J'ai maintenant un billet et quelques paragraphes pour vous vendre Binary Domain et vous convaincre que ce TPS baveux est un petit bijou de fun et de série B totalement assumé, généreux et plein de bonne humeur. Le jeu est la création Toshihiro Nagoshi, déja à l'origine de la série des Yakuza, et qui se lance dans de la science-fiction internationale avec comme prétexte un scénario basé sur l'intelligence artificielle et le concept de l'humanité.

 

Bref, un jeu qui se veut sérieux, qui y arrive de façon étrange par moments par son discours étonnamment pertinent dans certaines séquences, surtout sur la fin et qui arrive même à poser ses thèmes à lui. L'action se déroule en 2080, dans un Tokyo futuriste où une petite escouade américaine se retrouve à infiltrer la ville pour se rendre chez Amada, une société de robotique qui est à l'origine d'un incident où un robot déguisé en humain, appelé Simulacre, a pété les plombs en découvrant lui-même qu'il était un robot. Ce simulacre étant estampillé Amada et voyant le danger de ces robots déguisés en humains, le gouvernement américain décide d'envoyer cette équipe récupérer des données. Les deux américains, Dan (que vous contrôlez) et Big Bo retrouveront Charlie et Rachaels, des anglais, et Faye, une espionne chinoise pour infiltrer la ville de Tokyo qui enverra une armée de robots les arrêter.

Un pitch de départ qui ne donne pas franchement envie. Mais c'est là les petites choses qui rendent l'histoire sympathique à suivre: le scénar se poursuit sur une unité de temps et unité de lieu. A la manière d'un Vanquish, le héros débarque dans un environnement qu'il ne connaît pas, qu'il va apprendre à connaître et va aller de bloc en bloc jusqu'au repaire du grand méchant. On passe donc aux quartiers pauvres jusqu'au super bâtiment moderne. Une structure somme toute classique, mais qui fonctionne bien mieux que beaucoup d'autres jeux d'actions qui tentent de nous faire voir du pays en coupant la scénarisation avec des ellipses histoire d'aller aux quatre coins du globe. Le fait de faire tenir le jeu sur une courte durée dans le temps et de rester dans un lieu restreint (une ville, quoi) permet de se prendre au jeu beaucoup plus facilement. Une narration qui a toujours permis d'avoir un jeu plus fluide, plus immersif, où le joueur se sent beaucoup plus impliqué dans l'action (Vanquish, déja cité, mais aussi Half-Life 2 par exemple)

C'est une des grandes forces du jeu: au-delà du gameplay, l'histoire, qu'on trouve bidon ou non, a le mérite d'accrocher le joueur, de mettre toujours l'homme aux commandes de son avatar. Les cinématiques ne servent principalement qu'aux dialogues, mais dès qu'il y a de l'action, on vous laisse les commandes. Une manière de renforcer ce côté "aventure", et donner l'illusion au joueur de vraiment s'investir dans l'histoire. Et ça marche du tonnerre. Surtout que pendant le jeu, Binary Domain montre un autre de ses points forts: les ennemis. Et vous aurez à affronter que des robots, jamais des humains (quoique, mais je vous laisse la surprise). Le fait de dégommer des ennemis sans âme, qui ne font qu'obéir à un programme crédibilise complètement leur IA et ont un certain côté défoulant vraiment jouissif. Foncer au fusil à pompe en faisant voler la ferraille dans tous les sens est extrêmement bien rendu, et l'équipe s'est vraiment amusé à multiplier les éclats et à désosser les robots pour rendre les joutes spectaculaires. Et ça fonctionne.

D'autant plus que les combats contre les robots permettent quelques petites subtilités. Dégommez la tête d'un robot et celui-ci se retournera contre ses potes. Dégommez le bras qu'il utilise pour tirer, et vous aurez quelques secondes de répit avant qu'il récupère une autre arme avec son bras valide. Dégommez ses jambes et vous le ralentirez en le forçant à ramper pour vous accrocher (et en devient plus vicieux, d'ailleurs). C'est fun, la variété des situations empêche toute monotonie et le fait que l'histoire soit autant au coeur du jeu empêche le soft d'être vraiment répétitif. Le titre fait environ une petite dizaine d'heures en normal, n'est vraiment pas difficile. Les seuls moments où je suis mort, c'est lors de QTE pas super bien foutu, mais il y en a quatre à tout casser durant tout le jeu. Le titre n'est pas toujours parfait, notamment contres les ennemis comme les boss qui ont tendance à frapper fort et à renverser le personnage, qui mettra loooooongtemps avant d'arriver à se relever complètement, ce qui donnera la possibilité au boss d'enchaîner ses attaques sans pouvoir faire grand-chose. Ce qui rend deux-trois passages potentiellement énervant. Mais le reste, c'est du TPS classique mais bien fichu, très bien même. Le perso bouge bien, il peut faire des roulades dans tous les sens et les armes possèdent une bonne patate.

