Ca y est, c’est bon, la presse, les blogs, les forums, et autres médias plus ou moins sociaux ont –comme à leur habitude – livré leurs retours à chaud sur le Week-end de présentation de la Nintendo Switch, console hybride à tous les niveaux. Après avoir bien squatté le PC familial à la recherche de plusieurs sources, au détriment de ma femme et mes gosses, et bien que je n’ai pu l’essayer de « vive-main » (comme de vive-voix, mais à la main) ; je me lance dans l’exercice du retour à froid.

Premier constat : Le prix (du moins dans les pays d’Europe assez riches pour accueillir les migrants, euh… cette future console) fait l’unanimité ! Tout le monde est d’accord : C’est cher ! Trop ? Ca je ne sais pas. Enfin, disons plutôt que personne ne sait. Parce que personne ne sait ce qu’elle embarque réellement comme technologie (officiellement). Ce qui fait mal, c’est que la console est vendue nue, « à poil »… enfin, sans poils du tout, même. Pas de jeu, pas de compil’ de mini jeux pour se faire la main, pas de démo (à priori) proposés dans la boîte. A côté, pas même un petit bundle des familles. Tout est (toujours) une question de communication. Et la comm’ chez Nintendo, c’est la même philosophie qu’avec leurs jeux : « Facile à prendre en main, difficile à maîtriser ». 

Avant de continuer, je vais d’emblée vous livrer mon impression personnelle à moi, et c’est très probablement la même que la votre : je suis assez refroidi. Suffisamment pour ne pas me jeter à l’achat compulsif DayOne, et sagement attendre. Comme ça, vous savez. Bien, on peut reprendre et se demander ce qu’est –finalement- cette Switch ? 

Un avis subjectivement objectif.

Pourquoi le choix d’un oxymore comme intertitre ? D’une, parce que certains d’entre vous pourront briller devant leur femme (et espérer plus ce soir) en découvrant le nom de cette figure de style qui consiste à juxtaposer deux termes opposés, et de deux parce que je trouve que l’oxymore est l’idée qui, de prime abord, caractérise le plus cette machine : mettre côte-à-côte deux aspect du jeu qu’à priori tout oppose : le salon et le nomade. Mais ça, c’était avant, comme on le dit dans le monde des opticiens. Parce que la Switch n’est pas réellement ça. Ce n’est pas réellement une hybride entre la console de salon / la tablette / la console portable ; enfin ce n’est pas seulement ça.

Pour bien comprendre, il faut se pencher sur deux points. Le premier est la philosophie qui a guidé le développement de la console ; le deuxième est un petit jeu anecdotique pour certains ; mais qui prend une toute autre ampleur quand on prend un poil de recul : 1,2 Switch !

Je pense que beaucoup n’ont pas vu l’innovation majeure de 1,2 Switch : c’est le premier jeu video qui n’a pas besoin d’écran (et on en revient en mon oxymore !) ! Tournez ça comme vous voulez, mais c’est bel et bien une première. Ce n’est pas pour rien, ni par hasard, si Nintendo a choisi de le montrer en tout premier : il explicite le point fondamental de ce qu’est réellement la Switch (et là je fais une parenthèse : s’il vous plait Big N faites un MAJ Day One qui intègre ce jeu, parce que autant novateur soit-il, à 50 € la compil de mini jeux, ça fait mal) : C’est la toute première console de table ! Une vision « Nintendienne » du jeu de société video entre tradition et modernité. Un retour à la convivialité « physique », qu’ils avaient malgré eux perdus sur l’ère WiiU, dans une époque du « tout-connecté » et où les interactions sociales entre individus jouant à des jeux se limitent bien souvent à s’insulter gaiement via un casque-micro interposé ! Qu’elle est loin cette époque où je pouvais gagner un combat dans Street Fighter ou une course sur Wave Race en mettant un judicieux coup de coude à mon voisin de gauche au moment opportun dans le monde bien réel (et tous ceux qui ont connu l’âge d’or du média dans les années 90’ l’ont fait, bande de traitres) !

