Il y a des gens dans le monde du jeu vidéo qui vous ouvrent les yeux et vous font voir ce que vous avez toujours ignoré. Pourtant, tout est là, sous vos yeux, mais vous n'aviez jamais de cadre analytique pour mettre les bons mots dessus. Grâce à Oscar Barda, je vois désormais mieux.

Nombre de journalistes le font lorsqu'ils doivent parler d'un jeu ou le disséquer, mais peu semblent en avoir conscience ou le formaliser clairement. Un certain nombre de cadres d'analyse théorique existent, mais nous restons sur un schéma très classique. On passe de plus en plus du monde du « Test » de jeu vidéo à celui de critique. Tout cela grâce à une culture qui évolue et aux plumes qui murissent. Mais pourquoi ne pas essayer de changer les critères sur lesquels nous nous basons pour évaluer un jeu ? Non, il ne s'agit pas d'un énième système de notation qui changerait les notes pour des lettres ou des pourcentages. Pas de fausse révolution, mais un vrai nouveau cadre ?

 

Le MDA, cadre d'analyse théorique du jeu

M comme mécaniques
Les mécaniques sont les règles qui définissent le jeu. Par exemple que dans un jeu de course, c'est celui qui franchit la ligne le premier qui gagne ou qui réalise le meilleur temps s'il s'agit d'une séance de qualification. Dans un « survival », ce sera le fait que toute mort est définitive. Bref, on touche ici à l'ensemble des paramètres auxquels le joueur devra se soumettre ; barre de vie, temps limite, bonus, améliorations, expérience, niveaux… Il peut y en avoir des centaines ou au contraire seulement quelques unes.

Ces règles ne sont pas forcément explicites et aussi claires qu'un temps ou une barre de vie. Il peut tout simplement s'agir de ce qui va se passer dans certaines conditions. Par exemple un coup plus puissant lorsqu'il est asséné avec de l'élan, un bonus lorsqu'un set d'armure est complet. Personne ne vous l'a dit lorsque vous avez commencé à jouer, mais vous l'aurez rapidement constaté. Et lorsque le joueur assimile les règles, il va changer de comportement et réagir en conséquence.

D comme Dynamiques
De ces mécaniques de jeu vont émerger des dynamiques. Reprenons l'exemple du jeu de course. Vous allez peut être laisser la voiture devant vous prendre de l'avance pour qu'elle ne vous gêne pas si vous êtes en séance de qualifications. Ceci afin d'avoir un tour clair et de faire le meilleur temps. C'est la règle du meilleur temps qui vous pousse à faire cela. En revanche, si vous êtes en course, il ne vous viendrait pas à l'idée de laisser cette voiture filer. Bien au contraire, puisque la règle c'est de récompenser celui qui passe la ligne en premier, vous allez lui mettre la pression et essayer de le passer. La dynamique de jeu en question aura totalement changé. La pression va d'ailleurs augmenter au fur et à mesure qu'une autre règle va arriver à son terme, c'est à dire le nombre de tours au bout desquels la première voiture qui passe la ligne gagne.

Dans l'exemple du jeu de combat ou vous tapez plus fort avec de l'élan, vous serez donc plus enclin à tenter de prendre de la distance pour avoir assez de place et faire un maximum de dégâts. Mais si une autre règle dit qu'un adversaire spécifique contre toujours les attaques avec élan et en plus fait énormément mal en contre, vous allez le fuir et tenter une autre approche. De cette nouvelle règle va émerger une façon de jouer, un comportement différent. Dans l'exemple du survival, vous allez tout faire pour ne pas mourir...

A comme Aestetics, l'esthétique en français
L'esthétique regroupe à peu près tout ce qui va permettre d’appréhender le jeu qui se trouve en face de vous avec vos 5 sens.

  • Ce que vous voyez, avec l'aspect graphique d'un jeu, son parti pris esthétique, ses techniques d'affichage, son architecture, le casque de VR que vous avez sur la tête ou l'utilisation d'un Hololens.

