Part 2 - Comprendre Heavy Rain

Il faut croire que les gens ont la
mémoire courte. Tout le buzz orchestré sur Heavy Rain par les différents medias (généralistes ou spécialisés) tournait autour de la notion de
révolution. HR représenterait une étape nouvelle du jeu vidéo et devait
le changer à jamais. Ce qui est évidemment faux. Je ne suis même pas sûr que ce discours ait été apprécié chez Quantic Dream. D'abord parce que
HR n'est qu'un prolongement du travail entamé sur
Fahrenheit et qu'il n'est donc pas
véritablement nouveau. Et surtout, parce que Cage décrit son jeu comme
une alternative, vis à vis des autres titres du marché. Il déclare que
son cheval de bataille se situe au niveau de la narration comme vecteur
de sentiments, mais que d'autres voies sont parfaitement valables.

Fahrenheit se basait déjà sur un constat similaire. Là où c'est intéressant, c'est qu'on perçoit entre les deux
jeux le travail de réflexion mené par Quantic. Au niveau des mécaniques
de gameplay pures, mais aussi au niveau de la narration. Il est certain
qu'un véritable travail a été effectué afin de comprendre ce qui avait
fonctionné dans Fahrenheit et ce qu'il fallait revoir.

D'abord au niveau des QTE. Leur but est
simple : faire rentrer la notion d'interaction dans l'univers de la
cut-scene. La scène cinématique s'est toujours démarquée par son aspect
singulier : plus jolie, plus dynamique, créatrice d'émotion, mais
désespérément passive pour le joueur. L'idée était d'inclure des phases
interactives afin que le joueur (via ses réflexes) puisse contribuer à
la réussite ou à l'échec de l'action. Les QTE faisant souvent appel aux
différents boutons de la manette, le joueur se devait de connaître un
minimum leur agencement, sous peine d'échouer constamment. Pour palier à ça, Quantic a décidé d'appliquer cette mécanique au niveau des sticks
analogiques, avec une représentation visuelle des dits-sticks sur
l'écran. Ainsi n'importe qui état alors capable d'accomplir ce qui lui
ai demandé. Un seul problème, le joueur était alors incapable de suivre
le contenu de la scène tout en accomplissant le QTE. Une sacrée
frustration.

Nouvelle évolution avec HR : on repart
sur une base où le QTE à accomplir est un bouton de la manette ou une
direction au stick. Cette fois-ci, l'interface est alors incrustée à
l'écran, mais de manière intelligente, apparaissant là où se focalise
l'attention du joueur. De cette manière, on observe l'action de manière
totale et le QTE est parfaitement visible. Si j'avais un seul reproche à émettre, c'est que du coup, ils deviennent plus faciles à réaliser,
pour un joueur rodé au principe. Mais la grosse nouveauté c'est
qu'échouer un QTE n'entrainera pas un reboot de la séquence pour la
refaire, jusqu'à réussir. Non, l'histoire prendra en compte votre échec
pour modeler la suite de l'avancée. Parfois de manière radicale, souvent par de petits ajustements.

De la même manière que Fahrenheit, HR
base toute son interaction sur un système d'action contextuelle. En
approchant d'un élément interactif, le mouvement à effectuer (et souvent proche de celui qu'on effectuerait en vrai) apparaît visuellement. Ici, la notion de timing n'entre pas en jeu. La plupart de ces interactions
sont mêmes facultatives. Comme pour les QTE, le progrès par rapport à
Fahrenheit tient dans l'intégration très réussie de ces icônes sur le
décors (ils ne sont plus placés hors de l'interface). L'accessibilité
est donc totale. Mieux, selon l'état d'esprit du personnage, l'interface évoluera un poil. Si l'avatar est dans une situation de stress
quelconque, la commande apparaitra dynamique, tremblante. Une
corrélation joueur / avatar poussée encore plus lorsqu'il s'agit
d'effectuer une opération complexe. Le joueur devra contorsionner ses
doigts sur la manette afin de réaliser la séquence affichée. Il faudra
donc appuyer en simultanée sur plusieurs boutons et maintenir la
pression afin que le héros complète une action demandant un peu
d'attention. Souffrir, à la manière de son avatar à l'écran. Une idée
originale qui poursuit de créer une connivence entre le joueur derrière
sa manette et sa représentation pixelisée.

Les scènes de dialogue offre elles aussi l'opportunité d'apporter sa contribution en proposant le choix de la
réponse pour orienter la discussion. Comme vu auparavant, la
matérialisation du choix s'affiche désormais directement en incrustation sur la scène et non plus hors champ. Et comme pour les actions
contextuelles, si le personnage est stressé, elles apparaitront
brouillées, défilant plus rapidement, reflétant la panique qui s'empare
de nous au moment de répondre à une question embarrassante. Effet
garanti !

Ainsi, si HR base son approche sur des
mécaniques nouvelles, la majorité repose sur l'amélioration de celles
déjà existantes et apparues dans Fahrenheit. Une manière de réhabiliter
un jeu passé sous silence aujourd'hui, alors qu'il témoignait déjà d'un
gros travail à l'époque et d'un statut finalement visionnaire.

Au niveau de la narration, les
similitudes abondent entre les deux titres de Quantic, témoignant du
statut de suite spirituelle de HR par rapport à Fahrenheit. Nous sommes
aux commandes plusieurs personnages, au caractère différent les uns des
autres et il faudra les incarner en alternance suivant la progression de l'histoire. On peut même noter quelques traits communs de personnalité
entre Lucas et Ethan (les "héros" au sens propre, garçons banals à la
destinée peu commune), ou entre Madison et Carla (la femme forte,
indépendante, mais sexy). Le joueur averti constatera même que deux
séquences de HR font référence à celle que l'on trouvait dans
Fahrenheit. Je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler, mais il s'agit
vraisemblablement plus d'un clin d'œil que d'un manque d'inspiration.
Enfin, et plus de l'ordre du détail, on retrouve encore une fois une
scène de douche (un homme et une femme cette fois), ainsi qu'une scène
de sexe, plus sage que celle de Fahrenheit. Dommage qu'à ce moment là,
l'interaction charnelle entre deux personnages virtuels apparaissent
assez mal gérées et nous sorte un peu du trip immersif. Pour la
prochaine fois ?

David Cage se pose comme un
créateur cohérent au niveau de ses choix. Il fait preuve de ténacité à
leur égard, n'abandonnant pas des concepts critiqués avant de les avoir
poussé à bout. Il est ainsi persévérant et capable de se remettre en
question. Comme on le dirait d'un artiste (si vous doutez encore que le
jeu vidéo n'est pas un art), on retrouve des obsessions communes dans
chacun de ses œuvres (notamment tout ce qui touche au rapport entre le
héros et le joueur) et son travail demeure donc passionnant à suivre sur la longueur.

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