Comme d'autres rédacteurs de Console Syndrome l'ont crié haut et fort, Silent Hill Shattered
Memories est une véritable réécriture. La brume est devenue grelotante, les maisons gèlent, les souvenirs s'engourdissent dans le froid de
l'affliction. Silent Hill ne se contente plus de conter l'histoire de
ses héros, il s'essaye à explorer les abîmes de celui qui tient la
manette. Malgré les différences notables de cet épisode avec ses
prédécesseurs (son allure et ses mécanismes diffèrent), il continue et
approfondit ce que le second opus avait commencé. Silent Hill Shattered Memories fait honneur au mythe en dépeignant un monde torturé et
introspectif qui implique le joueur inconsciemment. Attention, cet
article contient des spoilers sur les épisodes de Silent Hill.

Silent Hill 2 : Les prémices

Les choix qui influent notre monde ou impliquent des conséquences sont
fréquents dans le paysage vidéoludique. Néanmoins ils sont limités par
leur propre nature : ils ne sont que des options prédéfinies par les
développeurs qui anticipent nos réponses ou réduisent nos possibilités
avec un contexte qu'ils maitrisent entièrement. Ainsi, ces choix ne sont pas le fruit de notre propre initiative et on se contente bien souvent de choisir parmi des réponses qui chatouillent notre intellect,
moralité ou sensibilité. Autrement dit, ils s'adressent directement à
notre conscience. Le choix est un procédé qui possède des atouts,
notamment pour responsabiliser, faire réfléchir ou prendre conscience
de la portée de nos actes. Mais je le considère bancal dès qu'il
revient à de nous poser ouvertement une question dont on imagine
aisément les tenants et les aboutissants. Peut-être est-ce du au
pessimiste, mais j'estime qu'il y a un fossé entre l'intention et
l'action, et un gouffre entre une décision prise sur le moment et
l'inconstance de l'homme. Ainsi, poser une question ouvertement aux
joueurs l'incitera à répondre, réfléchir, sans forcement le bousculer
dans ses opinions. Peut-être ne fera t-il que s'idéaliser, alors qu'il
serait surpris de sa véritable réaction dans un contexte réel.

Silent Hill, premier du nom proposait
déjà au joueur d'influer sur la trame afin d'obtenir des fins
alternatives. C'est devenu un tradition dans la série de diversifier
les fins et les interprétations du jeu. Les habitués se souviennent des fins délirantes UFO où l'on apprend que les aliens sont derrière tout
ça. La petite originalité de Silent Hill 2 était qu'au lieu de
paramétrer quelques moments clés qui modifieraient le dénouement final, c'est votre attitude au cours des phases de gameplay qui le détermine. Pour vous donner un exemple, je ne me soigne jamais dans les
survival-horror, une manie qui me colle à la peau et à laquelle je
n'avais jamais vraiment songé jusqu'à Silent Hill 2. Quand j'ai terminé le jeu, j'ai eu la surprise d'assister au suicide de mon héros qui
devenait le reflet de mon attitude. Ce fût la première fois qu'un jeu
utilise mon rapport avec le virtuel pour concrétiser son histoire : la
mort n'existe pas et j'ai une attitude suicidaire dans les mondes
imaginaires.

Le jeu prend en compte d'autres éléments qui ne sont pas scriptés dans la narration et qui dépendent de vous et de votre investissement latent. James penchera en faveur de sa femme
ou de l'intrigante Maria selon vos petites attentions, des petits
détails qui font toute la différence. Allez-vous examiner la photo de
votre femme ? relire sa lettre ? écouter jusqu'au bout votre dernière
conversation avec elle ? être attentif envers Maria ? regarder la lame
de la pathétique Angela ? Toutes ces questions ne vous sont pas posées
et c'est inconsciemment que vous influencez la trame. C'est au travers
du gameplay, l'élément interactif du jeu vidéo que vous pouvez
ressentir l'habitude, l'ennui et ainsi entreprendre des actions
instinctives. Toute la différence entre un jeu qui vous arrête devant
un clochard, le filme en gros plan et joue des violons puis vous
demander si vous souhaitez lui donner une petite pièce, et un jeu où
vous passerez à côté du mendiant sans même le remarquer.

Depuis que j'ai expérimenté Silent Hill
2, j'ai trouvé que ces choix inconscients méritaient d'être développés
car cela encourage, selon moi, le joueur à réévaluer son rapport avec
le jeu. Celui-ci n'est plus un survival-horror porté par un scénario à
prétexte mais un monde intriguant où tout à son importance : nos gestes deviennent symboliques d'un état d'esprit. Il n'est plus question de
se soigner pour guérir nos blessures virtuelles mais de témoigner notre volonté d'outrepasser nos démons et de rester en vie.

J'attendais beaucoup des Silent Hill
suivant. Malheureusement, même s'ils proposent tous des fins
alternatives, ils se sont éloignés du chemin déjà emprunté par le
second opus. Peut-être étaient-ils plus fidèles à la série dans
l'esthétisme et l'ambiance générale, mais ils ne sont plus le théâtre
de notre subconscient. Autant Silent Hill 3 que l'Origins, c'est la
quantité d'ennemis massacrés qui influent sur l'histoire. Cela a encore du sens : tuer représente notre soif de meurtre et les dénouements
vont dans ce sens. Mais cela me parait très léger et facile pour un
procédé qui mérite d'être approfondi. Silent Hill Homecoming,
lui, reprend carrément le procédé du choix conscient et il illustre
bien la limite de la méthode. On doit choisir si l'on pardonne à notre
père et si l'on achève notre mère qui souffre le martyr. Mais encore
une fois, cette histoire n'est pas la nôtre et ce choix intime, que
seul le héros devrait être à même de décider, nous incombe. La question est finalement morale, faut-il accorder son pardon ? Les fins suivent
indirectement cette morale et moins vous êtes indulgent, plus votre
dénouement sera sombre. Et voilà qu'apparait l'épisode que j'ai
toujours attendu, celui qui fait renaitre la série et continue ce
qu'avait commencé James dans le brouillard pesant de Silent Hill.

