Vous avez aimé la première escale au royaume des pixels baveux et des jus de fruit dont on ne résiste pas à l'appel? Tant mieux, puisque qu'on repart direction le pays du soleil levant cette fois. A la fin des années 80 et début 90, une petite abeille du nom d'Hudson avait le culot d'affronter de face l'ogre Nintendo, et il faut dire que niveau hardware comme promotion, elle savait s'y prendre. Bien avant la popularisation des LANs et du Online, les gens se déplaçaient aux compétitions, pas l'inverse. Du moins, c'était avant que le papa de Bomberman décide d'organiser une immense compétition itinérante à travers tout le Japon... son nom? Le concours Caravan.

 

(Vous ne reconnaissez pas cette console? C'est normal, mais c'est aussi un tort!)

Histoire de commencer cette chronique comme il faut, il y a quelques petites choses à remettre dans le contexte de l'époque. La première est que si Hudson est un éditeur peu connu chez nous, sorti de Bomberman (et Bloody Roar, mais c'est déjà plus obscur), il est en revanche le premier constructeur à avoir pu menacer le règne de Nintendo [1] au Japon, bien avant l'arrivée de Sony sur le marché en 94. Pour les fans de Sonic je suis désolé, mais Sega était avant tout un éditeur d'arcade dans les années 80, ses machines de salon ayant surtout rencontré du succès en Europe et aux USA. La seconde, vous l'avez vu plus haut, c'est la PC Engine, fruit d'une union avec le constructeur NEC et véritable concentré d'awesomeness.

(1995, Sapphire est le dernier grand jeu officiel de la PCE. Et elle est de la même génération que la NES...)

Cette console, en plus d'être la plus petite du monde (record encore inégalé à ce jour) avait été conçue dans un but bien précis : adapter la plus fidèlement possible des titres tournant à l'époque sur bornes d'arcade. Un argument de vente ultime dans un pays où il y a autant de game centers que de bars PMU à l'hygiène douteuse chez nous [2]. Et en sortant des jeux égalant voire dépassant techniquement les versions à monnayeurs (R-Type, Splatterhouse ou encore Street Fighter 2), Hudson à très vite acquis une grande popularité. Ce fut surtout le cas pour les Shoot'Em Ups, un style très en vogue dans les années 80... eh oui, vous commencez à comprendre ! Les éléments qui ont amené Atari à créer ses championnats du monde se retrouvent chez Hudson, quelques années plus tard.

 

 

Hudson All-Japan Caravan Festival (1985-1992) : 5 minutes, une manette, beaucoup de possibilités...

La formule utilisée par Hudson ressemble à une bête opération de promo, à première vue : faire une tournée en camion à travers tout le Japon pour faire jouer les enfants entre eux pour finir avec une finale nationale, ça n'a rien de sorcier. Mais si aujourd'hui cet ancien tournoi est aussi intéressant pour son côté Retro comme « E-Sportif », les raisons viennent des pratiques qu'il a promu et de l'héritage qu'il a laissé dans le jeu vidéo.

 Déjà, c'est peut-être, et même certainement, le premier tournoi de jeu vidéo au monde à passer du stade de simple évènement à celui d'institution. Si de nos jours il est facile de considérer certaines compétitions comme incontournables de par leur importance et leur audience (les WCS, LCS ou encore l'EVO pour ceux qui ont du goût et aiment bourrer des shoryus), c'était déjà moins évident de fédérer autant de joueurs sans Internet ni armada de communicants. Et je trouve la stratégie d'Hudson pour pallier à cela excellente, puisqu'au lieu de monter une simple compétition comme a pu le faire Atari, c'est un véritable circuit de rencontres et de confrontations qui est organisé. Le tout sur une épreuve codifiée telle une vraie discipline sportive. Une sorte de Community Management bien avant l'heure ! De plus, si les parties étaient en temps limités de 2 ou 5 minutes dans le cadre du tournoi, les versions commerciales des jeux étaient équipées d'un mode Caravan, reprenant à l'identique les conditions de l'épreuve. Et au cas où vous aviez besoin d'un coup de main pour progresser, il suffisait de regarder la télé...

