Quel dur travail que l'adaptation. Il n'y a en vérité rien de plus casse-gueule. Parce qu'une adaptation, c'est quoi ? C'est l'action de proposer SON point de vue d'une œuvre pour l'adapter sur un support. La subjectivité est le gros point qui fait qu'une adaptation ne fera jamais l'unanimité. « Le livre est mieux » « c'est une insulte à la BD ! » « Ca se voit qu'ils ont rien compris au jeu »...Le film Scott Pilgrim (qui a mon sens est une vraie réussite dans la mesure où on retrouve l'essence de la BD et ce malgré les lourdes contraintes liées au format du film) avait prévu ces critiques au détour d'une réplique qui m'avait fait sourire dans la salle (on était cinq d'ailleurs en tout au ciné ce jour-là). Pour illustrer le problème de l'adaptation je me réfère à une anecdote. J'étais allé voir, plus jeune, avec mes sœurs et ma mère Astérix et les indiens au ciné, et quand ma mère m'a demandé si j'avais aimé le film, je lui avais répondu « Oui, mais Obélix il a pas la même voix que dans la bande dessinée » (oui j'étais un gamin un peu idiot). Toute cette longue intro pour vous parler de cette perle qu'est Gankutsuou, ou le Comte de Monte-Cristo vu par les japonais du studio Gonzo. Anime de qualité en 24 épisodes dont le premier épisode fut diffusé en 2004, Gankutsuou se base sur le fameux roman d'Alexandre Dumas (et Auguste Maquet) et parvient à réaliser le tour de force d'être très fidèle à l'œuvre originale tout en prenant des libertés qui pourraient passer pour hérésies si elles ne servaient pas un tout débordant de respect et d'amour pour l'œuvre originale.

                                    

                                 Albert de Morcerf et Franz d'Epinay vont vite regretter leur petite virée à Luna

Dans un monde futuriste assez anxiogène frappé par une guerre interstellaire opposant la Terre à un mystérieux Empire vit le jeune Albert de Morcerf, jeune noble qui profite d'une jeunesse dorée et insouciante. Un été, il part avec son meilleur ami, le baron Franz d'Epinay sur Luna (la lune quoi) afin de profiter d'un festival faste et de fricoter avec les jolies roturières. Le hasard (?) met sur sa route le mystérieux Comte de Monte-Cristo (et non pas Monte-Crito, car je n'ai rien à voir dans l'affaire) qui le fascine (il faut dire que le comte semble tout droit sorti d'un artwork de Castlevania donc bon, moi aussi à sa place j'irais lui parler, ne serait-ce que pour essayer de gratter une version collector de Symphony of the night). Suite à quelques désagréments, Albert et le Comte deviennent amis, et ce dernier annonce vouloir s'installer à Paris et demande au jeune noble de l'introduire dans la bonne société parisienne, ce que le jeune homme accepte avec joie. Mais Franz se méfie de cet étrange homme à la teinte cadavérique et aux dents aiguisées (on se demande bien pourquoi). Et il se pourrait bien que les soupçons de Franz ne soient pas infondés.

 

                                    Bah voyons, pourtant il inspire une confiance totale ce monsieur !

