Pour mon premier dossier, je voudrais chercher à détailler à froid une histoire vieille de 5 mois. Je vais revenir sur "The Nintendo Incident", faits qui remontent en ce début d'année 2013 (février, plus précisément) et qui se sont cristallisés vers le 15 mai, suite à un billet Facebook d'un certain Zack Scott.

Commençons par un historique et une explication du contexte.

Février 2013, Kyoto, siège de Nintendo, 8h30, salle de réunion 84K, 2ème étage (oui, je brode, mais c'est mon texte, je fais ce que je veux) : dans ce bureau va se prendre une décision, après tout légitime, qui va générer tout ce tumulte : Nintendo annonce devenir partenaire de Youtube et enregistre l'ensemble de ses copyrights dans la base de données, profitant ainsi du "Content ID Match" de la célèbre plateforme de partage de vidéos.

Première parenthèse : "Qu'est-ce que le "Content ID Match" et comment ça marche ?" Merci Michel, c'est une très bonne question.

Il s'agit (pour simplifier) d'un moteur de recherche interne à Youtube d'identification de contenu. En pratique, ce moteur examine et compare le contenu vidéo à celui d'une base de données fournie par les légitimes propriétaires du sujet original, déposé de manière officielle sur Youtube et donc couvert par un copyright. Il reste néanmoins possible pour tout un chacun d'utiliser du matériel couvert par ces droits à condition de faire preuve de bon sens, en particulier par une utilisation partielle de ce contenu ou de ne pas chercher à en tirer un quelconque bénéfice financier.

Autre point qui mérite un éclaircissement : Toute violation de copyright n'implique PAS nécessairement le retrait du contenu incriminé ! La réponse adaptée est laissée au choix du détenteur des droits, qui dispose en pratique de trois moyens d'actions :

1. Evidemment, le contenu peut être bloqué, totalement ou partiellement (par exemple en supprimant juste la piste audio).
2. Le contenu peut être "tracé" : c'est globalement la plus permissive des réponses ; le contenu est laissé intact, mais le détenteur des droits dispose d'un droit d'accès aux données de ladite vidéo.
3. Enfin, le contenu peut être monnayé par le légitime propriétaire (c'est ce point qui nous intéresse le plus)

"Monnayer le contenu d'une vidéo violant certaines règles de copyright" ("Les sous-sous dans la popoche"©, les Inconnus) ? Oui, c'est possible. Oh non, ne vous inquiétez pas, vous ne verrez pas arriver une facture de Nintendo (ou d'autres) dans votre boîte aux lettres. Le fonctionnement de ce détournement de fonds parfaitement légal est plus simple : En fait, l'ensemble des revenus générés par la publicité (par le biais des bannières de pub, des mini-vidéos, etc...) qui aurait dû profiter à l'auteur de la vidéo est au contraire reversé au détenteur des droits initiaux. "Ô rage, Ô Désespoir !" (Je me permets, parce que c'est désormais tombé dans le domaine public...).


Avant de continuer sur notre affaire, et donc d'exposer le cas de Zack Scott, je fais ici ma seconde parenthèse : "Qu'est-ce qu'on entend généralement par Youtuber ? Qui est Zack Scott ? Que fait-il ? Et qui a mangé mon Nutella ?"

Les Youtubers sont des utilisateurs de... Youtube, qui postent très régulièrement des vidéos, y possèdent leur propre chaîne et génèrent de manière assez conséquente du contenu (et donc des vues), généralement sur les sujets qui les passionnent (jeux vidéo, politique, bébés, sports, chats, etc...). Ce "travail" (aussi petit soit-il) permet par le truchement d'une mécanique bien huilée (en clair d'un algorithme de calcul de clics) de reverser une partie des revenus publicitaires aux dépositaires desdites vidéos. De petits chiffres, certes, mais qui revêtent une importance non négligeable pour la survie de la chaîne ; une manière assez idéale de pouvoir couvrir les frais de ceux qui proposent du contenu. Exactement ce que font les LongPlayers, par exemple, en proposant des Walktrough de jeux... Dont des jeux Nintendo.

Dans ce cas particulier, je vais faire une rapide description de Zack : c'est donc un Youtuber (on s'en serait douté, n'est-ce pas ?) qui propose, entre autres, une chaîne dédiée à des solutions complètes de jeux, en particulier ceux de Nintendo dont il se revendique être fan. Sa chaîne compte plus de 380 000 abonnés pour plus de 130 000 000 de vues ; il y poste une bonne moyenne de 200 vidéos par mois (calcul effectué par mes soins, mais cela donne déjà une bonne idée du volume de travail). Là, normalement, vous devriez comprendre où l'on va en venir...

En effet, parmi les mesures proposées par le ID Match, Nintendo a choisi celle qui consiste à se faire monnayer son contenu. D'où le mécontentement des LongPlayers et de Zack Scott en particulier, se fendant d'un message sur sa page Facebook, en date du 15 mai (voir sources) relayé et soutenu par une bonne partie de ses fans mais également de studios indés, blogueurs, communautés d'autres LongPlayers, etc.... La réalité est en revanche bien plus nuancée : Nintendo a eu une manœuvre malheureuse et une communication bien mal maîtrisée, s'attirant ainsi les foudres d'une bonne partie de diverses communautés d'Internet. Leur volonté initiale étant celle de ne pas injustement supprimer le contenu incriminé, comme le précise ce communiqué de presse (ici, envoyé au site Gamefront, toujours le 15 mai) :