La VF est une des perles du genre, renforçant le côté série B/nanard de manière grandiose (c'était peut-être voulu): entre le marseillais de la salle de briefing, Big Bo qui tente de placer toutes les répliques de black badass en un seul jeu et la chinoise qui parle français en essayant d'imiter la chinoise, c'est un festival de rigolades, d'autant plus que le jeu est souvent vulgaire pour tenter de placer des punchlines bien ridicules. A titre d'exemple, lors d'un rapport privilégié entre le héros et sa copine chinoise, après que celle-ci vous remercie pour ce moment, le jeu vous propose plusieurs choix de réponses, dont une réponse courte et franche: "Sal***!" Bref, un jeu tout en finesse mais qui fait rire par la maladresse ou l'esprit complètement assumée du jeu. Une des grosses features du jeu est la possibilité de communiquer avec vos coéquipiers. En gros, tirer sur vos équipiers plomberont leur confiance en vous, mais réagissez bien et répondez bien aux questions qu'ils posent et ils augmenteront leur confiance. Cela a plusieurs impacts comme le fait qu'ils prennent certaines initiatives pour vous aider si vos relations sont bonnes (tir de lance-roquettes, diversion, etc...) ou de ne pas vous aidez quand vous êtes à terre si vos relations sont mauvaises. Ça donne souvent des dialogues savoureux suivant les coéquipiers choisis. Une feature bien intégré, qui permet de donner un minimum de substance à la présence de vos équipiers et de ne pas les laisser sur le carreau. 

Cette thématique de la robotique n'est pas anodine. D'abord parce que le joueur se sent presque moins coupable de dégommer de la ferraille mais est-il véritablement innocent? Les robots présents dans le jeu sont partagés en deux: on trouve les robots "ferraille" à canon, qu'on affronte dans le jeu, et ceux déguisés en humain, les simulacres. Finalement, mis à part un semblant d'âme qu'ils possèdent et qui les fait vivre dans l'ignorance de leur propre identité, ces simulacres ne sont pas si différents des centaines de robots qu'on abat, la fleur au fusil. Et pourtant, le jeu montre sans cesse l'ambiguïté qui existe entre ces deux types de robots, la différence qui pose dans le jeu entre l'humanité ou non. C'est cette humanité dans les yeux d'un robot qui empêche certains personnages de les abattre, mais dès qu'ils enlèvent leur carapace, il n'y a plus de questions à se poser. La fin du jeu creuse cette ambiguïté encore plus loin en rapprochant les robots des humains et en question le héros sur ce qui nous différencie des humains. Dans ce sens, on est assez proche des thèmes abordés dans une série comme Battlestar Galactica, mais le côté série B empêche le joueur de s'y attarder vraiment.

Cet effet est renforcé par la bonne humeur du jeu en général. Même dans les situations qui sont censés être émouvants, on a du mal à s'y attarder parce que tout le jeu baigne dans une espèce de légèreté qui n'arrivera jamais à rejoindre la gravité de certains de ses propos, car noyés dans une réalisation très hollywoodienne et une action omniprésente. Ce n'est pas un mal non plus, le jeu bénéficie comme ça d'une réflexion très sous-jacente (peut-être trop?), mais n'empêche pas le jeu de perdre son objectif principal qui est de divertir, chose qu'avait un peu perdu un jeu comme Spec Ops: The Line, sans remettre en question l'énorme qualité de ce dernier.

Binary Domain est, objectivement, un très bon jeu. Toutes ses mécaniques de gameplay fonctionnent au poil, et sont même au service d'une histoire qui fonctionne de bout en bout. J'avais fait Ghost Recon Future Soldier juste avant qui m'avait gonflé par son sérieux et son incapacité à donner une personnalité aux héros (incapable de discerner mon bonhomme dans les cinématiques), et ce Binary Domain fait un bien fou. Tout en remplissant parfaitement son contrat de divertissement, il parvient à rendre un concept usé diablement fun par le contexte, la maîtrise de la narration et son côté série B totalement assumé, tout en réussissant à distiller des thèmes sur l'IA pas si con que ça. Certes, il possède quelques défauts (pas original, quelques passages agaçants, d'autres où il se passe moins de chose), mais rien qui n'empêche de prendre un sacré pied à parcourir le jeu. Une IA qui parle presque aux autres jeux du genre et leur montre que finalement, ce ne sont que des robots. Alors pourquoi ne pas les faire en vrai?