Pour en « reviendre », comme dit mon gamin, à la philosophie de la Switch ; elle est la synthèse des apports des 30 dernières années de Nintendo. C’est la somme de l’expérience accumulée par les différentes consoles du constructeur :

On y retrouve pêle-mêle la portabilité du premier GameBoy, l’écran tactile de la DS, les deux manettes intégrées de la NES/SNES, le motion control de la Wii, le multi local à 4 de la N64, la convivialité voulue par la poignée du GameCube (et j’en passe : vibrations, support cartouche…). La Switch est le concentré, l’expression ultime des savoir-faire hérités de Nintendo dans une machine tout-en-un.

Nouveau concept ou con…sceptique ?

Au grand dam des pseudos-journalistes et de leurs analyses tout autant fumeuses que leur niveau d’expression française (pour certains), dire que Nintendo « innove » est un non-sens absolu ! Oui, big N prends des risques, oui, il se place avec une offre différente (ou complémentaire,  je vous laisse choisir) à celle de ses concurrents, oui il crée un segment de marché qui n’existe pas (encore que la réalité est qu’il se contente de rendre « grand public » un marché de niche pré-existant) et oui, il vise un marché plus large (et malheureusement volatile) que celui du « joueur grand public ». Mais dire que c’est de l’innovation n’est qu’une ruse de journaleux du dimanche pour espérer porter une plus-value à un article tellement consensuel qu’il interroge sur l’intérêt même de sa rédaction.

Comment parler d’innovation quand –en y regardant de plus près et en évitant les spéculations basées sur des ressentis « à chaud »- on constate (parce que c’est un constat, il n’est même pas besoin de faire preuve d’une quelconque forme de réflexion) que d’une, ce que la Switch propose est une mise à jour de l’ensemble des concepts déjà proposés par Nintendo dans leurs machines des 30 dernières années et que, de deux, la stratégie marketing est encore et toujours celle du « blue ocean » (sans aucun jugement de valeur de ma part, puisque je la trouve pertinente) ?  On est tout simplement dans un concept à la mode, celui du « neo-retro » comme défini par les marchés automobiles (nouvelle Mini, Fiat 500,…), vestimentaires (vintage), de la cuisine (retour à l’authenticité), etc…

La seule innovation, au sens littéral du terme, est celle de proposer ce concept de « neo-retro / jeu de société multimédia » dans un marché du Jeu Video conduit jusque là par la course à la technologie et donc enfermé dans ses dogmes tellement codifiés qu’ils en sont à la limite de l’implosion. Ce n’est pas une vision d’esprit, c’est une réalité d’un marché où des petites productions modestes ont du mal à coexister face à des triple A aux budgets toujours plus conséquents. Où ces mêmes AAA éprouvent des difficultés à atteindre leurs objectifs : Dishonored 2, Watch Dogs 2, Ass Creed Unity, voire même le dernier COD (infinite warfare) qui n’arrive pas à atteindre 10 millions de ventes là où les meilleurs épisodes tournent autour de 25 M (on parle de COD, une série annuelle qui ne se vend pas nécessairement sur la durée). Autre idée reçue, le marché compte-t’il vraiment de plus en plus de joueurs ? Ca reste à prouver car les ventes de hardware racontent, elles, une autre vérité : sur la génération précédente (Wii, PS360, DS, PSP) en 7 ans, il s’est vendu 500 millions de consoles (toutes confondues) ; la gen actuelle, en moitié de temps en est à environ 160 millions. Ils sont où ces fameux « joueurs supplémentaires » ? Ah, c’est l’essor des tablettes/Smartphones qui fausserait le calcul car il s’était vendu plus de consoles portables ? Voyons, Gén précédente : 260 millions de consoles de salon soit env. 55% de parts de marché ; Gén actuelle 85 millions, soit toujours 55% env. de PdM… Envolées les belles histoires sur l’état du marché. En réalité celui-ci n’est pas en plein essor, mais dans un période d’incertitude où la seule réponse visible à moyen terme semble être à la concentration (studios, équipes, éditeurs, etc…).

