Régulièrement, l'actualité nous offre le spectacle désolant d'un détraqué ouvrant le feu au hasard et tuant des personnes innocentes. Et régulièrement, deux arguments, tout aussi stupide l'un que l'autre, reviennent comme des réponses simplistes à un problème complexe. Donc, si les gens sont violents, c'est bien entendu à cause des armes à feu (1) ou des jeux vidéo. Il est inutile de se pencher sur d'autres causes ou sur la psychologie du meurtrier.

Comme ce blog est hébergé par Gameblog et non pas Firearmsblog, cet argumentaire se destine prioritairement aux joueurs qui veulent répliquer à leur contradicteur avec des faits et des arguments et non plus seulement avec de l'ironie facile et des attaques ad hominem. Bref, à tous ceux qui veulent défendre leur passion avec raison.

Les jeux vidéo, rendent-ils violents ? Si on en croit les média, c'est un gros oui. La preuve, c'est que tel tueur jouais à Doom, tel autre, à World of Warcraft, etc... Et de lancer un de ces habituels "grands débats" où seul l'émotion à le droit de s'exprimer et non la froide raison.

À chaque époque son bouc émissaire. De nos jours, les jeux vidéo font une cible facile pour les moralisateurs en tout genre, l'accusant de pervertir la jeunesse. Pourtant, le phénomène n'est pas récent. On pense au rockŽn roll et aux comics (2). Mais plus loin de nous, le gospel fut également accusé de pervertir les jeunes. Autre temps même mœurs, le ragtime eu à subir des attaques autrement plus virulentes que celle que nous connaissons sur le jeu vidéo. Le jeu dŽéchec fut également pointé du doigt. Enfin, des textes mésopotamiens s'inquiètent de l'influence néfaste de la musique sur la jeunesse d'il y a 5000 ans. Bref ! Rien de nouveau sous le soleil (3). Mais que cela ne nous empêche pas de répondre aux attaques.

"(...) la plupart des enfants qui abusent de leur console sont plus agressifs et renfermés que les autres.", nous dit la pipologue journaliste Claire Gallois. La proposition que l'on entend souvent, est sensé et acceptable d'un point de vue logique. Sauf qu'on peut parfaitement la retourner sans qu'elle n'en soit pas moins logique mais peut-être plus vraie : "la plupart des enfants qui sont plus agressifs et renfermés que les autres, abusent de leur console". Avec un peu de bon sens, on peut effectivement dire que des jeunes plus agressifs et/ou plus renfermés ont forcement plus de mal à se faire des amis et auront plus tendance à se réfugier dans les mondes virtuels. C'est, peu ou prou, l'une des conclusions auxquelles aboutit une étude australienne déjà mentionnée sur ce blog. Selon celle-ci, la violence vidéoludique affecterait surtout les enfants déjà enclins à la violence et non le contraire.

D'ailleurs, il y a bien longtemps que le jeu vidéo n'est plus l'apanage du jeune mâle, adolescent ou pré-adolescent. Si l'on en crois les chiffres 2008 de l'ESA concernant les États Unis, le joueur lambda a environ 30 ans et joue depuis une douzaine d'année. Ce joueur moyen a une chance sur deux (47%) d'être une femme. En fait, les femmes de 18 ans et plus représentent un plus grand nombre de joueurs (30%) que les garçons de 17 ans et moins (18%). 

En France, si on en crois le SNJV, le joueur français moyen a la trentaine et est plus souvent une femme (52%) qu'un homme (48%) (4). Les moins de 18 ans ne représentent même pas 1/5 du total. Une grosse majorité de joueurs n'est donc plus constitué d'enfants mais d'adultes responsables dont un bon nombre joue depuis plusieurs années.

Signalons également que, selon ces deux institutions, les parents accompagnent leurs enfants acheter leur jeu et jouent avec eux. Les enfants qui jouaient hier sont devenu les parents des joueurs d'aujourd'hui et sont mieux à même d'encadrer l'activité de leurs bambins.