Le scénario de la série reprend les personnages du roman et transpose l'époque dans un futur très lointain. Pourtant cela ne change pas grand-chose au fond. On retrouve la trame du Comte de Monte-Cristo de Dumas, avec ses histoires de vengeance et son portrait de la haute société. Pourtant, la série ne se contente pas de suivre bêtement la trame de l'œuvre, ne serait-ce que par le parti pris choisi par les gars de Gonzo qui est de se focaliser sur la relation entre Albert de Morcerf et le Comte. Car si le roman met en avant ce dantesque Comte (han ce jeu de mots de l'epicness feutrée...) et ses projets, la série animée se concentre plutôt sur Albert qui se retrouve à être une victime d'un passé qu'il ignore totalement, mais qui vient lui sauter à la figure. Le Comte de Monte-Cristo soulevait des questions sur la vengeance et le droit de se faire justice, Gankutsuou propose une réflexion sur le monde sombre et tortueux de l'âge adulte, cet âge où les rêves disparaissent, remplacés par une ambition dévorante et où les erreurs deviennent de cruelles trahisons. Gankutsuou pourtant, bien que n'hésitant pas à s'éloigner de son œuvre mère suit pourtant bien les événements, et nombre de personnages sont globalement fidèles, bien que leurs destins divergent. Une seule chose m'a chiffonné pour ma part : le traitement du personnage d'Eugénie Danglars. Bon le personnage de l'anime ne m'a pas horripilé, mais bourdayl, je veux bien que le Comte règle ses différends en pilotant un mecha, que Bertuccio soit un Corse de l'espace ou que l'abbé Faria soit...ce qu'il est dans la série...mais non, transformer Eugénie Danglars en vulgaire princesse à sauver, c'était franchement pas un choix judicieux. Alors certes ça fait une jolie histoire d'amour et tout, mais on est loin du personnage féminin très fort qu'elle était dans le roman (à moins que je ne l'aie idéalisée, ça remonte pour moi).

                       

                                 Ma pauvre Eugénie transformée en tsundere/princesse en détresse... 

                      

 

La plupart des personnages sont très ressemblants à leurs pendants romanesques, même si certains sont bien plus à leur avantage dans l'anime pour les besoins du nakama power (hein Lucien Debray...)

Visuellement, c'est d'une beauté outrancière. Oui Gankutsuou c'est beau, avec une patte artistique particulière, paré de ses aplats de texture qui donnent un aspect bariolé aux textiles notamment (ou aux cheveux de certains personnages). Ce coté baroque n'est pas seulement tape-à-l'œil, il ajoute un plus à ces personnages de cette haute société qui ne jure que par le paraître et l'opulence ostentatoire. Il en résulte une explosion rétinienne agréable. Le character design est très bon, que du classique, avec des personnages bien humains, à l'exception du comte, qui se détache du reste du casting (et Haydée, mais vu que c'est une E.T ce n'est pas un souci). Par ailleurs, je ne saurai expliquer pourquoi, mais j'ai retrouvé chez ces personnages un truc de typiquement parisien. Là encore c'est du ressenti, mais hormis quelques mimiques nippones dans la gestuelle, j'ai trouvé ces personnages très crédibles en tant que français (et pourtant j'ai vu l'anime en VOST).

                       

                                      L'anime bénéficie d'une esthétique bariolée ma foi fort réussie. 

Niveau sonore c'est aussi un ravissement grâce aux compositions de Jean-Jacques Burnel du groupe anglais « The Stranglers ». C'est du très bon, avec des mélodies agréables, et des génériques vraiment réussis, bien que j'ai une préférence pour la douceur d'un opening qui aura eu du mal à me conquérir pourtant. Le doublage n'est pas en reste avec des acteurs crédibles. Un petit bémol pour Albert, que j'avais envie de baffer à chaque fois que je l'entendais couiner, mais dans l'ensemble cela reste très bon, même si je serais curieux de voir si cela ne fonctionnerait pas mieux avec un doublage français. Je salue aussi l'effort de l'un des doubleurs qui devait parler en français et qui y parvient parfaitement bien qu'on sente que c'est du phrasé phonétique.

             

                                 L'animation du générique ne laisse pas entrevoir le coté futuriste.  

Voilà ce que doit être pour moi une vraie adaptation. Hommage à une œuvre, tout en en proposant une lecture audacieuse sans la dénaturer. Gankutsuou fait montre d'un vrai talent d'équilibriste. Ce n'est pas juste un copier coller du roman avec un skin futuro-fantastique, et ce n'est pas non plus une vulgaire histoire ressemblant de loin au roman avec des personnages ne gardant du support original que leurs noms. C'est une œuvre qui complète admirablement le roman, et quand bien même on ne serait pas familier du roman, cela reste un anime qui est un régal à suivre, une histoire sombre de vengeance, de trahison, de désillusions avec son lot de passages vraiment poignants. Et qui sait, peut-être un jour, toutes les adaptations suivront le chemin ouvert par Gankutsuou, après tout, cela ne coûte rien d'attendre et espérer...

              

                                                                            It's a trap !