Le 1er mars 2011 :

Aujourd'hui aurait dû être mon premier jour en orthopédie à Bégin, mais mon oreiller en a décidé autrement. Oui, je sais, c'est nul de ma part, mais j'avais vraiment besoin d'une coupure entre ma nouvelle affectation et mon ancien stage qui m'a un peu laissé exsangue.
Par contre, pas question d'ignorer la garde, c'est obligatoire.

Je quitte enfin Mondor pour une destination lointaine : l'hôpital Saint-Camille (et non « Sainte » !) de Bry sur Marne.
Le trajet en RER de chez moi n'est pas vraiment long. C'est plutôt la distance entre la station et l'établissement qui est casse-pied : dix bonnes minutes en pente positive, le centre étant perché sur une colline. Rendez-moi mon Vélib' !

18h15 : Après avoir parcouru ce trajet interminable, je me présente à l'accueil, où l'agent m'indique la direction du poste de soin des urgences.
Je me présente au chef de médecine, qui me renvoie directement vers le chef d'orthopédie de garde. Son nom est Firass. La première chose dont il m'informe, c'est de ne jamais rien demander aux infirmières ou aux autres médecins et de ne m'adresser qu'à lui. Que voulez-vous, il suffit qu'on fasse travailler ensemble pour qu'une bonne partie se plante des trombones dans le dos...
Le système de fonctionnement est au tout papier. Cela fait un choc après Mondor...

18h31 : Petite visite guidée par Firass, qui m'emmène au bâtiment des internes, où se trouve ma chambre. Un lit, une table, une chaise, un préservatif (!) : l'essentiel est là.
Firass se saisit du DECT qui se trouvait sur la table pour me le confier. Ouah, j'ai un téléphone, la classe !
Il descend fumer une cigarette, le temps que je m'installe. Mais, gros problème : pas de casier, pas de clé. Ma chambre est ouverte aux quatre vents. C'est un peu la m... Je cache mon sac sous le matelas en espérant que ça passe.
Une fois descendu, Firass me dit de repartir seul au poste, il a sa voiture à garer.

18h54 : Je regarde le casier de dossiers : un patient en attente. Je prends le feuillet et je fais mon interrogatoire.
Patient d'une vingtaine d'années, qui a heurté une voiture qui lui grillait une priorité. Vol plané sur environ trois mètres. Mais par chance, ce dernier était casqué, et s'est relevé immédiatement. La police est arrivée rapidement sur place, et s'est reposé sur les pompiers pour la prise en charge.
Il souffre d'une simple plaie de l'ongle du gros orteil.
Je lui fais un examen clinique dans les règles, je ne trouve rien. Firass passe une minute, pose deux-trois questions, mobilise les membres inférieurs, et me demande de rédiger un bon pour une radio du pied droit. Ouah ! C'est vite vu par rapport à Mondor...

19h31 : Hop, à peine le bon rédigé (à l'arrache), il m'appelle pour une suture.
Une plaie du cuir chevelu qu'un ado a eu en se battant... Il me donne le matériel et me laisse me débrouiller.
Vu l'aspect pas régulier de la plaie, je m'y reprends à deux fois, mais le résultat final est satisfaisant.

19h40 : Hop, un nouveau dossier dans le casier. Un garagiste qui a chuté sur son lieu de travail et qui se plaint d'une douleur au bras droit. Je commence une amorce d'examen clinique, mais Firass me coupe court et me dit d'aller directement faire un bon de radio. Ce que orthopédiste veut...

19h57 : Pendant que j'étais tranquillement en train de mettre mon nez en l'air au poste de soin, le brancardier me livre déjà la radio du patient précédent. Hein, déjà ?!
L'essentiel est qu'il n'a aucune lésion osseuse. Mon chef me charge de faire une écharpe sommaire, quelques prescriptions (antalgique et écharpe) et il est dehors.

20h26 : C'est quand même très calme... J'ai envie d'un(e) coexterne !

20h43 : Le chirurgien ortho de garde à l'étage m'appelle afin de l'aider à poser un plâtre sur un adolescent qui s'est fracturé la cheville pendant un foot à l'EPS.

21h11 : C'est toujours calme et j'ai de plus en plus faim...

21h16 : Le chef de médecine fait sa tournée de pizzas. Youhou !

21h19 : Il se fend d'ailleurs d'une plaisanterie :
« Quelle est la différence entre un thermomètre buccal et rectal ? »
Moi : « Je sèche... ? »
« Le goût ! »
« Hahaha ! Hm... »

21h40 : Je suis allé chercher mon sac, je n'étais pas tranquille de le savoir seul.

21h56 : Je finis tranquillement mon thé vanille-caramel... Je ne sais pas si c'est le contexte, mais j'ai l'impression d'avoir bu l'un des meilleurs thés de ma vie !

22h13 : L'infirmière me prévient qu'une patiente est en attente. Une dame d'âge moyen avec un panaris de la partie proximale du pouce droit. L'EC ne détecte rien à part ça... Je suis un peu perdu, vu que c'est la première fois que je vois cette pathologie.
Je vais donc m'enquérir de l'avis de Firass, en train de déguster un kébab avec son collègue. Il me dit de faire une radio du pouce, et m'informe que le frigo est plein, au cas où j'ai faim. C'est bon à savoir !

