plume.jpgFut un temps où les quelques passionnés que nous étions s'arrachaient les rares magazines spécialisés disponibles sur les étals de nos kiosques préférés. A l'époque, ces canards représentaient la seule source de news concernant le jeu vidéo, et chaque mot, chaque ligne, chaque avis avaient alors valeur d'évangile. Aujourd'hui, le net est arrivé, le marché de la presse a explosé, les blogs sont nés, et tout ceci à remis en perspective le rapport entre les jeux et la critique. 

Il y a juste quinze ou vingt ans, le monde du jeu vidéo n'était pas le même. Et comme de bien entendu, les vecteurs d'information de ce secteur n'étaient pas les mêmes non plus. Les joueurs âgés de plus d'une vingtaine d'années ont forcément connu la presse flamboyante de l'époque. Concernant l'univers « console », les trois mags qu'étaient Consoles +, Joypad et Player One se partageaient des chiffres de vente colossaux, dépassant allègrement les 100.000 unités par mois, pour peu qu'un la une affichait un artwork en rapport avec Dragon Ball Z. Pour accéder ainsi à cette seule source d'informations, les joueurs guettaient avec impatience le 25 de chaque mois afin de s'abreuver de news et de tests. Il n'étaient d'ailleurs pas rare d'apprendre toutes les annonces de l'E3 plus de deux mois après sa tenue initiale. Tout ceci pour dire que nous nous retrouvions comme des oisillons au bord du nid attendant le retour de papa et maman, la gueule pleine de vers. Les testeurs étaient assimilés à des icônes et leur avis ne souffrait d'aucune contestation.

Aujourd'hui, l'heure est au net 2.0. Le web s'est démocratisé et les sites consacrés aux jeux vidéo pullulent. La news au kilomètre est devenu l'appât chargé de convertir le chaland et les joueurs peuvent alors suivre l'actu à la seconde près. Il est même possible de découvrir en direct les conférences données à l'E3 et d'en apprendre donc autant que le journaliste ayant fait le voyage à Los Angeles. Plus besoin donc d'attendre les comptes-rendus des évènements. Bien calé sur MSN le temps de la conf, le joueur s'est déjà fait un avis de tout ce qui a été présenté, et en a déjà parlé avec ses potes. Les forums ou chat se sont aussi développés à vitesse grand V, et les blogs sont devenus des moyens d'expression aussi banals que classiques. Les « amateurs » peuvent alors développer leur propre site de jeux vidéo, proposer leurs critiques de jeux, leurs visions, et la parole du testeur « professionnel » devient alors un complément, plus qu'un vérité absolue. Bien entendu, chacun peut se faire son propre avis sur cet état de fait, et trouver cela dommageable, ou au contraire fabuleux.

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L'un des dommages collatéraux de l'émergence de cette « nouvelle » critique demeure le rapport au jeu. Désormais, aucun titre ne passe au travers des mailles du filet. A peine sorti, celui-ci sera disséqué sur tout ce qui compose l'univers virtuel d'un joueur : test et analyses sur les gros sites, les plus petits, les blogs, son forum favori, etc. Chacun a alors un avis sur tout. Conséquence directe issue de ce foisonnement d'opinions qui s'entrechoquent : plus aucun jeu ne peut faire l'unanimité. A l'époque des mags d'il y a vingt ans, si les trois canards s'accordaient à déclarer un jeu réussi, l'inconscient collectif s'imprégnait de ce verdict, alors sans appel. Ainsi des légendes se sont construites, des softs mythiques berçaient nos jours et nos nuits et le souvenir de l'un d'eux en soirée poussait facilement la larme à l'œil des convives. Maintenant, l'unanimité n'existe plus, chacun pouvant choisir un moyen d'expression à sa disposition pour hurler son mécontentement. Ceci est problématique pour des jeux à forte personnalité, qui n'hésite pas à user des partis-pris radicaux. Pourtant acclamé par la critique « officielle », des jeux comme Zelda the Wind Waker ou encore Final Fantasy XII subissent de nombreux quolibets sur certains forums spécialisés.

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La démocratie participative dans le jeu vidéo ?

Mais plutôt que de justifier du bien fondé de ce nouveau rapport à la critique, il semble plus intéressant de tenter d'en comprendre les conséquences sur le long terme. On est ainsi passé d'une génération de bénis oui-oui à celle de la vindicte obligatoire et du débat sans fin. De fait, appréhender le lectorat d'aujourd'hui devient bien délicat, tellement celui-ci demeure opaque. Chacun pense avoir complètement raison - comment penser autrement, tout un chacun ayant accès à assez d'informations pour prétendre juger en plein connaissance de cause ? Le soucis, c'est qu'un media majeur comme le jeu vidéo a besoin d'une représentation « officielle » et d'un ensemble de critiques à son service. Comme tout mouvement, il nécessite des chefs de file, capables de poser des jalons de son évolution et de lui apporter toute sa reconnaissance. Il est également obligatoire que le loisir vidéoludique se dote d'une grammaire propre et qu'il dispose de ses vitrines - comprendre des softs emblématiques, fruit d'une unanimité - afin de paraître cohérent et mature. Cette dispersion des voix et cette nouvelle approche de la critique de jeu vidéo pourrait au contraire le desservir, lui faire perdre de son unicité et ralentir la reconnaissance que le media attend.

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