Elle vous nargue, elle vous guette.
Soigneusement rangée à coté du téléviseur, reléguée au coin dans un
vieux carton ou simplement vautrée en désordre sur l'étagère, elle est
là et ne diminue pas : la pile de jeux à faire. Voilà
bien un problème commun à tous les gamers. Même en faisant le choix de
consacrer son temps libre exclusivement aux jeux vidéo, la conclusion
est toujours la même et tous les génériques de fin n'auront pas la
chance d'être visionnés.

Vous l'avez immanquablement prononcée au moins une fois dans votre vie, la phrase fatidique : « J'ai déjà trop
de jeux à faire ». Dans la course effrénée pour suivre l'actualité, il y a forcément des dommages collatéraux laissés de côté, noyés parmi les
innombrables sorties chaque mois (voire chaque semaine), sacrifiés sur
l'autel du manque de temps. Ils sont parfois abandonnés à contrecœur. Il leur faut savoir briller rapidement, se démarquer de la masse, sinon
ils risquent de finir dans un bac à soldes, leur baisse de prix rapide
ayant tendance à éveiller le soupçon : « Une réduction si vite ? Il doit vraiment être nul en fait... »

Malgré tout, même au régime, vous
n'arrivez pas à suivre ! Pire encore, cette constatation ne date pas
d'hier. Le retard s'est accumulé depuis des années, des décennies. Si
jadis le faible montant de votre argent de poche était votre principal
ennemi, aujourd'hui vos économies sont habilement dépensées. Un coup de
cœur devant l'étalage, une promotion alléchante, une pré-commande en vue de pallier à une future rupture de stock, les occasions ne manquent
pas. Toutes les excuses sont bonnes pour compléter votre collection et
agrandir votre armée de boîtes en plastique. Malheureusement, les
crédits pour des heures supplémentaires en fin de journée n'existent pas encore. Fruits d'achats compulsifs, les jeux continuent leur coma
prolongé et attendent de pouvoir communiquer, un jour, avec une manette.

Puis, au détour d'une conversation, un
titre est évoqué, un classique. Un jeu qu'il faut avoir fait,
comme une notion fondamentale. Faute avouée à moitié pardonnée : « Il
est ... dans ma fameuse pile ». La culpabilité déborde et vous prenez une
bonne résolution, vous allez vous consacrer à la détruire, à la
transformer en jeux terminés, pillés, retournés ! Sauf que sur le chemin du retour, vous croisez le dernier blockbuster en date -évidemment
indispensable- et il est déjà trop tard. Après tout, lui aussi il faut l'avoir fait, il serait trop regrettable de subir un spoiler ou de ne pas pouvoir participer au débat courant, dans deux semaines on
risque de ne déjà plus en parler...

C'est l'esprit libre, les doigts
détendus, que vous allumez votre console et naviguez quelques instants
pour découvrir les derniers téléchargements disponibles. Nouveautés,
bijoux indés, surprises du chef se succèdent et soudain, la tentation
revient. Cet ancien titre que vous avez raté à l'époque est là, sous vos yeux, même pas relifté (ça conserve le charme), une simple pression de
bouton le sépare de votre compte bancaire ! Les intentions sont bonnes
et bientôt la musique de l'écran-titre vous projette des années en
arrière... L'exemplaire d'origine est toujours chez vous, pourtant comme
ça c'est plus simple, pas besoin d'aller fouiller le grenier. Sauf
qu'avouons-le, après une heure, vous remettrez à plus tard la
suite de l'expérience. C'est que vous avez déjà du pain sur la planche,
vous comprenez !

Le serpent se mord clairement la queue : faut-il prendre le temps de terminer ses investissements passés, en
cumulant un nouveau retard (!) sur la génération actuelle, ou simplement savoir tourner la page ? On nous dit bien chaque mois que le jeu de
l'année débarque, alors les classiques, hein ! Le matraquage
publicitaire a eu votre peau, est-ce un mal ? Ce soir pour rentabiliser
votre achat et sa durée de vie discutable en solo, vous pourrez vivre
quelques heures supplémentaires sur le mode coop. Ou alors vous pourrez
être ambitieux et commencer cet interminable RPG qui devrait vous
bouffer tout le mois. Ce n'est pas comme ça que vous en finirez avec
votre pile de l'enfer, mais vous aurez néanmoins passé un bon moment. On oublie souvent qu'il s'agit du but premier.

Peut-être que le destin du joueur est de toujours avoir du leste, un jeu en réserve, un jeu qu'il aurait aimé
faire, un fantasme. Pour si jamais je suis malade. Pour si jamais les
zombies débarquent et que je me retrouve coincé. Pour si jamais j'ai
rien de mieux sous la main. Rassurez-vous, l'embouteillage de fin
d'année est encore loin. Il vous reste du temps pour établir un plan
stratégique et venir à bout de cette montagne. Un jour, peut-être, la
pile sera vide. D'ici là, la meilleure solution reste de ne pas céder
aux sirènes générales, de jouer aux titres que l'on veut, même si sortis il y a plus de six mois. Inutile de se gaver, fonctionner à son rythme
et selon ses goûts devrait être suffisant pour éviter de devenir blasé.
Car si acheter c'est bien, jouer c'est encore mieux.

Mololo

 www.consolesyndrome.com