Le 29 mars 2011 :

Aujourd'hui, avant de partir en garde, une belle averse de printemps s'abat sur la région parisienne.
Cependant, qui dit pluie dit gens qui glissent, accidents divers, ce qui donne une garde de merde.
On verra si l'avenir me donnera raison...

18h53 : Ali, le chef de garde, me salue et me demande si c'est ma première garde. A peine le temps de répondre par la négative qu'un feuillet bleu atterrit dans mes mains. Un accident de travail avec un transpalette (décidément...). Notion d'écrasement, mais rien à voir en clinique. Suivant...

19h32 : Ali me demande si je suis un « champion du monde en suture ». Il n'attendra pas ma réponse pour me confier à la hâte un vieux monsieur qui a glissé à la sortie d'un supermarché (la pluie, j'en étais sûr...) et s'est éclaté face contre terre. Des plaies parsèment son nez, elles saignent anormalement : il est sous Previscan, un anti-agrégeant plaquettaire. Avec sa peau fragile, la tâche ne fut pas aisée, mais rien que je ne puisse pas gérer.

19h48 : Une patiente d'une vingtaine d'années, venue pour une chute suivie de vertiges et de vomissements. A part une bosse sur l'occiput, elle n'a rien. Elle disait que si ça ne tenait qu'à elle, elle ne serait pas là. Je lui fais un peu peur pour qu'elle se tienne tranquille, et au suivant.

20h10 : Un jeunot en quad qui a fait ami-ami avec le pare-brise d'un bus de la RATP. Heureusement, il était casqué. Et n'a rien, excepté une attelle qui ne sert à rien au bras droit. On ne peut pas en dire autant de l'engin, qu'il s'est fait prêter...

20h20 : Ali et moi revoyons la patiente de 19h48. Il demande pourquoi elle est là. Elle répond qu'elle a heurté un mur, puis rectifie en disant qu'elle a chuté (un lapsus que je n'ai pas remarqué sur le moment). Suspicieux, il la cuisine un peu pour qu'elle avoue la véritable origine de sa bosse.
L'amie de la patiente, que j'ai fait rentrer tout à l'heure nous dit que c'est son père qui l'a envoyé dans le décor et que ce n'est pas la première fois que ça arrive.
Elle essaie de la pousser à porter plainte, mais cette dernière n'est pas pour, parce que c'est lui qui l'héberge, elle et son fils.
Finalement, Ali finit par la convaincre d'accepter un certificat médical. Ça pourra toujours servir le jour où elle changera d'avis.

20h47 : Des papiers et des patients vus en quatrième vitesse. Ce soir, ça n'arrête pas.

21h59 : Suture sur le crâne d'un conducteur énervé qui a heurté un poteau en voiture. Soyez toujours détendu lorsque vous conduisez !
Passé ça, je fais plusieurs fois l'aide préposé à la pose de plâtre...

22h23 : Patient qui s'est coincé l'orteil dans une porte. Fracture incomplète au final.

23h50 : Paperasse, paperasse... Ah, misère !

00h15 : Ouf, je peux enfin manger. Pour tout arranger, c'est dégoûtant ce soir.

01h13 : Retour à contrecœur au poste de soin. Un patient côté médecine hurle à tue-tête qu'il veut voir une infirmière. Je l'étoufferais bien avec un coussin...

03h13 : Je viens de finir de suturer une patiente. Elle a été battue par son compagnon à son propre domicile. Les pompiers l'ont amenée à nous, avec sa petite fille de trois ans. Ali me dit de m'en occuper.
Quand j'enlève le pansement, je vois une plaie sur le front énorme, profonde. Dès lors, je place la gamine au poste de soin avec les infirmières. Il ne faut surtout pas qu'elle me voit suturer. Surtout que cela va être long, très long.
Mon chef passe, remplit sa feuille d'interrogatoire et retourne d'où il est venu. Me voilà seul à refermer cette faille.
La patiente n'arrête pas de dire que « c'est la honte d'être à l'hôpital » ; à chaque fois ; je m'échine à lui faire comprendre que non, ce n'est ni une honte, ni sa faute. Elle pleure parfois, maudit son compagnon.
Toutes les deux minutes, elle me demande quand-est-ce que je finis. Déjà sue je n'en menais pas large, si elle me met la pression en permanence...

Au départ, j'étais à moitié paralysé par la terreur de me rater. Et si je défigurais la patiente à cause de points mal mis ? Et si cela cicatrise mal de par ma faute ? Et si... J'ai pris un temps infini à faire ces points, ou peut-être étais-je le seul à le percevoir ainsi. Mais chaque seconde prise m'était importante. J'aurais très bien pu y passer la nuit, si cela avait été nécessaire.

Après toutes ces difficultés, neuf points de suture. La blessure est refermée sur tout son long de façon propre. J'appelle Ali sur le DECT, mais il refuse de venir vérifier.
L'infirmière lui colle un pansement sec, je lui donne du Dafalgan pour la douleur de l'hématome, apparu sur la paupière droite.
Quelques conseils à la mère, des bisous sur les joues de la fillette. Je peux aller dormir.

03h41 : Porter aussi longtemps des gants en latex a ravivé mon allergie... Atchoum !

07h45 : Bon, j'ai pu dormir un peu, finalement. A la maison et au lit !