Le but de cet article est de réfléchir quelque peu au problème posé par le
casual. Pour ceux qui se demanderaient de quoi je parle, voilà le topo : le
"casual gamer" est un nouveau type de joueur de jeu vidéo apparu depuis quelques
années avec le triomphe monumental de Nintendo avec sa Wii et sa DS. Le joueur
occasionnel est donc par excellence un joueur sans skill (=compétences de
joueur), pour qui le jeu vidéo est un passe-temps agréable auquel il ne veut
associer aucune prise de tête, aucun entrainement particulier, bref, aucun
emmerdement. Qui est concerné ? Les très jeunes joueurs et leur opposé, les
personnes agées qui n'ont pas connu l'avènement du jeu vidéo, mais aussi dans
une certaine mesure toute une population féminine, ainsi que des joueurs garçons
peu persévérants pour qui on mâche le travail de joueur. La question qui est
soulevée régulièrement sur les forums et qui préoccupe les joueurs, les vrais,
est la suivante : le casual gaming est-il en train de ronger le jeu vidéo de
l'intérieur, le condamnant à plus ou moins long terme à la facilité et à un
apauvrissement réel ?  

  
Le jeu en famille...mamie qui se met au jeu : la
fin du jeu vidéo ?

La première chose qui doit être dite, je pense,
c'est que le casual gaming ne date certainement pas de l'ère Wii/DS. Tous ceux
qui l'affirment se plantent copieusement. Que fait-on de ces joueurs
innombrables du solitaire de Windows, des ces acharnés du Tétris (dont une
enseigne comme LA Redoute offrait un exemplaire à ses clients à une époque) ?
Que penser de l'ancêtre de tous les jeux, le fameux Pong, immédiatement fun et
accessible pour toute la famille ? Il ne faut pas se mentir, ces jeux ont connu
des succès gigantesques et existent depuis longtemps. Néanmoins, même si
Nintendo n'a pas inventé le casual gaming avec la Wii et la DS, il y a pourtant
bien eu un changement qui s'est produit avec cette génération de console.

     
Des références absolues comme Pong et Tetris ne
sont-elles pas déjà le signe de l'existence de ce qu'on appelle les joueurs
occasionnels ?

Ce qui a changé, c'est que le marché a pris
soudainement conscience de l'existence de ces joueurs occasionnels, et s'est mis
à cogiter sérieusement pour leur proposer des produits adaptés, développés
presque spécifiquement pour eux. Là est la différence. De gros investissements,
fruits interdits nés de séances de brainstorming sans doute savamment menées,
ont été faits pour répondre à un besoin ou le créer, et envahir les étals de
jeux de tout un tas de produits aux qualités souvent discutables, et dont le
coeur de cible a été sélectionné avec soin.

  
Martine sur DS, Léa Danseuse Etoile, et même Fort
Boyard (!), c'est toute une gamme de jeux très médiocres (objectivement) qui
s'est mise à pulluler sur DS et sur Wii, obéissant à une logique mercantile à
peine cachée
.

Et ça marche. Nintendo, d'abord moquée par ses
concurrents, a raflé des centaines de millions de dollars, sortant largement
vainqueur dans la lutte entre constructeur sur cette génération de console
(faut-il rappeler que personne ne croyait en la Wii, ni même en la DS,
lorsqu'elles ont été annoncées ?). Pire, et là sont apparues les craintes des
joueurs, les autres constructeurs, avides de prendre leur part du gâteau, essaie
de refaire leur retard par le biais de jeux et d'accessoires orientés casual.
Xbox360 nous prépare le Kinect qui permettra la reconnaissance des mouvements du
corps et ouvrira la voie à tout un tas de jeux de type "party-game" (jeux de
groupes voués à l'amusement en famille ou entre amis). Sony nous fait le même
coup avec le PSMove. Les deux constructeurs baissent donc leur froc bien bas et
tentent de transformer quelque peu leurs consoles en Wii, qu'ils conchiaient
copieusement, avec un mépris impérial, lorsque cette génération de consoles est
apparue.


Le Kinect de la 360 permettra la reconnaissance des
mouvements du joueur. Quant au PS Move, il y a de quoi rire, on peut vraiment y
voir un plagiat éhonté de la wiimote de Nintendo
.

Deux questions
restent entières : le casual gaming menace-t-il la frange des joueurs
traditionnels, n'existe-t-il vraiment pas de jeux casual de qualité
?
Répondre à la deuxième question est très facile : à l'image de tous les
produits de consommation qui existent sur le marché, qu'il soit artistique ou
pas, on trouve de tout, et les petits génies existent, ils sont bel et bien là.
Et quand ces petits génies se mettent au travail, avec pour mission de déboucher
sur un jeu casual, qu'est-ce que cela donne ? Eh ben cela donne jeu casual
excellent, tout simplement ! Qu'on s'y intéresse ou pas, le succès phénoménal
d'un jeu comme Nintendogs ne peut pas être dû au hasard, le jeu propose
nécessairement un concept fort pour avoir emporté une telle adhésion du public.
Mieux, cette vague du casual a même engendré de vrais bons jeux. On pensera par
exemple à la série des Professeurs Layton sur DS ou encore à la fusion
surprenante entre puzzle game et rpg engendrant un jeu comme Puzzle Quest. Il
existe même des jeux DS pour gamine de qualité, comme La fée clochette par
exemple. Dans l'océan de jeux casuals proposés, de nombreuses pépites se
glissent un peu partout, n'en doutons pas un seul instant.


Le professeur Layton, gage de qualité dans l'univers
casual...A droite, l'étonnant hybride qu'est Puzzle Quest, entre rpg et puzzle
game. Au centre, le fameux Programme d'entrainement cérébral, qui a cartonné
dans le monde entier, sans doute à raison.

