça des lustres, nous n'en avons plus besoin. Désormais, on se doit d'être au-dessus de ça. Cessons de jouer aux jeux vidéo juste par plaisir, cela est inutile et contre-productif. Allons de l'avant et réfléchissons notre média en lui léguant une légitimité dans l'absolu. Rendons-le porteur d'un message, quitte à faire l'impasse sur la notion de plaisir telle qu'on aura déjà pu la connaître auparavant.