  • Ce que vous entendez avec ses effets sonores, ses musiques, sa spatialisation, ses dialogues. Bref, tout ce que vos oreilles vont percevoir.
  • Ce que vous ressentez au toucher avec votre manette en mains. Cela concerne les vibrations avec une remarque toute particulière concernant le pad de la One par exemple dont les gâchettes peuvent vibrer. Totalement inutile la plupart du temps, mais très important dans un jeu de voiture, ou la sensation de vibration peut par exemple vous indiquer que vous freinez trop fort et que vos roues se bloquent. La forme de la manette est également importante, puisque les sensations sont très différentes selon qu'on utilise un pad, un joystick ou un volant.
  • L'odorat et le goût son en revanche des sens rarement exploités dans les jeux vidéo. Ils nécessitent des interfaces qui ne sont pas forcément au point et les rares expériences tentées restent dans l'anecdote. On peut par exemple penser à cette grosse (et belle blague) qu'est le « Nosulus Rift » dont la première utilisation est de sentir les pets dans South Park. Pour le plaisir je vous remet la vidéo de présentation aussi drôle que sérieuse.

 

Toutes ces informations vont être traitées par le cerveau qui va générer des émotions en fonction de ce qui est perçu et de l'expérience du joueur.

La processus du MDA est perçu par le joueur dans un cheminement inverse de celui du créateur. Le créateur du jeu va définir des règles, pour créer une dynamique qui sera figurée par une certaine esthétique. Mais lorsqu'un joueur débute une partie, il va d'abord appréhender son esthétique, découvrir la dynamique et en déduire les règles.

Rien de bien nouveau sous le soleil si on prend un peu de recul par rapport à cette théorie, mais en ce qui concerne la façon de critiquer et de rendre compte d'une expérience de jeu, cela change pas mal de choses. Parler des expériences, de ce qui émerge et des règles d'un jeu tout en considérant l'esthétique comme élément séparé, permet de se mettre dans l'esprit de rendre compte d'une expérience.

 

Critiquer un jeu en mode MDA

Essayons de voir un blockbuster comme Uncharted sous l'angle MDA. On va tout d'abord être bluffé par une esthétique incroyable. Des personnages modélisés avec talent, des dialogues aux petits oignons, un doublage cinématographique, une musique épique… En résumé l'esthétique est vraiment bluffante. La dynamique qui se dévoile est elle aussi très cinématographique. Cette expérience de jeu est surtout soutenue par son esthétique. Car les règles sont relativement simples et répétitives ; se mettre à couvert, tirer. Se mettre à couvert, recharger, tirer. Se mettre à couvert, changer d'arme, tirer… De temps en temps il y a bien d'autres actions et quelques énigmes, mais c'est rarement ce que le joueur va retenir dans son expérience.

Dans un (vieux) jeu comme « Day of the Tentacle » on sera également marqué par une esthétique très marquée, des dialogues hilarants et un environnement délirant. Mais la dynamique qui émerge des règles qui permettent d'avancer en résolvant les énigmes reste dans les mémoires. Parce que les règles ne sont absolument pas logiques. Vous allez donc vous mettre à faire n'importe quoi et à essayer des associations totalement débiles, juste parce que vous vous serez rendu compte que la « logique » de DotT va souvent à l'encontre du bon sens.

Prenons encore un autre jeu qui gomme presque totalement l'importance de l’esthétique : Tetris. Dans Tetris, les règles sont très simples. Des blocs tombent du ciel, il faut les imbriquer en faisant des lignes. Plus on fait de lignes simultanées plus le score marqué sera important. Il en émerge donc une dynamique qui va pousser le joueur à stocker ces lignes avec intelligence pour faire un Tetris, c'est à dire faire disparaître quatre lignes en même temps. Le point focal du jeu, c'est donc la réalisation d'un maximum de Tetris. La pression est donc créée par cet objectif. Mais elle peut changer, car à force d'essayer de faire un Tetris, les lignes peuvent monter et vous pouvez attendre longtemps d'avoir la bonne pièce et perdre la partie. La dynamique est très intéressante.

Ces trois jeux ne sont donc pas à classer sur une échelle de valeur. On peut difficilement dire que Tetris est meilleur qu'Uncharted ou DotT. C'est pourtant ce qui se passe lorsqu'on rentre les jeux dans une échelle de valeurs scolaires avec des notes. En revanche les évaluer selon le modèle du MDA, soit en l'exprimant clairement soit en en parlant au fil du texte prend tout son sens.

Encore faut-il pour cela que le lecteur soit prêt à faire l'effort d'une lecture et pas d'un rush sur le résumé des qualités et defauts du jeu avec une note péremptoire et réductrice. A quand un résumé des qualités et défaut du jeu selon ces trois critères ? Est-ce souhaitable ? De quelle façon ? Le débat est ouvert ;-).

N'hésitez pas à aller voir toutes les vidéo d'Oscar Barda
Elles sont toutes très instrctives
Sur le Youtube de Them Games