J'en profite pour placer une sorte de semaine spéciale, où vous aurez droit chaque jour à un billet sur une oeuvre qui m'a marqué et m'a fait rêver, pour de multiples raisons. J'espère faire découvrir à ceux qui veulent s'y mettre des petites perles qui leur parleront. La sélection a été délicate, et ce n'est pas dit que je place un petit billet supplémentaire pour parler de mangas supplémentaires que je recommande. Les liens vers les différentes parties (mis à jour au fur et à mesure) sont en bas de la page.

Pour compenser avec l'ultra-connu One Piece, voici un manga beaucoup moins connu, que j'ai découvert il y a peu, mais qui mérite clairement l'attention tellement il est sous-exploité, Bakuon Rettô. Au Japon, le manga s'est terminé à son volume 18 en concluant définitivement l'histoire. En France, on en est au 15 et j'attends patiemment la fin, mais je peux d'ore et déja dire que ce manga est mon coup de coeur. Attention, il est difficile de le trouver, moi-même j'ai dû commander le reste sur le net, même les volumes récents ne sont malheureusement jamais mis en avant.

Bakuon Rettô, c'est l'histoire de Takashi Kase, 15 ans, qui change une nouvelle fois d'école. L'histoire se déroule dans les années 80, et c'est aussi l'époque des bosozokus, les gangs de motards japonais passionnés de belels bécanes. Takashi ne va pas tarder à tomber amoureux de la moto et va se retrouver embarqué dans un gang de motards, les Zeros, et participe à son premier rassemblement, une gigantesque réunion où les motards circulent dans la ville la nuit pour faire vrombir les moteurs et imposer le respect. Takashi va devenir très proche d'eux, se teindre en blond et découvrir la vie et ses déboires, entre les dangers de l'activité qu'il pratique, les filles ou ses parents avec qui il n'a pratiquement aucun lien, alors que son père, cadre classique, rentre tous les soirs à des heures impossibles. Il ne trouvera refuge qu'avec ses nouveaux amis où il grimpera les échelons du gang au fur et à mesure.

Le manga a débuté en 2003, et la parution au Japon a été chaotique, avec un rythme de parution de plus en plus lent et des décalages entre les volumes qui pouvaient aller jusqu'à un an. L'auteur, Tsutomu Takahashi, s'est fait un peu connaître avec un manga dans les années 90 nommé Jiraishin, et continuera avec des mangas courts, comme Blue Heaven ou plus longs comme Sidooh. Takahashi raconte dans les éditos des volumes de Bakuon Rettô son passé de bosozoku, et où il compare parfois ses propres souvenirs avec ceux de son personnage Takashi. On voit de quoi il parle, il a vécu les mêmes choses, et on sent que l'auteur privilégie des évènements qu'il a vécu, ce qui rend le manga presque autobiographique. C'est ce qui rend Bakuon Rettô si honnête, si vrai, c'est cette façon de raconter l'histoire, on est plongé dans les sentiments de Takashi, et les dialogues sont principalement celle de la voix off, celle du héros.

Les zokus, bande de motards sans vergogne, sont divisés en plusieurs gangs, tous plus ou moins ennemis. Pourquoi font-ils ça? Qui sont-ils réellement? C'est à travers Takashi qu'on aura notre réponse, où il évoluera au fur et à mesure dans ce monde de la nuit, qui change du tout au tout lorsque le gang est sur deux-roues. La nuit, c'est le seul moment où ils peuvent s'en donner à coeur joie, lorsque les rues sont désertes. Leur but n'est pas d'embêter les habitants directement, mais de montrer leur liberté, leur chaos organisé. Sur une moto, Takashi se sent invincible, libre et innébranlable. Même lorsque la police tente régulièrement de les arrêter. Rouler en bande, parcourir des kilomètres à travers la ville en faisant le maximum de bruit avec leur moteur, voilà le véritable plaisir des zokus. Ça ne les empêchera pas de ne pas être confronté à la mort. Takashi y fera face, et pas qu'une fois. Ce plaisir est un plaisir dangereux, et même dans les moments où tout paraît calme, la mort trouve toujours une place.

