Un peu de Virtua Fighter 4, d'OutRun 2 et de Sega Race TV pour consoles et/ou arcade, et puis plus rien. Plus rien pour Yu Suzuki sous la bannière de Sega depuis 2008, et certainement pas de Shenmue III. Depuis l'échec commercial des deux épisodes de Shenmue, celui qu'on appelait le "Miyamoto de Sega" n'est plus en odeur de sainteté chez la firme nippone qui lui doit tant. Honte à Sega !

Space Harrier, Hang-On, Out Run, After Burner, Virtua Fighter... Autant de jeux cultes et précurseurs, développés par Suzuki et le studio AM2 de l'époque. Ignoré, manifestement, lors du rachat de Sega par Sammy en 2004, le glorieux passé du game designer n'aura pas suffi à éviter une mise à l'écart de la part de la holding nouvellement créée et de la nouvelle direction de Sega. En 2009, Yu Suzuki n'était désormais plus le creative officer qu'il était au sein de la société, et se voyait réaffecté au département recherche et développement du studio AM Plus, dédié au marché de l'arcade. Dans une interview accordée à 1UP l'année dernière, Suzuki se souvient de cette période décevante : "Les choses ont changé à Sega et mes concepts n'étaient pas approuvés. C'était frustrant, car qui peut porter un jugement sur quelque chose qui n'a pas été fait auparavant - quelque chose de nouveau ?"

Pour l'heure, Yu Suzuki a dû se contenter de revoir ses ambitions à la baisse. Après la création de son propre studio (YS Net) en 2009, le game designer s'est attelé à ressusciter la licence Shenmue d'une façon qu'on n'aurait pas soupçonnée : via le mini-jeu social Shenmue City, publié par Sunsoft pour la plate-forme de jeux Yahoo! Mobage Town (PC et téléphones portables). Il faut voir la vérité en face : il serait utopique de croire en un retour en grâce de Shenmue par un éventuel et relatif succès d'un mini-jeu disponible sur les seuls téléphones japonais. Que la frustration est grande de ne toujours pas connaître l'épilogue de l'histoire passionnante narrée dans les deux premiers épisodes. Mais quelle doit être plus grande encore pour son auteur, qui a le concept et les derniers chapitres de l'histoire depuis des années, mais qui n'attend plus que le feu vert d'une boîte qui ne semble plus lui accorder sa confiance et certainement pas son budget.

Interrogé sur l'influence qu'il a perdue chez Sega après le rachat par Sammy, Yu Suzuki ne se l'explique pas : "Acheter une société signifie acheter les gens de la société, donc je présume que Sammy a fait ses recherches avant d'acheter Sega. [...] Ils se sont penchés sur la manière dont la société est dirigée et la hiérarchie au sein de la société. Je présume qu'ils ont interrogé des personnes au sein de Sega pour avoir une idée de la façon dont les choses fonctionnent, mais je ne sais pas." Concernant Shenmue, on peut se mettre à la place de Sega et comprendre pourquoi ils se montrent toujours réticents quant au troisième épisode. C'est d'abord un projet qui, remis sur les rails, n'aurait rien perdu de son ambition. Les coûts de développement des blockbusters n'ont pas franchement baissé... et Shenmue (sorti en 1999) est d'ailleurs toujours dans le top des jeux vidéo les plus coûteux. Mais pas celui des plus rentables ! Enfin, rien ne dit qu'un nouvel épisode pourrait atteindre davantage de joueurs en 2011 que ne l'ont fait les deux premiers il y a dix ans. Mais les hypothèses et études de marché n'expliquent pas la mise à l'écart honteuse d'un créateur autrefois précieux pour Sega, en tout cas toujours reconnu par les joueurs et le reste de l'industrie. Aujourd'hui, Yu Suzuki ne semble plus tenir qu'un rôle de consultant chez Sega. Et ses futurs projets nous sont encore inconnus. En espérant que l'intéressé apportera la lumière sur ces zones d'ombre, et pourquoi pas au prochain Toulouse Game Show les 26 et 27 novembre, où il sera présent ? Sur le site de son studio YS Net, Suzuki-san nous fait au moins une belle confidence : "Je ne peux m'arrêter de faire des jeux". Il nous tarde de jouer au prochain.