Un jeu casual n'est donc
pas un mauvais jeu, ne nous y trompons pas. Mais alors, où est le problème ?
Peut-on vraiment imaginer que les jeux vidéos se réduisent à ces jeux là ? Cette
crainte est sans fondement et même absurde. Les chiffres de vente de vrais jeux
de joueurs comme GTA IV, le récent Stracraft II, le sublime Assassin's Creed 2,
montrent bien que les joueurs sont là et bien là, et qu'on ne risque pas de
cesser de penser à eux, car ce sont bien eux qui sont prêts à mettre beaucoup
d'argent dans les jeux vidéos.
En fait, le problème ne se situe pas à ce
niveau là. Le souci, c'est que c'est bien l'ensemble de la production
vidéoludique qui s'est "casualisée", ce qui exaspère parfois les joueurs en
quête de vrais challenges.

Autrefois, pendant l'age d'or des jeux vidéos, les jeux étaient vraiment
très, très difficiles. Les jeux étaient bâtis autour de l'idée d'une punition
permanente du joueur pour les erreurs qu'il commettait. Il fallait donc
connaître par coeur les niveaux d'un jeu pour espérer voir le générique de fin,
et certains jeux ont leu réputation en ce qui concerne leur difficulté. Certains
même étaient presque estimés "impossibles à finir" tellement ils s'avéraient
difficiles. Nous parlons ici bien sûr de la production vidéoludique des années
70-80. On associait donc naturellement l'idée du jeu vidéo à celle d'un joueur
voué à la maîtrise absolue du jeu, à un joueur "skillé" (=compétent) comme on
dit aujourd'hui. Un joueur des années 80 était nécessairement un hardcore gamer,
sinon il ne pouvait pas jouer.


De gauche à droite : le redoutable Ghost'n Goblins, qui a
donné bien des sueurs froides aux joueurs; le sublime et très difficile R-Type,
shoot'em up corsé; et le fameux Rick Dangerous, dont il fallait connaître les
niveaux par coeur pour pouvoir s'en sortir. Tous sont issus des années
80
.

Les joueurs d'aujourd'hui sont devenus assez paresseux, on sent
dans la pratique du jeu vidéo un refus de produire un "effort" qui est
malheureusement assez symptômatique de notre époque. Voilà pourquoi les jeux ont
tendance, de façon générale, à se casualiser, Y COMPRIS LES JEUX SENSES ETRE
DESTINES AUX JOUEURS DURS. Et c'est là où réside le vrai problème de l'attitude
casual à mon sens. Comment cela se manifeste-t-il concrètement dans les jeux ?
Voici quelques exemples :
- les indicateurs de quêtes dans les jeux de rôles,
avec une sorte de GPS dans l'interface, qui vous épargne exploration,
découverte, petits triomphes personnels, en vous mâchant le travail.
- un
halo de couleur autour des objets à prendre ou à actionner, qui permettent
d'éviter au joueur de chercher ce qu'il peut récupérer ou faire bouger à
l'écran.
- la visée semi-automatique dans les FPS (=first person shooter),
avec le réticule de visée qui se place automatiquement sur une cible afin de
faciliter le tir.
- les sauvegardes automatiques qui vont jusqu'à épargner au
joueur l'effort de penser à sauvegarder régulièrement !


L'avant dernier Prince of Persia est magnifique visuellement
mais ne vous y trompez pas, la difficulté a été incroyablement revue à la
baisse. On peut traverser ce jeu entièrement sans mourir une seule fois !! Le
côté énigmatiqe des niveaux a presque disparu, les combats sont assistés. Bref,
le doigté propre à cette série s'st envolé et avec lui, tout l'intérêt du jeu.
Il est là le danger, pas ailleurs
.

Je pourrai multiplier les exmples
pendant longtemps encore. Tout semble fait pour que le joueur n'éprouve surtout
aucune sorte de frustration, ce qui diminue de façon drastique le challenge
proposé par le jeu, parfois jusqu'à les rendre inintéressants pour les joueurs
chevronnés. Je nuancerai toutefois ce propos en affirmant que certaines
évolutions sont vraiment bienvenues. Il y a un juste milieu à trouver je pense.
Je joue par exemple à Infinite Space sur DS en ce moment, un rpg spatial très
hardcore, et il faut bien avouer que certaines choses sont un peu trop hard,
comme l'absence totale de journal de quêtes, qui fait qu'on ne sait rapidement
plus où aller et qui nous a dit quoi. Cela implique de prendre son bloc-note et
de jouer en prenant des notes. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose et relève
le challenge, mais c'est un peu oublier qu'un jeu DS est avant tout un jeu
nomade, destiné à être joué sur un banc, en train, dans le métro, aux chiottes,
et qu'on ne dispose pas forcémment d'un stylo et d'un bloc-notes dans ces
moments là.

Conclusion

De
façon assez surprenante pour un joueur comme moi, je n'ai rien contre le casual
gaming, que je trouve légitime et qui a des vertus évidentes, dont la principale
sans doute est de donner une autre image du jeu vidéo, bien plus positive, aux
gens. Oublions donc les Léa passion de la mode et autre Deviens une danseuse
étoile en dix leçons pourries, ou plutôt, laissons-les à leur place, ils ne font
de mal à personne. Le problème, c'est plutôt l'évolution actuelle des jeux
destinés aux joueurs endurcis vers une facilité un peu crispante. L'exemple type
illustré plus haut avec Prince of Persia montre bien cette tendance détestable
qui enlève tout challenge aux jeux, et c'est bien de cela dont il faut se
méfier. Le reste, ce n'est que du bonus.