Silent Hill Shattered Memories : perpétuer

Silent Hill Shattered Memories utilise autant le procédé employé par Silent
Hill 2 que celui du choix conscient auquel nous sommes habitués.
Cependant, il ne se contente pas de nous mettre face à une situation
atypique où l'on décide de la meilleure marche à suivre. En effet,
toutes vos décisions "conscientes" sont testées lors d'entretiens
psychiatriques qui précèdent les phases d'exploration. Le psy vous
invite à faire votre thérapie via des tests psychologiques. Tandis
qu'il vous demandera de remplir un simple formulaire lors de votre
premier échange, il vous racontera ensuite une histoire à laquelle vous devrez réfléchir, il vous faudra aussi faire du coloriage et le
traditionnel test de Rorschach. Diversifier les tests et les moyens
d'interagir avec le joueur est une idée ingénieuse car il est moins
facile pour le joueur d'interpréter leur achèvement. D'autant plus que
les tests font penser à une mise en abime : des jeux dans un jeu. Et pas de bonne ou de mauvaise réponse, le psy nous encourage à répondre
honnêtement.

J'aimerais revenir sur ce dernier
exemple qui illustre la volonté des développeurs d'intégrer sincèrement le joueur dans l'histoire. Si vous jouez à Heavy Rain, vous passerez
aussi un test de Rorschach pendant lequel vous pourrez choisir l'option qui vous ressemble... Seulement, le test est faussé dans son usage même. En effet, cela revient à ce qu'un psy vous montre une tâche noire et
vous dise "alors un papillon ou un loup noir avec des yeux flamboyants
?". De toute manière, quoique vous répondiez, le résultat est le même
et le test ne fait qu'exposer l'état dépressif du héros, votre
participation étant une simple politesse. A l'inverse, notre psy de
Silent Hill nous demande de repérer parmi les tâches celles qui nous
font penser au sexe. Dès lors, le choix est personnel puisqu'il nous
faut catégoriser les tâches neutres et celles à caractère sexuel. On
répond selon notre perception et cela peut devenir rapidement
dérangeant car si on voit où le test veut en venir, on n'est jamais sûr de la manière dont nos réponses vont influer l'histoire.

Vos choix et leurs conséquences seront
visibles de manière concrète et plus seulement dans des cinématiques
cette fois. Si vos réponses n'influencent pas énormément la trame
principale, elles changent l'apparence et la personnalité des
personnages que l'on rencontre, mais aussi la narration, notre héros et
les monstres qui nous pourchassent. Selon vos réponses, le même
personnage pourra avoir une apparence quelconque, celle d'une princesse de bal ou d'une femme fatale. Silent Hill se conforme à notre
personnalité et titille notre curiosité. On se demande jusqu'où va t-on modifier notre environnement. C'est toute la force du jeu, nous sommes constamment intrigués. Ce sont des petits détails qui vont nous
renvoyer à nos échanges avec le psy : un mannequin étrangement vêtu
dans un magasin, la personnalité singulière d'un protagoniste, un SMS
étrange, l'affiche d'un film, notre apparences qui s'adapte à la
personnalité que l'on encourage.

Le jeu va encore plus loin en intégrant
les choix inconscients déjà présents dans Silent Hill 2. En effet,
c'est lors des phases de gameplay que vos automatismes auront leurs
importances. Répondre au téléphone, appeler de votre propre chef les
protagonistes rencontrés, regarder longuement les bouteilles d'alcool,
fouiller les linges d'une donzelle avant les placards de la cuisine.
Dans mon cas, le jeu m'a fait comprendre que pour un père qui recherche sa fille ,j'étais plutôt insouciant et que je m'intéressais surtout à
la gente féminine. C'est vrai, je me moquais royalement de ma petite
fille et quel bonheur de voir mon propre égocentrisme se refléter dans
une fin adéquate. Ce fût une fessé interactive très instructive,
d'autant plus que je ne m'en étais pas rendu compte. Vous pouvez même
faire preuve de mauvaise volonté et saboter exprès les tests
psychologique. Le jeu prendra en compte cet élément et votre manque
d'investissement se transformera en un élément du scénario qui va se
concrétiser à la fin. Vous ne voulez faire aucun effort ? Alors, il en
sera de même pour le personnage principal qui gardera ses rêves et ses
fantasmes, sans se remettre en question. Une belle manière de pousser
l'interactivité en prenant un compte que le joueur lui-même puisse se
désintéresser de l'histoire.

Ainsi Silent Hill Shattered
Memories réussit à nous faire revivre un procédé initié par Silent Hill 2 : au lieu de vouloir convaincre le joueur qu'il vit une aventure
identique à la réalité, il crée un monde imaginaire et implique nos
propres choix inconscients pour rendre cette aventure intime et
profonde.

Par Bokurano

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