Avant-Propos

Lorsqu'un ami m'a vivement conseillé la série des Anno, je l'ai regardé d'un mauvais oeil. J'en avais vaguement entendu parler, j'avais vu quelques images, ça avait l'air joli. Mais les jeux de stratégie, ça va cinq minutes. Quand on fait une partie où on se casse le cul à construire sa base, rassembler les matières premières, confectionner son armée, bouter l'ennemi hors de la carte, et tout recommencer dans la partie suivante, ça devient vite gonflant. Il y avait bien Company of Heroes, plutôt drôle pour le côté tactique, et Dawn of War II, de Relic aussi, assez marrant pour son côté RPG. Mais j'installais le jeu avec appréhension...

"Ça peut abattre une puce dans le dos d'un chien à 500 mètres, Tannen!"

23h45. Je lance le jeu. Marrant, ces vidéos couplées avec des artworks. Plutôt bien fichus. Je me lance sur la campagne pour faire un peu de didacticiel vite fait. Un souverain me donne un petit fief pour que je fasse mes premiers pas, sur un petit îlot. C'est mignon comme tout. A côté, je vois l'énorme cité où ils construisent une citadelle. La vache, si j'arrive à atteindre ce niveau, je serais aux anges! La ville est énorme, les bâtiments sont suffisamment variés pour ne pas avoir trop de répétitivité, le tout dans un style semi-réaliste smili-cartoonesque à tendance Kandiskienne.
Je fais quelques petites quêtes, mais une fois la première partie finie, je retourne au menu principal et me lance une partie continue. J'ai dû voir 10% des possibilités du jeu, mais je m'en fiche, je découvrirais bien le reste tout seul, ça doit pas être si compliqué. Première erreur.

00h10. Je choisis les paramètres de ma partie. Plutôt fourni: taille de la carte, richesses de départ, joueurs alliés ou non... Je fais quelque chose de simple pour commencer, je place quelques pirates pour le fun, et les incendies activés, sinon c'est pas drôle (quoique je garde des mauvais souvenirs d'un certain Caesar...). Je lance la partie. Là, le gars de la campagne me file trois bateaux dont une sorte de caravelle, et me lance avec les autres IA à la conquête des terres. J'en choisis une pas trop éloigné de la grande cité du souverain, je sais très bien qu'il faudra faire pas mal d'aller-retours pour la marchandise et la matière première. J'ai suffisamment de pécule pour commencer.

Le premier navire arrive, je construis un entrepôt, un marché, des habitations, des routes. Les animaux qui étaient là avant fuient devant la colonisation de leurs terres. Des petits renards, des cerfs, les détails sont très agréables à l'oeil. Je donne un nom à ma ville, Boeuf-Cornichon, ça sonne comme le Nord. Je commence à construire des scieries et des cidreries (important, l'alcool). Il faut vite construire des routes pour que les charrettes du marché fassent le trajet entre les marchandises et les entrepôts. Pareil pour les habitations, il faut les relier via des routes au marché pour que les fermiers ne se sentent pas biaisés. Je tombe vite en pénurie d'outils, et rien pour en produire là où je suis. J'envoie un bateau en chercher à la cité la plus proche, et on m'avertit qu'on peut créer des routes de commerces automatiques pour que les bateaux se dirigent aux ports que l'on veut, et acheter ou revendre ce que l'on veut, quand ils en ont en stock. Très judicieux. Je me rends très vite compte que ma ville ne pourra pas être indépendante, et que les autres ports aux alentours ne sont pas là pour faire joli.

00h45. J'ai construit suffisamment d'habitations pour débloquer d'autres constructions, et certains fermiers sont passés au rang de citoyens. Les habitants ont des besoins précis, reliés aux marchandises entreposés dans la ville. Si tous ces besoins sont remplis, ils passent au stade supérieur, et on débloque de nouvelles constructions. Ingénieux. Mais les habitations servent surtout à récolter des taxes, que l'on peut augmenter (mais qui ferment toutes possibilités d'évolution) en cas de coup dur. Plus il y a d'habitations, plus il y a d'argent, et il y en a besoin pour ne pas tomber en déficit à cause des entretiens des commerces et des navires.
Je commence à installer de nouvelles structure, des fermes qui produisent du chanvre, des mines de fer ou des tailleurs de pierre. Je crées des opportunités à l'entrepôt pour que les navires de passages achètent des surplus de matières premières, ou au contraire m'en vendent automatiquement si j'estime qu'il y a besoin. J'installe des extensions de marchés pour produire plus de charrettes, car les structures entassent leur productions inutilement s'il n'y a pas de charrettes qui passent les prendre. Beaucoup de choses doivent être pensés pour que ça marche et que le commerce tourne convenablement dans sa cité. Et de temps en temps, l'image de l'IA apparaît dans une petite fenêtre pour vous narguer et vous dire combien vous êtes naze, en enlevant quelques points de réputation au passage. Sympa. D'ailleurs, le seigneur corsaire du coin demande une bonne somme de pièce d'or afin d'assurer votre alliance. Sans déconner. Je refuse, et celui-ci me dit que ça va pas se passer comme ça. J'y songerais plus tard.

Ça devient épicé...

