Quand la présence de l‘observateur influe sur les résultats…

Loin des théories de la physique quantique, il est évident que la presse spécialisée, acteur important dans le milieu du jeu vidéo, ne peut être un observateur d’une neutralité absolue. Même si les chiffres de ventes (GFK ou autres) ne sont pas destinés au grand public, le journaliste se sent le besoin de les exposer afin de proposer une analyse pertinente. Mais les chiffres bruts, ce n’est pas très intéressant de prime abord, ils ne doivent servir qu’à étayer les conclusions du rédacteur. Proposer un comparatif permet, en un clin d’oeil, au lecteur aussi peu assidu que pointilleux de se faire une opinion rapide des forces et faiblesses de chaque élément comparé. Encore faut-il que les points de comparaisons soient identiques et sans parti pris…

Quel fut donc l’étonnement de tomber sur un article, ce mercredi 22 janvier, pourvu de graphiques comparant les ventes, en France, de chaque machine entre elles sur une période donnée (toute l’année 2013). On se pose la question suivante : quel est l’intérêt d’une analyse aussi limitée ? Tant qu’à analyser l’écart de la Wii U par rapport aux autres, autant y aller à fond et tout décortiquer, non ?

Certes, il est facile de faire une simple addition des ventes du 1er janvier au 31 décembre et de faire un classement, mais il aurait été plus judicieux d’aller plus loin en calquant le démarrage de chaque machine. En effet, le lancement avant les fêtes de fin d’année donne des chiffres de ventes bien plus élevés que les mois suivants…

Du coup, le graphique est moins flatteur pour la Wii U et on constate qu’elle fait un moins bon démarrage que la Xbox One, ce qui est déjà pas mal face à la PS4…

Par contre, on a un souci avec les chiffres (Gfk ?) avancés. Au début de l’article, on apprend que 178.000 Wii U ont été vendues en 2013, portant le parc à 300.000 unités. On en déduit que 122.000 ont trouvé preneurs en 2012 (300.000-178.000=122.000). Or, plus loin, le chiffre se réduit à seulement 110.000 ! Où sont les 12.000 Wii U manquantes ?

Mais à quoi peut bien servir un graphique qui compare la moyenne de machines vendues par jour ?

On a rarement vu ce type de comparatif dans un média, même spécialisé… Seuls les distributeurs font ce genre de calcul mais uniquement sur les valeurs et afin d’analyser la fréquentation des caisses de chaque point de vente par jour, et même par heure ! Connaître les quantités de consoles vendues quotidiennement permet surtout de détacher du C.A. les produits à fortes valeurs et de détailler le panier moyen en conséquence…

Quel est l’intérêt journalistique de cette présentation peu conventionnelle à un public non averti sur ces méthodes de calcul ? Mais surtout à quoi bon confronter deux consoles commercialisées depuis à peine un mois à une autre durant toute une année et dont  on sait pertinemment que les 6 mois suivants la sortie ont été très calmes.

Voici ce que donnerait le graphique si on calquait la sortie des 3 consoles ensembles :

D’un seul coup, la Wii U passe de 488 à 3812 unités par jour !

Toutefois avec autant de jours de commercialisation (entre sa sortie et le 31 décembre de la même année) que la PS4, la Wii U se défend un peu mieux que la Xbox One en quantité vendue quotidiennement. Mais tout est relatif, si on prend en compte les ruptures ayant pénalisées la dernière-née de Microsoft.

On le sait désormais, toutes les PS4 et les Xbox One n’ont pas toutes été vendues le jour de leur sortie (peu étaient disponibles librement), mais grâce, surtout, à une longue et intense campagne de réservation, dont la presse s’est fait le relais efficace. En partant du postulat que chaque console réservée est déjà vendue et si on veut être au plus près des chiffres réels, on aurait dû prendre en compte tous les jours de la campagne de pré-réservation puisque c’est d’ailleurs comme ça qu’ont été vendues la majorité des consoles next-gen (22 février pour la PS4 et 12 juin pour la Xbox One) à défaut d’être présentes sur les étals.

Ce qui pourrait nous donner le graphique suivant :

  • PS4 : 766 unités quotidiennes sur 313 jours
  • Wii U: 625 unités quotidiennes sur 480 jours
  • Xbox One : 617 unités quotidiennes en 204 jours

C’est tout de suite moins impressionnant ! Les détracteurs de mon analyse vont me renvoyer dans mes pénates en me précisant que je n’ai pas pris en compte les réservations de la Wii U. C’est faux, cette campagne a juste démarré tardivement, en commençant timidement début septembre 2012 et n’a pas bénéficié de la surexposition de ses concurrentes.

Il est désormais acquis que la période de pré-réservation (et la méthode de promotion associée) ont une incidence sur les ventes et Sony a su en profiter bien mieux que ses concurrents. Si on replace donc chaque constructeur sur la première année de commercialisation et en incluant la période de prévente précédant la sortie officielle, le ratio vente/jour met bien plus en valeur la Wii U dans ce cas de figure…

  • PS4 : 766 unités quotidiennes sur 313 jours
  • Wii U: 1060 unités quotidiennes sur 115 jours
  • Xbox One : 617 unités quotidiennes en 204 jours

Et ensuite ?

J’ai continué ainsi à ce petit jeu dont les règles et le but me sont inconnus, j’ai fait un tableau comparatif avec d’autres consoles avec les chiffres de fin juin 2013

Ça ne nous avance à rien, car les chiffres de ventes parlaient déjà d’eux même et on s’en fout un peu désormais, non ?

Si le redacteur nous annonce un sulfureux 488 Wii U vendues par jour en 2013, un travail journalistique plus approfondi aurait été souhaité… Détailler la fréquence des ventes par période et en tirer une analyse pertinente, par exemple !

Peut-être qu’avec ce second tableau, vous allez enfin constater le regain de vente sur les six derniers mois de l’année 2013 et que la situation n’est pas si préoccupante qu’on veut nous le laisser croire. Peut-être est-ce dû à la sortie de nombreux titres de qualité sur cette période ?

Soufflet le chaud et le froid…

À l’image du planning de sorties des jeux Wii U, il est évident que la communication de Nintendo n’a pas été parfaite, mais celle de la presse française semble avoir fait mouche dans l’esprit de la communauté des joueurs qui suivent assidument le fil de l’actualité.

 

Au-delà de la faute d’orthographe passée inaperçue, il vient d’être démontré que les chiffres se manipulent facilement et orientent forcément le lectorat (volontairement ou pas), que le journaliste a une réelle influence sur ses dizaines de milliers de lecteurs dont certains ont l’esprit critique peu développé et qu’un article, qui se veut soit disant anodin, a forcément des conséquences !

Parfois, il serait bénéfique pour certains, à la plume prolixe, de lire (ou relire) ce magnifique poème de Nicolas Boileau, « Il est certains esprits… ».