 

(Takahashi Meijin, alias « 16 Shot ». Ils s'étonnent encore d'avoir des séismes chez eux...)

... Et parce qu'une telle compétition méritait un ambassadeur à se mesure, Hudson se devait de prendre un véritable champion pour occuper le poste, et Takahashi-san collait parfaitement au rôle. Au départ simple employé de la compagnie et animateur de tournoi Caravan, il se fait rapidement remarquer pour ses prouesses manette en main sur Star Soldier (le jeu de l'édition 86), et surtout pour sa cadence de tir inhumaine : 16 pressions de bouton par seconde. Eh oui, le Rapid Fire n'existait pas à l'époque, donc pas d'autre choix que de fracasser le bouton de tir à toute vitesse pour se défendre ! La firme à l'abeille décide alors d'en faire son atout de charme, et ça marche : il détaille au cours de son émission TV les techniques de haut niveau pour maîtriser le jeu, défie les spectateurs les plus impudents sur le fameux mode Caravan, et devient le premier joueur au monde à obtenir une véritable célébrité nationale. On est encore bien loin d'une star du jeu vidéo comme le seront Stephano ou Umehara Daigo bien sûr, mais l'histoire aurait peut-être été différente sans un tel pionnier. Sa popularité amènera même Hudson à en faire un héros de jeu dans la série Adventure island.

Enfin, si vous avez la fibre collectionneuse, sachez que lors de différentes éditions du Caravan, des versions spéciales (avec uniquement le mode Caravan, le plus souvent) des jeux en compétition furent distribuées gratuitement au public à un tirage limité. N'espérez pas en dégotter une à moins de 200€, mais elles ne risquent pas de perdre de la valeur. Et vous aurez mon respect éternel, ce qui n'est pas rien non plus.

 

Le Bonus : le Shoot'Em up, une affaire de mutants !

En guise de conclusion, il fallait bien que je vous montre un peu de performance et d'insanité mentale toute japonaise... Genre autrefois populaire dans les années 80 et 90, les « shooters » se sont enclavés sur bornes d'arcade avec l'apparition d'un type de jeu bien particulier : le Danmaku. Le principe de base ne change pas d'un poil, mais la technicité et le niveau de jeu nécessaire pour aborder ces titres devient colossal ! Vous vous voyez devoir esquiver des centaines de tirs en même temps dans le dernier FPS à la mode ? Ici, c'est totalement banal. Et pour ceux qui s'ennuieraient devant ce genre de défi, taquiner le High Score avec des techniques toujours plus folles (frôler les tirs et les ennemis, les enchaîner ou encore en épargner certains) devrait être une bonne occupation.

 

 

Ce domaine du jeu vidéo compétitif est malheureusement peu connu de par son côté extrême et brouillon, mais les quelques adaptations sur consoles et la démocratisation de pratiques « similaires » comme les Speedruns ou autres Superplays changent la donne petit à petit. Je ne vous recommanderais jamais assez d'essayer Radiant Silvergun, un bijou de jeu vidéo sorti sur Saturn puis réédité en HD sur le XBLA à petit prix (dont j'ai fait la review ici). Je vous laisse avec l'excellent documentaire de Game One sur le Shooting Game, et on se retrouve Dimanche prochain pour le troisième et dernier épisode de cette chronique !

 

[1] : La situation est assez ironique, vu que Hudson a été le premier éditeur tiers de la NES et à vendu plusieurs jeux à plus d'un million d'exemplaires sur cette machine. D'ailleurs, les 3 premières éditions du Caravan se sont déroulées sur NES.

[2] : Ces PMU douteux sont d'ailleurs parmi les rares endroits où on peut encore trouver des bornes en fonctionnement... N'espérez pas fumer une clope en jouant, les cendriers n'ont pas été vidés depuis 15 ans.