1h50. Bon, je continues encore un peu et j'irais me coucher. Mes citoyens ont encore des besoins à assouvir pour évoluer. Des vêtements de lin et des épices. Les vêtements, il faut plus de chanvre. Saleté de chanvre. Mais c'est gérable. Pour les épices, je pensais que le souverain d'à côté en avait, mais il me révèle qu'il y a d'autres terres qui peuvent en produire. C'est alors que je découvre un autre élément que j'avais complètement zappé: l'Orient. En-dessous de la carte, au Sud, se trouve des terres désertiques avec d'autres villes de nomades ou bédouins. Le vizir du coin ne peut pas encore vous laisser construire ses structures sur ses terres. Il faut que je récupère un objet spécial, à acheter au souverain du Nord, pour montrer au vizir ma bonne grâce. Je chope un bateau, lui fait faire une pause sur sa route de commerce, et offre l'objet en question. Et je débloque simplement les constructions orientales, pour pouvoir enfin accéder aux épices.

Et voici donc un autre pan du gameplay. Dans un registre totalement différent, je prends un bateau et colonise une terre de sable, avec quelques oasis disséminés de part et d'autre. Je commence à construire un entrepôt, comme à Boeuf-Cornichon. Sauf que je renomme la ville de façon plus classique, Agrabah. Je construis un bazar, des tentes pour mes nomades, mais ils n'ont aucune denrée pour survivre. Chiotte, j'ai été trop rapide. Je sélectionne les datiers, mais ça ne marche pas, il faut construire une autre structure pour rendre la terre fertile! Re-chiotte. Je construis ce satané puit, installe un datier, mais déja les nomades ne sont pas super jouasses, brandissent des pancartes et commencent à brûler des tentes. Au même moment, à BoeufCornichon, un incendie se déclare. Pourquoi ai-je activé les incendies? "Je pense que vous devriez construire une caserne de pompiers..." me dit le souverain. Sans déconner! Je sélectionne la caserne, mais je manque d'outils, tout simplement parce que le navire qui est sensée en acheter s'est fait couler par des corsaires, les mêmes que j'ai refoulé il y a une heure. Bordel!

Pris de panique, je sélectionne le premier navire qui me passe sous la main, lui fait faire le trajet pour récupérer des outils et me les amener le plus vite possible. Pendant ce temps, les nomades se sont calmer, mais ont détruit une bonne partie des tentes. Je reconstruis rapidement, installe enfin une caserne de pompiers dans le Nord (heureusement, pas trop de dégâts) et installe d'autres nomades dans le Sud pour pouvoir débloquer la construction qui permet d'avoir des épices. Une fois accessible, je me rends compte que la terre où j'ai débarqué n'est pas suffisamment fertile pour cultiver des épices. Saleté d'épices. "Vous auriez dû vérifier la fertilité de l'île quand vous l'avez coloniser" me rétorque le souverain dans sa petite fenêtre. J'hésite à coller un post-it pour ne plus voir sa tronche.

2h40. Allez, je termine ma crise et je vais vraiment me coucher. En catastrophe, je colonise un autre petit lopin de terre désertique, juste pour cultiver des épices. Ok, j'ai ce qu'il faut. Je construis un autre navire pour assurer la livraison d'épices à Boeuf Cornichon. Le trajet est plutôt long, mais j'arrive à avoir ce que je veux. Et je débloque enfin les patriciens, et leurs constructions. Sauf que je n'ai plus d'argent. Le souverain je propose des pièces d'or en échange de points d'honneur que j'ai récolté durant la partie. Mais pour en avoir un peu plus, je tente ma chance avec un des joueurs IA, dont les relations diplomatiques ne sont pas au beau fixe. Sauf que la donzelle n'apprécie pas et me déclare carrément la guerre. Bon, un peu démesurée comme réaction.

J'installe une tour défensive sur mon port, avec le peu d'argent qui me reste. Pour l'instant, pas d'attaque. J'en profite pour améliorer mon cycle de marchandises: le minerai de fer que je récolte peut être transformé en fer, et les forêts produisent du charbon. Et un outilleur peut me produire des outils avec du charbon et du fer, qui seront envoyés en partie aux terres du Sud, qui bénéficient de leurs matières premières à eux. Ils ne peuvent donc pas avoir de bois ni d'outils aussi facilement qu'au Nord. Le jeu est géré comme un cycle vraiment très malin. Lorsqu'on surveille toutes les structures et que l'on s'assure que les marchandises vont là où il faut, et que les besoins sont assurés, on prend plaisir à regarder sa ville fonctionner comme une horloge suisse.

3h58. Sauf que voilà, j'ai fait l'erreur de pas connaître tous les pans du gameplay, mais ça m'a permis de découvrir sur le tas. Du coup, l'IA ennemie commence à couler tous mes navires de marchandises, sans que je puisse me défendre (vu que eux, ils ont des navires de guerre), et font le tour de mon île, installe un fort et déplace des garnisons qui petit à petit, avance sur ma ville et s'approprient tous les commerces. Dans une tentative louable mais inutile, l'IA ennemie me propose de racheter une alliance pour un prix astronomique vu le budget qu'il me reste. Elle ne lui reste plus qu'à atteindre ma cité du Sud pour m'enfoncer dans la défaite.

Voilà, j'ai perdu. Mais je suis conquis. Je n'ai même pas vu l'heure passé. Peut-être qu'une fois que j'aurais fait le tour du jeu, je n'y retournerais plus. Mais c'est une formidable alernative aux autres jeux de stratégie souvent centrés sur la guerre. Ici, le nerf du jeu est le commerce, et crée un cycle commerciale avec toute la carte est une satisfaction vraiment réjouissante. En tout cas, j'y retourne demain soir!