Lorsqu'on parle d'Heavy Rain, la
question qui revient en premier lieu est la suivante : est-ce un jeu
vidéo ou un film ? Nous allons maintenant tenter d'apporter notre
réponse.

Part 3 - Heavy Rain est-il un
jeu vidéo ?

Afin de savoir si HR est, ou non, un jeu vidéo, il convient de savoir ce qu'est un jeu vidéo. Le soucis, c'est
que notre media est encore jeune et, que pour diverses raisons, il ne
dispose pas d'un vocabulaire propre, ce qui témoigne de son immaturité.
Concrètement, et par opposition aux autres media, le jeu vidéo se
caractérise par l'interactivité. Quand on lit un livre ou qu'on regarde
un film, nous n'avons aucune influence sur le déroulement. Nous suivons
un chemin tout tracé. En ce sens, HR est interactif, donc il s'agit bien d'un jeu vidéo. CQFD.

Certains vont rétorquer alors qu'il ne
possède pas un vrai « gameplay ». Le second problème est que personne
n'est capable de donner une définition du terme : mécaniques liées à
l'interactivité ? synonyme de jouabilité ? système de visualisation
(caméra) ? possibilité d'interaction avec un environnement ? Il y aura
autant de définitions que de participants. Le drame, c'est que le seul
terme spécifique de notre media ne signifie pas la même chose pour tout
le monde. A quoi bon alors l'employer pour conditionner l'appartenance
d'un « produit » au monde du jeu vidéo ? Pourquoi devrions nous limiter
notre vision du média à une définition floue et non arrêtée ? Mais ceci
est un autre débat.

Heavy Rain base sa jouabilité sur des
actions contextuelles à réaliser, ainsi que sur des QTE à effectuer lors de séquences cinématiques. Ceci dit, on constate que le joueur est
rarement passif, alors que d'autres titres, moins décrié à ce niveau,
proposent pourtant des cut-scenes de plusieurs minutes sans que le
joueur n'ait à intervenir. HR est un lointain successeur du jeu
d'aventure et même lors des phases de dialogue, très nombreuses, le
joueur peut se déplacer, se poser à tel ou tel endroit (ce qui relève
plus du détail, hormis pour les amateurs de roleplay), mais il devra
aussi faire évoluer la conversation en choisissant une réponse, parmi un panel donné. Cette décision doit être prise rapidement, sous peine de
voir le jeu décider pour vous, mais prouve encore une fois qu'il faut
toujours être impliqué dans l'aventure, rester sur ses gardes et être
attentif, le joueur étant mis constamment à contribution. Vous
connaissez beaucoup de films qui font ça ?

Si le débat jeu / film est en fait assez accessoire (finalement, on s'en tamponne un peu), la réflexion amenant
une réponse à ce sujet se révèle bien plus intéressante. Pour la
première fois, on retrouve un jeu qui ne se base pas uniquement sur la
vision consensuelle du gameplay que l'on connait. Dès lors, la vision
autour de ce que peut (et sera) un jeu vidéo s'ouvre encore plus et
devient sujet à discussion. HR va plus loin que Fahrenheit de ce côté
là, en sapant les quelques reliquats de « gameplay » classique que l'on
pouvait trouver alors, souvent sous la forme de mini-games. Le jeu vidéo ne serait alors plus défini par son gameplay, mais par une simple
utilisation de l'interactivité. Reste donc de larges domaines à
défricher.

Le terme de film interactif a beaucoup
été employé pour décrire HR. Au départ, il n'était pas assumé par Cage
et son équipe, ce terme renvoyant aux titres à la Dragon's Lair ou Night Trap, où le rôle du joueur était cantonné à une action, pour 10 minutes de passivité. Pourtant, certainement lassé par la question et soucieux
d'utiliser une thématiques facilement assimilable par le grand public,
Sony et Quantic Dream ont adopté cette définition. A mon sens, ce
raccourci est une grossière erreur. Déjà parce qu'accoler deux termes
aussi antinomiques que « film » et « interactivité » est un paradoxe sur pattes. Ensuite, parce que cela donne l'illusion au grand public (et
aux non-initiés du jeu vidéo) que la finalité de notre media (sa
« révolution », comme je vous l'expliquais mercredi) devait se faire en
se rapprochant du cinéma. Ainsi le moyen : « adopter une structure
narrative pointue » devenait une finalité. L'alternative apportée au jeu vidéo se voyait phagocyter par le cinéma. Si la dénomination « jeu
vidéo » paraît réductrice de par l'utilisation du terme « jeu »,
connotant à l'enfance, on peut simplement choisir de le nommer
« divertissement interactif ». Tout simplement.

Après, HR emprunte énormément au cinéma. Quoi de plus normal, le cinéma empruntant déjà à la littérature
(écriture de scénario) et à la musique (chargée d'accompagner les
images). Le rajout d'une dimension nouvelle et spécifique du jeu vidéo
(l'interactivité) ne l'empêche pas d'être superposée à l'héritage des
arts précédents. Il a donc été décidé de baser chaque héros sur un
acteur réel. Une manière d'obtenir un faciès crédible et d'offrir un
vrai cachet à l'avatar (démarche, vécu et voix de l'acteur). HR véhicule également des thématiques matures, plus facilement aperçues sur une
toile que dans un jeu (l'amour, le deuil, la mort, etc.) et, en reniant
un développement fantastique (ce que n'avait su faire Fahrenheit) il se
pose comme l'un des rares jeux réaliste, lorgnant sur le polar. La
structure est découpée en scène (lieu clos offrant des interactions
uniques), chacune ayant fait l'objet d'un travail particulier sur
l'éclairage et la caractérisation. Comme les décors d'un film. Sans
oublier la notion de mise en scène, lors des phases de jeu totale ou des QTE, qui fait un usage adroit de l'utilisation de la caméra (plans
travaillés, split-screen, etc.).

Le traitement des personnages lui,
s'inspire plus d'une série télé. On prend le temps de décrire la
psychologie des héros. Chacun a son propre caractère, ses propres
failles, souvent mis en avant de manière implicite et discrète. C'est
pourquoi, et comme je le disais lundi, le prologue du jeu se justifie
totalement. Nous verrons nos protagonistes évoluer, interagir et se
développer sur quelques heures (entre 6 et 8h pour une partie), un luxe
que ne peut se permettre un long métrage. Encore une fois, la nature
« jeu vidéo » du projet permet de se poser quand on le souhaite, afin de sonder les pensées de son personnage, de prendre le temps de le
connaître, tout en lui insufflant des propres morceaux de sa
personnalité. On recherche ici l'empathie vis à vis de son avatar et non l'identification. Étonnement, HR s'évertue à esquiver les clichés
habituels du JV, mais pioche pourtant allègrement dans ceux du cinéma.
On trouve ainsi un côté un brin racoleur, avec des bastons, des guns et
un zeste d'érotisme. Une démarche un peu naïve peut-être, mais qui
témoigne de la sincérité des gens aux commandes du jeu. Le projet
était-il si « différent » sur l'aspect simplement ludique qu'il fallait
éviter de jouer l'originalité également au niveau de l'enrobage ?

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