Pour la majorité des vidéos de nos fans, cela n'aura aucune incidence, cependant, pour ces vidéos incluant du contenu propriétaire de Nintendo, comme des images ou du son d'une certaine durée, de la publicité apparaitra désormais au début, en marge, ou à la fin des clips. Nous continuons à désirer que nos fans prennent du plaisir en partageant du contenu sur Youtube, c'est pourquoi, à la différence d'autres sociétés de divertissement, nous avons choisi de ne pas bloquer les personnes utilisant nos propriétés intellectuelles.
Nous en venons aux deux points clés de ce dossier :

• Le premier point étant, à mon sens, la réaction de Zack (et consorts) que je trouve particulièrement intéressante et qui a le mérite de soulever une excellente question. Pour lui, un jeu vidéo à la différence de toute œuvre "figée", comme un film ou de la musique, est une expérience audiovisuelle unique qui inclut la part d'interactivité avec le média ; en clair, est-ce que l'œuvre en elle-même est juste le jeu (une succession d'images et de sons), ou est-ce la partie jouée par le joueur, comportant son niveau d'expertise, ses erreurs, son avancée, etc... ? Où se situe la limite exacte, dans ce cas, de la propriété intellectuelle ? Je trouvais ce point de vue particulièrement pertinent. Malheureusement, il ne donnera jamais lieu à débat puisque juridiquement un jeu vidéo est un "logiciel" et il est couvert par les copyrights en vigueur dans les pays où il est commercialisé. De plus, les moyens d'action de Zack ne pourront se limiter qu'au simple boycott des Walktrough de jeux Nintendo, ce qui aura pour effet de faire perdre à Big N. une part de visibilité de ses jeux (ce qui est toutefois assez maigre, il faut l'avouer).

• Le second second point est la mise en avant de cette "affaire" Nintendo VS Zack : dans une période où la perception de l'image de Nintendo était aussi amochée, était-il réellement nécessaire de se créer une aussi mauvaise publicité ? Relayée qui plus est par la gronde des diverses communautés. Il faut savoir que Nintendo ne s'en est pas uniquement pris à Zack, mais également à d'autres chaînes, parfois bien plus grandes comme Machinima ou TheGameStation... Alors, sommes-nous en face d'un premier cas sans précédent ?

Eh bien, non ! Pas du tout, même... En 2011 déjà, certains fans de Killzone 3 avaient reçu des notifications de ID Content Match liées à la franchise de Sony. Depuis octobre 2012, Microsoft réclame sa part de revenus sur les vidéos de ses titres first-party (tous ! sans exception !). SquareEnix a décidé de monnayer tout contenu sur FFXIII. Sans oublier EA qui a appliqué la même règle à Battlefield 3. Capcom avec Resident Evil 6, Bethesda, Konami et même SEGA (pour des morceaux de ce bon vieux Shining Force) ! Où étaient donc toutes ces voix scandalisées par "l'affaire" Nintendo VS Zack lorsque d'autres éditeurs utilisaient les mêmes procédés, voir des pires ?

Cinq mois ont passé et l'on peut désormais revenir sur cette affaire avec un peu plus de recul... Nintendo a simplement été la goutte d'eau d'une pratique courante depuis des années. Soyons clair, la sympathie envers les jeunes Youtubers derrière les vidéos cherchant à véhiculer leur passion est naturelle et réelle. Ils nous transmettent leur enthousiasme, communiquent, nous permettent de nous ouvrir à d'autres goûts et c'est formidable ! Mais si pour se faire il faut qu'ils utilisent du contenu qui appartient à d'autres, est-ce normal que celui qui possède les droits soit le créateur du puzzle et non celui qui a assemblé les pièces (ou vice-versa) ? Brave dilemme...

Et si l'on faisait fi maintenant de ce problème philosophique pour se demander Pourquoi ce choix de la part de Nintendo ? D'une, force est de constater que Zack et les autres n'ont pas mis leurs menaces à exécution et qu'ils continuent de proposer du contenu Nintendo sur leurs chaînes. A croire que la part de revenus sucrés par Nintendo n'est finalement ni si importante en terme quantitatif, ni préjudiciable pour le Youtuber.

De deux, je rappelle également que depuis quelques mois, Iwata a repris le poste de CEO de Nintendo of America déclarant sa volonté d'accélérer les process dans un marché de plus en plus globalisé, en évitant de multiplier la bureaucratie entre le Japon et les USA. On pourrait ainsi imaginer dans l'esprit d'Iwata une volonté de contrôle de leur propriétés sur Youtube et, pourquoi pas, continuer de croire à l'instar de Sony et de sa future PS4 à une éventuelle chaîne de partage Youtube de vidéos créées par des utilisateurs de WiiU.

Après tout, pourquoi pas ? Nintendo possède bien déjà une telle proposition sur Youtube, active et fonctionnelle, mais également un réseau social propriétaire : Le MiiVerse ! Et si de cette apparente volonté de contrôle naissait finalement une plus grande ouverture vers ce partage communautaire tout en permettant à Nintendo de continuer de centraliser ses communications, comme ils le font avec les Nintendo Direct ? Avec la récente apparition du MiiVerse également sur PC et Smartphones, pourquoi pas une unification de la communauté autour de Youtube et de son partage de contenu ? Nintendo semble finalement prendre pleinement conscience de la portée d'Internet et vouloir exploiter pleinement ce réseau. Simplement, avec la firme de Kyoto, rien ne sert de s'emballer... La patience est la vertu première de son noyau de fans et la réactivité immédiate n'a jamais fait partie de son identité. Si intégration, partage, exploitation communautaire il y aura, nul doute que cela prendra du temps... D'ici là, il ne nous reste plus qu'à attendre.

Sources (diverses, chaque site n'est cité qu'une fois mais renvoie tant que possible vers une page en lien sur le sujet) :
Multiplayer.it I Gamefront.com I Facebook • le billet de Zack Scott I Youtube, la chaîne de Zack I Google support - Youtube ID Match, divers.