22h32 : A travers la vitre, je vois les pompiers nous livrer un homme âgé emmailloté. A en voir son pied droit en rotation externe, il y a peu de doute sur la fracture du col du fémur. L'interrogatoire est difficile, vu que le patient a un coup dans le nez, si vous voyez ce que je veux dire...
Les chirurgiens ortho viennent m'épauler pour essayer de lui soutirer son traitement habituel. Sans succès. On essaie d'appeler chez lui : sans succès non plus. Lot de consolation, on a ses antécédents chirurgicaux.
Après ça, à la bouffe !

23h10 : De retour au poste, je reçois un appel d'une mère qui demande si son fils, qui a été renversé par une voiture, est passé par chez nous. N'ayant pas vu son ombre, je luis demande de rappeler dans deux heures.

23h15 : La radio du panaris arrive. Firass la regarde prestement et conclut qu'elle n'a rien.
Mais j'ai vu que l'os est rongé sur la partie proximale. Légèrement, mais quand même. Firass jette un deuxième coup d'œil et finit par me donner raison. Haha !

23h20 : Tiens, les pompiers nous apportent un homme qui s'est fait renversé par une voiture. Il souffre de pertes de mémoire itératives : toutes les trois minutes, il nous répète qu'il vit chez sa mère (tilt), qu'il a de l'hypertension, et qu'il ne se souvient pas avoir été renversé par une voiture.
Avec ça et son hématome géant sur la joue, il est bon pour un scanner cérébral en urgence.

23h30 : La radio de fémur arrive : fracture per trochantérienne du col. Ça sent le clou gamma le lendemain !

23h36 : Un patient avec un trauma du bras droit arrive, toujours avec nos amis les pompiers. Un jeune qui a chuté dessus ce matin, et qui est devenu violemment douloureux dans l'après-midi. Je rédige les bons de radio.

00h00 : La mère rappelle pour avoir des nouvelles. Je dis qu'il va bien et... Ach ! Firass me reprend le téléphone aussi sec pour atténuer ce que je viens de dire.
Je parle toujours trop vite. Je devrai travailler ça.

00h10 : Un skateur [NDL : ça existe encore ?] qui a chuté et a amorti sa chute avec le long de son bras gauche. Résultat : il ne peut plus bouger l'épaule. Vous connaissez la chanson : bon de radio...

00h38 : Le chef de service des urgences médecine m'interpelle. Il me dit avoir un symptôme neurologique intéressant à me montrer.
C'est l'hémianopsie latérale homonyme ; une atteinte du champ visuel dont la source se situe au niveau cérébral. Un petit schéma pour comprendre :

 

Dans le cas que j'ai vu, le champ visuel était amputé du côté gauche. La particularité de ce signe, c'est qu'il est présent quel que soit l'oeil ouvert, gauche ou droit. Cela permet d'exclure une lésion situé dans l'oeil lui même.

 

01h19 : La mère de l'accidenté rappelle encore, malgré le fait que Firass l'ait déjà répondu quelques temps auparavant. L'interne de viscérale, qui s'occupe des traumatismes crâniens ce soir, lui répond à ma place, ouf...

01h24 : Bon, ça s'est un peu calmé. Mais la fatigue commence à poindre, et ce n'est pas mon addiction au thé qui va la ralentir !

02h01 : Je fais une écharpe de fortune au skateur, dont la radio n'a rien révélé, et je rédige une ordonnance d'antalgiques et d'attelle.

02h20 : Je préviens l'infirmière. Je vais piquer un somme.

03h34 : Mon téléphone sonne. Un nouveau patient est arrivé. Je parviens tant bien que mal à me lever et à parvenir jusqu'au box. Et là, je voir l'infirmière aider un homme avec le visage complètement ravagé. On aurait dit qu'un troupeau de boxeurs enragés lui était passé dessus.
L'amie qui l'a amené m'a expliqué qu'elle l'avait retrouvé dans la rue, alors qu'une fête se déroulait dans les alentours.
Il a l'oreille gauche en sang : il s'est sans doute pris un coup de surin à ce niveau.
Quand je demande s'il a appelé la police, le malade se braque : « Pourquoi je les appellerai ?! ». Hmmm... Et il se sent obligé de me dire qu'il n'avait pas vu ses agresseurs. C'était évident qu'il mentait. Pour s'être fait refaire le portrait de façon aussi appliquée, il doit y avoir une inimitié préexistante.
J'appelle Firass, qui descend en peu de temps. Il me souffle connaître ce patient et que cela fait partie d'une histoire de bandes...
Il me dit de retourner dormir, il s'occupe des examens. Pas la peine de me le dire deux fois...

03h56 : J'y retourne, j'ai oublié mon sac là-bas, comme un gros naze... En repassant devant le box, j'entends l'infirmière qui souffre pour lui poser une pauvre perfusion, et le patient éructer : « Putain, je vais leur éclater leur race, à ces bâtards, je vais les massacrer ! Je vais leur mettre les nerfs à vif !». Charmant !

08h40 : Ouah ! J'ai bien dormi, malgré la paralysie du sommeil habituelle...
Je prends mes affaires, je vais jeter un coup d'œil au poste de soin : la relève est déjà là.
Je rentre prendre mon petit déjeuner. Je me sens si bien que je pense pouvoir passer une journée normale.

En fait, non : à 11h, je m'écroule pour enfin émerger à 16h.