Si les rues de Vigrid reflètent l'image d'une Europe ancrée dans ses traditions, on est loin avec Bayonetta de la sorcière dépeinte par les inquisiteurs dans le Malleus Maleficarum. Celle-ci n'est plus possédée, non. C'est elle qui nous possède. Et ce n'est pas par le bout du nez qu'elle nous mène.

L'image qui nous vient spontanément en tête, dès lors qu'il est question de sorcière, est pour une grande partie l'héritage que nous en a laissé l'Inquisition médiévale. Qu'elle revête l'aspect d'une vieille femme verruqueuse, popottant ses concoctions au-dessus de son chaudron, ou celui d'une nymphette si désirable qu'elle en pervertie les hommes au point de les pousser à commettre le péché de chair - pauvres, pauvres hommes... - elle est avant tout une femme que sa faiblesse, tant physique qu'intellectuelle, rend prédisposée aux tentations du Diable. Rien de plus qu'un suppôt du Malin dépourvu de toute force de caractère.

Le parallèle avec la place de la femme dans la société médiévale est évident, et c'est bien là le point d'achoppement du mythe : il n'est jamais autrement question que du rôle de la Femme dans toutes ces histoires de Sorcellerie.

Les exemples ne manquent pas, si l'on en vient à remonter le cours de l'Histoire. Aussi proche de nous qu'il soit, celui de Samantha, l'héroïne de ma Sorcière bien aimée, n'en est pas moins parlant. Qu'est-elle au final, cette sorcière, sinon la bobonne type issue de la middle-class américaine des années cinquante, dont les maléfices se résument à entretenir son foyer à coups d'hocus-pocus nasaux ?

La sorcière n'est autre qu'un porte-parole de la condition féminine, un vecteur de vérité d'autant plus puissant qu'il agit en négatif, se jouant de ses créateurs - inquisiteurs, producteurs, artistes - pour mieux les piéger.

Si la Femme a sa place dans la production vidéoludique, et ce depuis que le jeu s'encombre de scénario, le rôle qu'elle y endosse a de quoi faire grincer des dents le cadavre de Beauvoir. Qu'elle soit femme trophée, à l'image d'une Peach qui accumule les miles entre son château et celui de Bowser, ou bien sidekick surpoitrinée, aussi utile à la narration que Paris Hilton à la société, rarement elle ne s'élève au-dessus des clichés sexistes véhiculés par la phallocratie dirigeante.

Et quand bien même elle s'y essaie, c'est timidement, ou pour mieux retomber dans le cliché, telle une Lara Croft se sentant obligée de compenser son audace par un bonnet D qu'elle exhibe sans pudeur à la une des journaux à scandale.

Longtemps la femme dans le jeu n'a été que le distillat d'une pensée masculineprimaire teintée de nerdisme. Une tendance, pourtant, qui depuis quelques années tend à s'étioler. Ainsi Faith, l'héroïne de Mirror's Edge, porte avec fierté, quoi qu'encore un peu maladroitement, son statut de femme indépendante. De même Lightning, issue du dernier Final Fantasy, bien loin de la douce et naïve Yuna, penchant fadasse du fantasme geek, celui de la gentille fille malléable un peu nunuche. Mais si, vous savez, celle qui nous apporte nos bières en tenue de soubrette lors de nos soirées lan...

Le vent tourne pour la gente féminine dans le monde du jeu, et comme à chaque changement de statut, son vis-à-vis sorcier l'accompagne. Il est, comme au Moyen Age, le héraut excessif d'un message sans doute un peu biaisé, mais porteur de vérité. La sorcière crie au monde ce qu'est la femme. Bayonetta le crie au monde. Et ce qu'elle a dire, messieurs, c'est que votre phallus hypertrophié, va falloir voir à ce qu'il reste sagement dans votre slip kangourou.

Car la miss n'est pas là pour faire le jeu des lubriques. Et si elle sait mettre ses formes avantageuses en valeur, jouer du croupion de manière incendiaire et judicieusement se dévêtir pour nous émoustiller, c'est avant tout pour mieux nous frustrer. Do you want to touch me ? assène-t-elle aux anges venus s'y frotter, avant de les occire de la plus sadique des manières.

Et pas plus que les envoyés du ciel les joueurs n'auront droit à leur part de frivolité. Car qui s'approche de la belle en fait les frais, qu'il soit là pour manger des mandales ou pour tenir la manette. Le peu de plaisir coupable qu'elle nous accorde se paie chèrement, au travers d'un gameplay sans concession et d'une difficulté diabolique, qui sanctionne la moindre errance d'un Game Over humiliant.

Bayonetta domine. Punit. Elle aguiche puis malmène sans jamais se donner au joueur qui, engourdi des heures passées sur des jeux casuals, se verra rabaissé, au moins le temps des premières parties, au rôle de tanche anémique, renvoyé au temps de ses débuts sur NES, quand les jeux trichaient pour le faire perdre.

 

Sorcière sadique, Mater Dominatrix, Bayonetta marque l'avènement de la femme nouvelle telle qu'elle est amenée à peupler les jeux de demain. Renvoyant Spice Girls et féministes des premières heures dos-à-dos, elle assume sa féminité sans jamais paraître soumise, trace sa route tout en foulant du pied les clichés accumulés par des années de condescendance, et nous rappelle à sa manière que la femme est l'avenir du jeu vidéo.