 

Le plus passionnant dans ce manga, c'est l'évolution de Takashi. Faire partie des Zeros, cela représentera son passage dans le monde adulte. Il n'y restera jamais toute sa vie, et il commence à le comprendre très vite. Au fur et à mesure des tomes, Takashi évoluera. Il passera du collégien timide à un pré-adulte avec de l'assurance et une fierté presque maladive. Plusieurs fois le lecteur aura envie de lui mettre des claques pour le faire réagir, mais Takashi va apprendre la vie. Les bosozokus représente cet apprentissage rude de la vie, mis en écho avec cette société  japonaise. Le fait que ça se passe dans les années 80 n'est pas un hasard non plus, et les pressions sociales n'ont pas changé de nos jours. On le voit surtout grâce au père de Takashi, qui a lâché prise avec le boulot et sa femme, lors de rares moments où on le croise, et surtout une touchante scène où il emmène son fils manger un morceau, les seules cases où on aura l'occasion de le croiser et de découvrir l'impitoyable monde du travail japonais. L'école y jouera aussi un rôle fort, insistant sur la dégingrolade de Takashi sur son parcours scolaire et son avenir qui devient de plus en plus flou.

Takashi va aussi connaître l'amour, plusieurs fois, et cela fera aussi partie de son apprentissage. A travers deux filles que tout oppose, Takashi pourra connaître plusieurs facettes de personnages et apprendre à jauger les gens. On aura la lycéenne au parcours sans faute, mais Takashi se dirigera vite vers une petite serveuse à la vie bien plus épanouie et dangereuse, et à la personnalité bien plus débridée. L'amitié entre ses amis joue aussi un rôle important, et Takashi croisera la route de personnages tous plus charismatiques les uns que les autres, avec leurs petits moments de folies, leurs déboires et leurs victoires. Certains auront du mal à se faire accepter, d'autres feront découvrir au héros des choses dont il ne soupçonnait pas l'existence, comme l'arrivée en force du rock américain au travers d'un ami faisant partie d'un groupe de musique.

Mais Bakuon Rettô, c'est aussi le monde de la moto mis en avant. N'étant pas particulièrement fan de bécanes, j'ai quand même eu l'impression que l'auteur savait de quoi il parlait (surtout s'il a vécu ça), et on sent que l'auteur dévoile son amour de la mécanique et des grosses cylindrées. On prend plaisir à voir Takashi tomber amoureux d'une Honda CB 400 Four et fera tout pour arriver à en avoir une. Et surtout, une des grandes forces du manga, c'est son style graphique. Moins épurée que ces confrères, l'auteur n'hésite pas à faire vibrer les lignes pour avoir de la vie et du dynamisme. Le must c'est les magnifiques doubles pages qui jalonnent le récit, et qui sont souvent synonyme de virée de nuit. L'auteur n'hésite pas à magnifier différents points de vue d'un passage de plusieurs dizaines de motos sur une fresque plus brutale et tellement plus vivante et jouissive, jouant sur les constrastes de la nuit et la lumière des motos qui traversent la ville. Des dessins absolument somptueux où on reste quelques minutes à en admirer la force de caractère.


Bakuon Rettô est un manga très méconnu mais que je recommande chaudement. C'est l'histoire d'un gamin qui se prépare à passer à l'âge adulte, et c'est le monde des bosozokus qui l'aidera à franchir le cap. Il passera de l'enfant qui refuse de grandir à l'adolescent qui se demande ce qu'il fera une fois adulte. Il découvrira les dessous de la société japonaise. Bakuon Rettô n'est pas une ode à l'anarchie des belles mécaniques, mais n'oublie pas de magnifier ces gangs de motards sans oublier de montrer le côté moins rose de cet univers qui connaît ses limites et ses déboires. L'auteur, ayant vécu ça, n'hésitera pas à prendre du recul sur cette expérience et à en dévoiler le bon mais aussi le mauvais. L'apprentissage de la vie.

 

Semaine spéciale manga