Au cours des années, le jeu vidéo s'est grandement démocratisé. On estime à environ 28 millions le nombre de joueurs en France en 2010. Près d'un foyer sur deux possède une console de jeu. Il est statistiquement certain qu'un tireur fou ai été exposé aux jeux vidéo d'une manière ou d'une autre. Est-ce une raison pour les montrer du doigt ? Un tireur fou a surement un téléphone portable. Doit-on interdire alors les téléphones portables ?

Si la pratique d'un jeu violent entraînait un comportement violent, il serait logique que cette violence se déchaîne à proximité du lieu de jeu. Or, les fusillades ne se déroulent presque jamais dans des salles d'arcade, ni à la maison, ni dans des cybercafé. Non ! La grande majorité de ces fusillades meurtrières se déroulent dans des écoles ou des universités, plus généralement dans des lieux publics où le tireur sait qu'il pourra faire un maximum de victime en ne rencontrant que peu, voir pas de résistance (les écoles et universités aux USA sont des "gun free zone" c'est à dire qu'aucune arme n'est toléré aux seins de ces établissements). D'ailleurs, ces tueries dans des écoles, si spectaculaires qu'elles soient, restent plutôt rares et ne doivent pas être prise pour des généralités. Une étude réalisée en 1994 sur des criminels condamnés pour violence montre que ceux-ci ont été moins exposé aux média que la moyenne. En règle général, on observe, aux États Unis, une baisse de la criminalité des jeunes depuis les années 90.

Enfin, l'influence d'une œuvre culturelle comme le jeu vidéo ne peut s'apprécier qu'avec le contexte dans lequel elle est consommée. La violence est une affaire d'appréciation et ne se vit pas de la même façon suivant qu'elle soit réelle (journal télé) ou fictionnelle (film ou JV). Dans l'esprit d'une personne, une idée, un propos, une image se confronte à des milliers d'autres rencontrées dans ce que cet personne a vu, lu, entendu et vécu. Il s'opère alors une synthèse déterminant ses comportements et ses actions. Une même idée (5) n'aura pas la même résonance chez deux individus chargés chacun d'une culture différente et d'un vécu différent. Elle pourra même avoir des effets diamétralement opposés. Le lien de cause à effet entre une idée jugée néfaste et un acte nuisible ne peut être objectivement constatable.

Pour conclure, le fait que les jeux vidéo violents entraînent systématiquement, sur le long terme, un comportement violent n'est pas prouvé de manière certaine. Pour beaucoup, la violence vidéoludique sert surtout d'exutoire et de catharsis. Certains d'entre nous jouent depuis plus de 20 ans, nous ne sommes pas devenu amok pour autant.

Pour les anglophones, je vous encourage vivement à poursuivre la réflexion en lisant cet article : https://www.neiu.edu/~circill/F705L.pdf

1- Cet argument se rencontre dans les média uniquement si la fusillade à lieu aux États Unis. Si elle a lieu dans un autre pays, cet argument n'a pas lieu d'être, même si les armes à feu y sont aussi répandues qu'au USA.

2-On pense bien sur au comics code mis en place aux USA dans les années 50. Chez nous, c'est la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse qui joue ce rôle. Même au Japon, les manga et les animes furent accusés à la fin des années 80, suite à l'affaire Otaku Murderer.

3-Ce genre d'attitude se retrouve même chez les "gamers". La Wii, l'iPhone et plus généralement le "casual gaming" sont régulièrement mis sur le banc des accusés.

4-Les chiffres que je citent sur le rapport homme/femme chez les joueurs sont issus d'une étude GFK de 2009. D'autres études, certaines plus récentes, donnent des chiffres légèrement différents mais l'idée globale est que la moitié des joueurs sont des femmes.

5-Le terme idée doit se prendre ici, dans son sens le plus large possible, c-à-d : ce que l'esprit conçoit ou peut concevoir. Ainsi, une image, un film ou un jeu sont porteur d'idées dans le sens où ce ne sont pas des faits concrets. Dans le cas qui nous préoccupe, la violence dans un jeu vidéo est abstraite dans le sens où elle n'a pas lieu réellement, à l'inverse d'un acte de violence réel. La représentation d'un objet ou d'un acte n'est pas cet objet ou cet acte. Je ne sais pas si j'arrive à me faire comprendre...