Dans le monde du jeu vidéo, quand le terme maturité est utilisé, c'est systématiquement pour désigner un titre sanglant ou violent. Comme l'a très justement fait remarquer Erwan Cario lors d'un excellent « Silence on joue ! » ou lors d'un podcast sur la censure de Gameblog, la formule employée pour désigner une forme de jeu très brutale et teintée d'hémoglobine est le plus souvent raccourcie à l'appellation « mature ». Est-ce normal ? Est-ce qu'un jeu dit mature est forcement mené par un héros haineux qui arrache la tête à ceux qui le bassinent ?

Mais avant tout, un jeu mature, c'est quoi ? Pour moi, c'est une production qui s'adresse aux adultes, que cela soit dans son propos ou dans son gameplay. Pour le dictionnaire, ce terme qualifie une chose de réfléchie, posée et raisonnable. On est donc plutôt d'accord sur la signification. Néanmoins, on constate qu'inévitablement, il est adjoint à un jeu violent. PlatinumGames et Sega se sont, par exemple, posés la question de l'échec des jeux matures sur Wii après le plantage de MadWorld. Pourquoi ? MadWorld est, certes, ultra trash (ce titre tourne évidemment la violence en dérision, nous en sommes conscients), conçu pour un public averti et adulte, mais ce n'est pas du tout le porte-étendard de l'appellation mature sur Wii. Le déboire de ces titres sur la console de Nintendo ne se résume pas qu'à ça. On observe que le sang et la brutalité poussent à l'amalgame, alors que le terme « mature » peut (aussi) désigner complétement l'inverse.

Prenons un exemple frappant : God of War et son héros - Kratos - super véner. C'est un jeu pour les plus de 18 ans, très sanglant et donc au contenu « mature » (si on s'approprie l'abus de langage). Je ne dis pas que c'est mal, mais franchement, cette agressivité outrancière, cette cascade d'effet gore nourrit une fascination adolescente et finalement très puérile. Non ? En face, nous avons GTA 4. Le principe est dans son intitulé, on vole des voitures et ensuite on écrase les passants tout en commettant mille et un délits. Rockstar avoue sans embarras que c'est bien ce côté irrévérencieux qui marche à plein régime sur les plus jeunes (alors que c'est bien un jeu 18+). Dommage, car le quatrième épisode de la saga véhicule bien des propriétés que j'appellerais « mature ». C'est à dire un protagoniste à la personnalité complexe, réaliste, luttant face à un sujet polémique et d'actualité : l'immigration et le refuge que le grand et petit banditisme offrent à ces personnes étrangères.

Un jeu mature désigne infiniment plus de choses que du sang et de la violence. Sur MSX, Kojima faisait déjà dans le style et les deux premiers Metal Gear en sont de parfaites illustrations. Leur traitement de la guerre, de la géopolitique, mais surtout leur approche du gameplay - plein de subtilités face à la concurrence de l'époque - signe déjà des jeux ciblés "pour adulte". De même pour Heavy Rain et sa façon aborder des thèmes rares comme l'amour paternel et la perte d'un enfant. Final Fantasy Tatics et Final Fantasy XII (et plus globalement l'œuvre de Matsuno) exploitent à merveille des enjeux politiques dans leurs intrigues. Dans le même ordre idée, notons la religion (avec Xenosaga) ou l'amour (et sexualité) trop rarement traités dans notre média et qui, eux, pourraient aussi afficher la dénomination mature. Enfin, dernier exemple, la saga Silent Hill, historiquement gore, prouve avec son dernier opus Wii, que l'intégration de viscères sanguinolentes n'est pas une formalité péremptoire sans quoi, le jeu trahirait l'héritage de la série. En effet, Shattered Memories représente l'effroyable par le froid et la glace, une connotation suffisante à porter la symbolique à l'esprit de chacun.

Mais non, le traitement adulte dans un jeu vidéo c'est du sang. Darksiders devient donc le Zelda « mature ». Excellent titre au demeurant, le titre de THQ n'est pas beaucoup plus adulte que Twilight Princess. Plus sanglant, oui, mais pas forcement plus profond, complexe ou sombre. Le penchant ténébreux et « dark » est aussi très en vogue dans le « mature ». L'évolution de Prince of Persia ou de Jak and Daxter le montre assez bien. On passe donc d'un monde coloré et assez innocent à un univers noir et menaçant. Ainsi métamorphosées, ces séries deviennent tout de suite plus adulte. Je ne critique pas l'orientation des jeux, mais l'étiquette qu'on leur colle, celle-la même qu'on épingle dans un même élan aux joueurs.

Triste constat quand même ! Pour satisfaire les joueurs adultes et matures que nous sommes, on nous propose du sang. Franchement, j'adore ces titres et loin de moi l'idée de fustiger leurs créateurs et leurs consommateurs, mais les jeux matures ne sont pas seulement ce genre de production. La stigmatisation du jeu vidéo n'a pas besoin de plus de grain à moudre. Je pense que pour que le média évolue, l'acceptation des jeux adultes ne doit plus se résumer qu'à la violence. Le prisme est large et les jeux gore en fond partie, mais pas seulement. Ico, Shadow of the Colossus, Flower, Lost Odyssey, Deus Ex, Braid, Fallout, Bioshock, Mario 64, Silent Hill, Limbo et tant d'autres, appartiennent aux jeux matures, pour adultes. En comparaison, imaginez deux secondes le cinéma avec ce genre de considération : Saw deviendrait l'ambassadeur des films matures aux côtés de Souviens-toi, l'été dernier 2 et Piranha 3D ! La lose...

Par Med