Einstein a démontré que le temps se contractait quand on approchait la vitesse de la lumière. Il a oublié de préciser que c'était également le cas quand on approchait de la date de master dans le développement d'un jeu vidéo... Comme les jumeaux dont l'un des deux s'embarque dans un vaisseau spatial alors que l'autre reste sur terre, il se sera écoulé des mois pour vous alors que nous aurons eu l'impression que ce ne sont que quelques jours...

Pour ceux qui ne sont pas familiers du développement, il y a globalement quatre dates particulièrement importantes : la date du début de la production, celle de l'Alpha (où toutes les datas du jeu doivent être produites), celle de la Beta (où le jeu est assemblé et jouable) et celle du Master (généralement celle qu'on rate...). Le développement d'Heavy Rain a passé avec succès son Alpha fin Mai, la prochaine échéance est la Beta fin Septembre.

L'openspace de Quantic Dream

HR accumule un grand nombre de difficultés en terme de développement qui sont propres à cette typologie de jeu. Tout d'abord, le jeu n'utilise quasiment pas de mécaniques (par mécanique, j'entends un système de jeu récurrent) mais principalement un game play contextuel. Chaque scène est différente, en fonction du moment de l'histoire, du personnage qu'on contrôle et de ce qui se déroule à l'écran. Si ce principe sera (je l'espère) intéressant pour le joueur en lui proposant une grande diversité d'actions et de principes de jeux, c'est un véritable cauchemar à régler parce que chaque scène demande un travail particulier.

L'autre particularité de HR, c'est l'importance de la direction artistique. L'objectif de HR étant de raconter une histoire complexe et de générer des émotions, chaque élément du jeu doit soutenir ces principes, qu'il s'agisse du graphisme, des personnages, de l'animation, du facial, de l'éclairage, du son, de la musique, et bien sûr du game play (qui dans HR fait partie de la DA). Rien ne peut être laissé de côté parce que cela risquerait de rompre le charme et de sortir le joueur du jeu (ce que les théoriciens appellent « suspension of disbelief »).

A tout cela, il faut ajouter que nous avons choisi de mettre la barre haut concernant la qualité globale du jeu, et nous nous sommes rapidement rendus compte que cette exigence en appelait toujours d'autres encore plus élevées. Le moindre détail illogique, le moindre visage mal éclairé, le moindre plan de caméra inadapté et c'est toute la scène qui s'écroule. Le jeu a non seulement une exigence de qualité élevée, mais une nécessité d'homogénéité absolue pour que rien ne détourne l'immersion du joueur.

L'Alpha a été atteinte avec un jeu dans un drôle d'état : trois ou quatre scènes polished quasiment au niveau Beta (préparée pour des présentations internes chez Sony ou pour des salons). C'était le cas de MAD JACK et MADISON AU BLUE LAGOON (présentées à l'E3), ainsi que deux ou trois autres scènes dont la première scène de Madison dans le jeu et une scène d'Ethan, jugée trop violente pour être présentée dans le cadre d'un salon.

Le reste du jeu se divisait en deux catégories : les scènes qui n'étaient pas polished mais dans lesquelles on sentait très bien que tout était là pour qu'elles fonctionnent, et les scènes totalement en vrac pour lesquelles on se demandait bien comment on allait s'en sortir...

Sachant que le jeu comprend près de 80 scènes, chacune étant différente proposant un décor différent et un game play unique, et requérant une DA pointue, il nous restait un peu de travail...

Pour atteindre la Beta de manière ordonnée, nous avons choisi avec Charles (le producer de HR) de diviser le jeu en huit cycles, chaque cycle regroupant une dizaine de scènes. Nous nous sommes donnés deux à trois semaines par cycle pour les polisher et les amener à un niveau Beta. Plutôt que d'étaler nos efforts sur 80 scènes en même temps, il semble plus rationnel de nous focaliser sur dix scènes à la fois.


Charles Coutier- Chef de Projet sur HR

Nous allons voir si c'est la bonne approche...