Après cet interlude où je vous laisse le droit de me cracher dessus, je retourne donc sur mon mouton –à savoir la Nintendo Switch- pour tenter d’y trouver sa place dans ce marché. A mon sens : l’offre proposée par la Switch est indispensable, non par car elle propose une innovation (puisque ce n’est justement pas le cas) ; mais par son positionnement alternatif ; par cette volonté (peut-être pas encore assez assumée du côté de chez N) de réintroduire le motion gaming et les party-games raclette à plusieurs en le juxtaposant à des jeux plus traditionnels (ce qui avait manqué à la Wii à son époque) et en y intégrant cette composante identitaire forte : Play anywhere. Tenter de faire se côtoyer les raisons de la réussite de la Wii avec une offre plus proche du catalogue qu’a été celui de la GameCube, c’est bel et bien mon idée de départ : l’oxymore !

Car, à l’extrême limite, la machine n’est pas intéressante en elle-même, c’est la vision qu’elle propose qui le devient. Elle pousse les acteurs à sortir de leur zone de confort, la course technologique, pour les emmener vers plus de diversification. Elle leur propose divers outils (motion gaming, multijoueur local en mobilité, hybridité,…) pour limiter le phénomène de concentration évoqué plus haut et proposer une alternative à ma vision pessimiste de ce marché au seuil de l’implosion. Est-ce que l’ensemble des acteurs (éditeurs, développeurs, mais aussi et surtout consommateurs) suivront ou comprendront l’intérêt, pour eux, de la démarche ? A l’heure actuelle, sur son marché intérieur (le Japon) cela semble être le cas au travers du soutien de Square, Koei, SEGA,… bien qu’au moment où je tapote gentiment sur mon clavier les précommandes sur l’archipel ne soient pas encore ouvertes, il n’y a donc pas de recul sur l’engouement éventuel des futurs acquéreurs. Pour le marché occidental, en revanche, les questions demeurent… Et ce n’est pas la frilosité des annonces qui rassure. Bien sûr que suite à l’échec de la WiiU, les éditeurs ne sont pas disposés à prendre des risques sans garantie de retour sur investissement. Mais ont-ils conscience qu’il puisse s’agir d’une façon pour eux de s’ouvrir vers d’autres segments, une offre alternative, et somme toute viable car à mi-chemin, entre leur héritage de jeux traditionnels et l’Eldorado inconnu du marché des jeux mobiles aux perspectives intéressantes mais au business-model encore trop incertain ?

L’avenir de la Switch dépendra énormément de sa première année : quelle image cherchera à véhiculer Nintendo autour de cette console et quelle en sera la perception du public ? En cherchant à proposer cette offre alternative, ce joyeux fourre-tout à la croisée de toutes les expériences du JV à ce jour (mobile, traditionnel, motion-gaming, et peut-être VR, mais rien n’est moins sûr) et proposer une console unique, globale et nécessairement hybride, Nintendo prends un gros risque : celui de chercher à (ré-)concilier l’ensemble de l’industrie autour d’un seul objet. Celui-ci sera-t’il fédérateur et assistera-t-on à la multiplicité des offres (en terme de différenciation) sur la plateforme, ou celle-ci ne sera-t’elle qu’une ènième console sous-exploitée pour ses gimmicks inutiles ? Là-dessus, je suis catégorique : le futur, c’est l’avenir ! Et seul celui-ci nous dira s’il s’annonce d’ores et déjà intéressant pour la pérennité du business model, non seulement de la Nintendo Switch, mais aussi et surtout de l’industrie dans son ensemble.