Bonjour à tous.

Pour ma reprise partielle de ce blog, j'ai choisi de faire coïncider l'événement (toutes proportions gardées) avec ma première garde de ma cinquième année.

Je n'ai plus fait de service de nuit depuis août 2011, c'est-à-dire une éternité. Le statut de redoublant m'a permis de laisser cette corvée à mes camarades moins expérimentés.
Fatalement, le train-train confortable du stage m'a fait un peu perdre mon sens pratique de la médecine. La tentation était donc forte de retranscrire cette replongée dans les eaux saumâtres du devoir de service public.

Pour ce journal, j'ai décidé d'abandonner la présentation en horaires.
Pourquoi ? Parce qu'en tant que cinquième année, je ne suis plus externe de chirurgie, mais externe de médecine : je suis donc sur le pont avec le reste de l'équipe médicale. Plus le temps de s'ennuyer, le travail est continu, le temps de retranscription quasi-nul. Raison de plus pour un billet qui ne retiendra que l'essentiel.

Je suis donc arrivé, dimanche matin, avec une heure de retard. Je ne m'embarrasse pas de regrets : à cet horaire, la salle d'attente est bien souvent dépeuplée, pour ne pas dire vide.
Je me présente à l'une des chefs, Téandra, que j'ai déjà eu le plaisir de côtoyer en garde il y a plus d'un an. Derrière elle, comme de petites nouvelles timides, Lisa et Tiffany, les externes de chirurgie ; c'est leur première garde. Je ne peux réfréner la nostalgie qui m'envahit en les voyant aussi anxieuses que des souris dans un labyrinthe. Ça me paraît si loin...
A côté d'elles, une camarade de mon année, mais d'un autre module, Astrid. C'est elle la nouveauté de cette année, l'externe de psychiatrie : en effet, les urgences accueillent désormais ce type de cas, gérés par un chef psy, avec à sa disposition deux bureaux et deux modestes boxes d'isolement, pour distribuer des hospitalisations d'office et autres joyeusetés.

Dans un premier temps, rien. J'en profite pour donner quelques conseils. Les petites nouvelles attendent avec impatience leur première plaie. La journée tarde un peu à commencer.
Puis, Barbara, l'une des deux internes de journée, vient m'extraire de ma léthargie. Un accidenté de la voie publique. Il est temps de s'y remettre.
Tout d'abord, se remémorer la bonne conduction d'un interrogatoire. La raison de l'hospitalisation en elle-même : la chronologie de l'accident, la notion de perte de connaissance, les douleurs, le temps de prise en charge ; les antécédents personnels médico-chirurgicaux, familiaux, le traitement actuel, le tabac, etc.
Ensuite l'examen clinique. L'auscultation cardiopulmonaire, je m'en souviens encore, mais j'hésite un peu avec le reste : la palpation du ventre, des membres, un semblant d'examen neuro...
Je pense à peu près à tout, mais ma consultation s'est révélée un peu erratique, me souvenant au dernier moment d'une étape sautée et essayant de sauver les apparences d'une certaine logique d'interrogatoire.
Heureusement, tout s'est relativement bien passé et le patient n'avait aucun signe nécessitant une prise en charge immédiate. Les recommandations veulent cependant que celui-ci passe un scanner corps entier, les AVP pouvant se montrer particulièrement retords dans les pathologies graves passant inaperçues à la clinique.

Après un rapide exposé à l'interne, je dois taper mon observation dans le logiciel maison. Et là, la panne de l'écrivain se fait sentir : je ne sais plus comment fonctionne le machin et le peu que j'écris a l'indigence d'une note de stagiaire de deuxième année.
Heureusement, le chef me donne patiemment un cours particulier et me dépoussière un peu les expressions sémiologiques incontournables que je n'avais plus utilisées depuis belle lurette. Il m'apprend aussi à bien thématiser mes observations : pour les AVP, bien creuser le versant neurologique ; une description poussée de l'ECG pour les douleurs de poitrine... A l'écrit, ça paraît évident, mais j'avais oublié tout ça.

Une fois ce premier patient terminé, j'apprends que la première plaie des petites externes est arrivée ! Vu qu'elles n'ont jamais fait de sutures, je me retrouve de facto en professeur.
La patiente, lors d'une dispute conjugale, s'est cassé un vase sur la tête façon karatéka (enfin, selon elle...). D'où une méchante blessure au milieu du front.
Entendons-nous bien : je sais parfaitement faire une suture. Mais mes hésitations sur l'ordre des étapes de préparation du plateau m'ont mis sur le gril. Essayer d'habiter la fonction de respectable aîné sous les yeux involontairement perçants de ses élèves est un travail assez anxiogène. Voire même beaucoup. La peur de se tromper, de passer pour un tocard, de ne pas être clair est difficile à gérer lorsque l'on est peu entraîné.
Cependant, tout s'est bien déroulé : j'ai fait les trois premiers points pendant que Tiffany s'est occupée des deux derniers et que Lisa assistait. La plaie était bien suturée, l'interne a approuvé. Mes petits oiseaux pouvaient désormais voler de leurs propres ailes.

Ce qui tombait parfaitement bien, vu qu'après, ça n'a pas arrêté : Un vieux qui est tombé sans raison apparente, un migraineux chronique, une paralysie faciale périphérique d'origine infectieuse, une lombalgie neurologique ancienne qui faisait des siennes, une crise vaso-oclusive d'un drépanocytaire, des maux de ventre accompagnés de diarrhées et vomissements, et j'en passe.
Aux urgences, on ne diagnostique pas. On traite les symptômes, on adresse aux internes spé pour des avis, on renvoie à la maison. On y travaille par réflexe, la réflexion est assez peu de mise. Un peu comme un grand centre de tri postal. Avec des courriers dépassant souvent les 50kg, hm.

Néanmoins, ce n'est rien face à l'horrible plaie à laquelle Lisa a dû faire face : un pauvre bougre s'était fait suriner le visage et la plaie, aussi nette que le couteau était effilé, allait de la paupière inférieure au lobe de l'oreille, qui tenait par un petit lambeau de chair. Siem, la chef du soir, a tenté de faire venir l'interne de plastique DE GARDE de chez lui, mais monsieur n'a pas jugé le cas suffisant pour lever son royal postérieur, alors que le patient avait une blessure à faire pâlir Scarface. Alors, je me permets de le dire : interne de chirurgie plastique de garde ce soir-là, tu n'es qu'un putain de gros déchet inutile, et je serai le premier à rayer ta grosse cylindrée dès lors que tu t'en achèteras une.
Désolé, c'est peu élégant, mais ça soulage.
Lisa a donc dû faire, au bout de l'effort, 20 points de suture sur un visage. Ma petite, je suis si fier de toi.

De mon côté, les patients n'ont pas cessé jusqu'à environ 4h et demi du matin. Le temps de finir par deux ECG sur un SDF alcoolique que j'ai suturé il y a déjà plusieurs lunes (simple hasard ? Je ne pense pas !) et une femme d'une quarantaine ayant fait une ingestion volontaire médicamenteuse accompagné de quelques verres de Kir Royal.

Après ça, je peux dormir un peu dans la nouvelle chambre de garde, l'ancienne étant condamnée.

A 7h, le réveil sonne. La nuit est calme, une fine pluie tombe avec insistance. Le métro résonne au loin. Je salue Astrid, qui dort de toute façon. Je saute par la fenêtre.

Fin de garde.