Depuis
la nuit des temps, l'industrie vidéoludique s'est reposée sur
l'évolution effrénée des différents hardware pour justifier sa course
perpétuelle en avant. Le progrès passait avant tout par la course à
l'armement et chaque constructeur devait redistribuer ses cartes tous
les 4 ou 5 ans. Bien sûr, cette évolution a été bénéfique dans de
nombreux domaines. Ainsi nos jeux sont plus beaux, mieux animés,
capables de restituer les forces de la physique et sont globalement
devenus plus spectaculaires et plus narratifs. Si notre medium a
aujourd'hui atteint un tel seuil de popularité, c'est en partie grâce à
cette évolution technique.

Pourtant, cette course en avant n'est
pas allée sans inconvénients : produire un jeu coûte incroyablement
cher, les petits studios ont du migrer sur les supports dématérialisés
pour exister, les seuils de rentabilité impliquent des ventes au beau
fixe, sous peine de gros revers commercial. Mais pire que tout, le
contenu de nos softs semblent au mieux stagner, au pire régresser. La
course à la technologie se révèlerait-elle être un échec ?

Lorsqu'on parle d'évolution technique,
on pense qu'elle devrait être conjointe à une évolution des gameplay,
ou, au moins, à une évolution de la mentalité des développeurs au
niveau de leur façon d'appréhender la création d'un jeu. Le constat est
malheureusement sans appel : nos titres n'ont pas foncièrement beaucoup
changé. Les mêmes approches sont préconisées, les mêmes structure
ré-employées ad nauseam, les mêmes démarches validées par les éditeurs
aux commandes. Examinons quelques faits marquants.

Comme dit auparavant, développer un jeu
revient de plus en plus cher. Mais cela demande aussi de plus en plus
de temps. Les jeux estampillés AAA voient leur cycle de fabrication
prendre l'allure de marathon. Problème : faire un jeu aussi ambitieux
qu'il y a quelques années n'est pas facilité par l'évolution de nos
machines. Bien au contraire, reproduire le même résultat, la même
densité, en ne comptant que sur une amélioration des graphismes est
quasiment impossible. L'exemple le plus flagrant concerne
l'hypothétique remake de FF VII. Square Enix est passé maitre dans
l'art de sortir des versions améliorées de ses anciens titres. Et si un
jeu a bien marqué l'histoire du RPG, c'est le septième opus de la saga
Final Fantasy. Question simple : pourquoi Square Enix ne développe pas
de remake, comme cela est demandé par une grosse frange de joueurs ?
Simplement car reproduire FF VII aujourd'hui, en n'améliorant que les
graphismes (en passant de la 3D temps réel en lieu et place des décors
bitmap d'avant) demanderait trop de ressources et de temps. Ainsi, même
si la PS3 (ou une autre console) est autrement plus puissante que la
PSOne, reproduire un jeu de la trempe de FF VII est aujourd'hui
impossible. Qui a parlé d'évolution ?

Dans le même genre, voici un second
exemple qui illustre parfaitement le précédent. Le prochain Final
Fantasy XIII a été vivement critiqué pour son parti-pris osé : le jeu
est très linéaire et les villages ont disparu. Ce choix de l'équipe de
développement peut très bien relever du pur game design. Mais si on
écoute attentivement les interviews données par Kitase et Toriyama, on
apprend que la partie exploration / village est passée à la trappe en
raison de la complexité qu'aurait demandé leur inclusion dans le jeu.
Et même si FF XIII apparaît comme une réussite potentielle (on en
reparlera lors de la sortie euro), on ne peut s'empêcher de penser que
le genre du RPG japonais a régressé.

Il n'est donc plus étonnant de voir les
éditeurs user et abuser de subterfuge visant à produire des jeux au
potentiel commercial certain, en minimisant les efforts. L'arrivée en
force des DLC en est la preuve marquante. Les plus réussis des DLC sont
sans conteste les deux extensions de GTA IV : Lost and Damned et Ballad
of Gay Tony. Ces titres proposent de rallonger l'expérience initiale en
surfant sur un moteur graphique déjà construit. A l'époque de la PS2,
Rockstar avait pourtant aligné les « vrais » GTA (plus complets et plus
longs que ces extensions) à la pelle : GTA III, Vice City et San
Andreas. Second exemple : Assassin's Creed III. Plutôt que de proposer,
comme attendu, un AC III fin 2011, offrant une nouvelle aventure avec
un nouveau héros et de nouveaux décors, Ubisoft a choisi de capitaliser
sur l'univers et le personnage principal d'AC II pour sortir un opus
2,5 cette année.

Il est facile de taper sur les éditeurs
en pointant du doigt ces exemples, mais on peut comprendre que produire
un jeu ambitieux aujourd'hui est un vrai pari. A cause de l'évolution
de nos machines et de leur complexité, on se retrouve avec des titres
plus étriqués, à la durée de vie en berne et où le terme de prise de
risque a été banni du vocabulaire. Sortir une nouvelle licence demande
des reins solides (comme EA a su le faire avec Dead Space ou Mirror's
Edge en finançant des suites malgré les résultats de vente décevant),
sinon elle est immédiatement rangée au placard. Quand Square Enix nous
abreuvait de RPG différents et excellents sur Super Nintendo, on
retrouve un développeur capitalisant uniquement sur ses trois grosses
licences (FF, DraQue et Kingdom Hearts), sans vraiment faire avancer le
schmilblick du jeu de rôle à la japonaise. Imaginez le paradoxe : les
consoles deviennent de plus en plus complexes à maitriser et lorsqu'un
studio y arrive, après des années de travail, il ne peut réellement
profiter de son expérience car il doit déjà envisager de passer à la
génération suivante. Il est constamment en apprentissage. Autant être
clair tout de suite, un Shenmue 3 aurait aujourd'hui plus sa place sur
Wii que sur console next-gen. Cette solution serait en effet la plus
envisageable et la plus crédible économiquement parlant. Alors a-t-on
gagné à pousser toujours plus en avant les capacités de nos consoles ?

Les différentes remarques données
jusqu'à maintenant doivent être évidemment nuancées. La course à
l'armement et ses inconvénients est un phénomène qui a toujours été
présent et qui ne date pas d'aujourd'hui. On sait aussi que les coûts
de développement et la durée de production diminuent avec le temps. On
peut par exemple se souvenir du fossé technique qui séparait des jeux
PS2 de première génération (comme Shadow of Memories par exemple) et FF
XII, sorti en fin de cycle. Et si bosser sur une console de faible
niveau suffisait à rendre le jeu vidéo meilleur, on en aurait déjà eu
la preuve avec la Wii (même si d'autres raisons, notamment
commerciales, rentrent en jeu ici). Mais le phénomène s'accélère
génération après génération. Je ne peux qu'espérer que l'actuelle
subsiste encore de nombreuses années pour voir arriver des titres
encore plus maitrisés et ambitieux. Heureusement, les faits semblent
pointer dans cette direction.

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