Yukio Mishima reste indéniablement un des grands romanciers japonais de la seconde moitié du XXème siècle. Sa tétralogie, La Mer de la fertilité, était la preuve que l'on pouvait encore, malgré des imperfections, des longueurs, à cette époque, entreprendre de grandes entreprises
littéraires. A la manière d'un Balzac avec sa Comédie Humaine ou d'un Zola avec la saga des Rougon-Macquart un siècle avant.
Peu de temps avant sa mort spectaculaire, un seppuku qui suivit un putsch plus symbolique que réellement efficace, en novembre 1970 Yukio Mishima rédigeait un court essai dans lequel le romancier japonais se référait au Hagakure. Ce livre rédigé au XVIIIème siècle par un samouraï développait des principes de vie, référence ultime pour l'auteur du Pavillon d'or. Dans Le Japon moderne et l'éthique samouraï, Mishima s'en prend au Japon pacifique, lui qui revendiquait un
héritage brutal, on est loin des cerisiers fleuris. Seulement,
l'extrait que je vous propose aujourd'hui ne parle pas du Japon mais
des livres et de la jeunesse. Un court paragraphe d'une grande justesse où Mishima distille une fois de plus, avec élégance, sa pensée.

 

Mishima ou la virilité à la japonaise

« L'amitié
et la lecture sont les compagnes spirituelles de la jeunesse. Les amis
ont des corps de chair et de sang et changent incessamment. Les
enthousiasmes de tel ou tel âge retombent avec le temps et laissent
place à d'autres que l'on partage avec un nouvel ami. En un sens, il en va de même des livres. Nul doute que tel livre qui a inspiré notre
enfance, repris et relu des années plus tard, n'exercera plus sa
séduction aiguë et semblera le cadavre de celui dont nous gardons le
souvenir. Mais les amis et les livres présentent cette différence
essentielle que les premiers changent et non les seconds. Même
abandonné à la poussière sur un coin de rayonnage, le livre persiste
opiniâtrement dans son style et dans sa philosophie. L'accepter ou le
rejeter, le lire ou pas, ne modifient le livre que dans la relation que nous avons avec lui, et c'est tout
. »