Grim Fandango sort en 1998 ; ce n'est pas si loin de nous. Pour LucasArts,
studio emblématique de par ses jeux d'aventure, c'est une des premières
fois qu'on s'aventure à la 3D, en réaction au relatif déclin d'alors.
Acclamé par les critiques, le jeu a néanmoins été un échec commercial,
et une des dernières productions de LucasArts dans le domaine.

A l'heure où l'actualité semble toute
entière dédiée aux blockbusters, se plonger dans Grim Fandango c'était
plonger dans un autre monde. Déjà, parce que le jeu jouit d'une aura
fantastique auprès de beaucoup de joueurs, mais surtout parce que
l'époque à laquelle il est sorti se voulait complètement différente.
Dans la droite lignée de Monkey Island et de Full Throttle, Grim
Fandango impose son style et une certaine élégance : esthétique
travaillée, sonorités jazzy. Ainsi qu'une douce absurdité.

Vous jouez Manny Calavera, un agent de
voyage du DDM - le Département De la Mort - et dont le travail est de
prendre en charge les nouveaux morts pour leur permettre d'accéder au
repos éternel. En fonction de leur dossier ces derniers ont le droit à
différents moyens de transports, et y accèdent donc plus ou moins
rapidement : de la marche au très luxueux paquebot pour les personnes
dont la vie a été irréprochable. Mais Manny patauge dans ses fonctions,
car les bons contrats semblent systématiquement filer chez son
concurrent, Domino. Ce que l'on ne devine pas encore à ce stade, c'est
l'ampleur que va prendre le scénario, qui est découpé en quatre temps.
D'abord placée à El Alamoual et dans les bureaux du DDM, l'aventure vous invite rapidement à visiter d'autres lieux, parmi lesquels la très
charismatique Rubacava.

« Quelle est votre mise ? » « Je ne mise jamais, c'est contre mes
principes » « Mais alors pourquoi m'avez-vous appelé ? » « Je me sentais un peu seul »

Au niveau du gameplay, les déplacements
au clavier, innovants mais critiqués lors de sa sortie, sont parfois
assez approximatifs et soumis à des scripts qui vous redirigent
automatiquement lorsque vous passez près d'un mur ou de marches. De
plus, rare, mais typique du genre, certaines résolutions d'énigmes
doivent se faire dans un ordre donné, au risque de vous retrouvé bloqué. En dehors de cela, c'est surtout techniquement que le jeu est d'un
autre monde, pouvant poser de gros problèmes de compatibilité avec un
environnement récent. Un groupe de programmeurs avaient d'ailleurs
entreprit de rendre accessible certaines autres productions, telles que
Maniac Mansion Deluxe et Zak MacKracken (trouvables ici et ici).

Malgré cela Grim Fandango reste, encore
aujourd'hui, un jeu remarquable. Les dialogues y trouvent une place
prépondérante, drôles et bien écrits, mais surtout bien doublés, y
compris en français. Manny, Glottis, Domino et les autres personnages
servent l'aventure à merveille et rendent les déboires de Manny
attachants. Les énigmes demeurent accessibles pour la plupart bien
qu'étant en complet décalage avec ce qui se fait aujourd'hui et
nécessitant beaucoup de recherche. Si cela est quelque peu déroutant de
prime abord, on s'en accommode bien vite.

Le défilé, à El Alamoual

Le défilé, à El Alamoual

 

Au fond, ce qui participe à faire de
Grim Fandango un jeu marquant, c'est qu'il traite de la mort avec
beaucoup d'humour. Reprenant l'esthétique des Calaveras, figures
populaires de la fête des morts mexicaine, les personnages se moquent eux-mêmes de leur condition. Ils se savent
pas particulièrement chanceux mais ne s'en préoccupent guère, se font la remarque qu'ils n'ont pas de tendons, pas de peau, et guère plus de
langue alors qu'ils passent leur temps à parler. Les dialogues qu'ils
ont entre eux gardent leur spontanéité, leur hésitations. Et
certainement leur humanité. Parce que la chose la plus bizarre et la
plus rocambolesque, finalement, dans Grim Fandango, c'est bien le monde
des vivants, auquel on ne se rend que par obligation (on ne l'aperçoit
qu'une seule fois vers le début du jeu). Et parce qu'il faut bien parler de Glottis, votre ami en devenir un peu impotent et naif - à l'image
d'Obélix - n'a été créé que pour accomplir l'unique fonction de conduire et ne peut s'empêcher de customiser tout type de véhicule. Et il est
tellement succulent avec un coup dans le nez !

A l'image du retour de Sam & Max, prodigué par Telltale Games, peut-être que la grande diversité du jeu
vidéo d'aujourd'hui se prête aussi au retour de ces titres légers,
n'ayant pour d'autre ambition que celle de vous faire rire et de vous
faire passer un bon moment. Avec Monkey Island, LucasArts semble vouloir lui aussi redorer le blason de ces jeux d'antan pour les rendre
accessibles au plus grand nombre. Day of the Tentacle et Full Throttle
sont censés suivre. Ce n'est guère que maintenant, après avoir enfin
fini Grim Fandango, que je m'aperçois de l'étendu de la bonne nouvelle.
Comme quoi, il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Note : Comme un heureux hasard, Tim Schafer évoquait le jeu et la place de l'humour dans les jeux vidéo au cours d'une récente interview avec Eurogamer.

Par Memento

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