Sorti ce mois de juin 2011, le petit livre bleu d'Antoine
Buéno a provoqué un véritable tollé dans le petit monde de la bande-dessinée.
Sous titré 'Analyse critique et politique de la société des Schtroumpfs', cet 'essai'
vise à démontrer que 'les Schtroumpfs sont l'archétype d'une utopie totalitaire
empreinte de stalinisme et de nazisme'.

 

Avant même sa sortie en librairie, ce petit livre bleu
suscitait déjà la polémique et une levée de boucliers face aux accusations de
nazisme et de stalinisme chez les Schtroumpfs. Tout d'abord, il faut bien
nuancer les choses, et Antoine Buéno le fait très explicitement  dans l'introduction dudit ouvrage ainsi que
dans les très nombreuses interviews qu'il a pu donner à différents média. Ainsi
retrouve-t-on dès les premières lignes de l'avant-propos de l'essai ceci :
« Ni dénonciation, ni désenchantement, le présent texte  n'a vocation ni à accuser, ni à démolir.
Juste analyser. » S'en suit une relaxation de Peyo qui n'est nullement
considéré comme étant un vilain extrémiste. De ce fait, il n'est pas question
ici de juger, juste d'émettre des hypothèses et des analyses politiques suite à
une observation approfondie de cette fameuse BD belge que constitue Les schtroumpfs. Ceci étant dit...

 


L'ouvrage se scinde en deux parties bien distinctes.
Dans la première, Buéno nous présente les Schtroumpfs, leur histoire, leur
génèse, ainsi que quelques anecdotes sur leur création avec notamment la
principale, concernant un repas entre peyo et Franquin durant lequel celui-là,
ne trouvant plus ses mots, demande à celui-ci de lui passer le... le... le
Schtroumpf ! Ainsi naquit le nom de ces petites créatures bleues que le
dessinateur belge n'avait alors même pas encore à l'esprit. A base de
considérations faussement sérieuses, Buéno s'amuse ensuite à définir ce qu'est
clairement un schtroumpf. Quelles sont ses caractéristiques physiques,
sexuelles ou anthropologiques. Lu au premier degré, certaines considérations n'apparaîtront
pas comme dignes d'intérêt. Par exemple, un Schtroumpf étant haut comme trois
pommes, on peut s'interroger sur sa taille concrète :

« Comme chacun sait, il existe une
grande variété de pommes, de tailles très différentes. Une courte enquête
maraîchère permet de réaliser l'opération suivante :

-les plus petites pommes sont les
rainettes : en moyenne 5 cm ;

-les plus grandes pommes sont les goldens :
en moyenne 10 cm ;

-conclusion : un schtroumpf (adulte)
doit mesurer, en moyenne, entre 15 cm (3x5) et 30 cm (3x10) »

Amusant ? Peut-être. Pertinent ? Aucunement.

                                   

Passée cette présentation générale, la seconde partie
se présente au lecteur et il s'agit là de s'atteler au véritable sujet proposé,
ce qui fait le sel de ce livre : l'approche politique et sociale opérée
par Antoine Buéno.

Tout d'abord, L'auteur aborde le caractère utopique et uchronique de la société des schtroumpfs. De ce côté, pas grand-chose
à redire sachant que l'emplacement du village et inconnu et demeure secret.
Buéno en profite pour effectuer une piqure de rappel sur les notions sus-citées
en faisant bien évidemment référence à Thomas More. Ce n'est qu'ensuite, lorsqu'il
traite du caractère stalinien du régime schtroumpf qu'il fera bien évidemment
référence aux trois grandes dystopies (ou contre-utopies) que sont Nous autres de Eugene Zamiatine, Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley
ainsi que l'inévitable  1984 de Georges Orwell. Et là, les
choses sérieuses commencent...


Buéno se contente d'effectuer une série d'exemples
visant à appuyer sa thèse, bien évidemment, mais le fait non sans une certaine
maladresse qui confine souvent au 'capilotractage'. Par exemple, pour lui, les
schtroumpfs ne sont rien d'autre que des espèces de Mickey bleu, donc des
anti-mickey et Mickey étant, selon lui,  'le
symbole de l'Amérique, du capitalisme et de l'anticommunisme', on peut donc en
déduire toute la portée communiste des petits hommes bleus.

Assimilé à Karl Marx et à Staline, Le grand Schtroumpf
devient le petit père des Schtroumpfs (en référence au petit père des peuples
qu'était Staline), d'ailleurs, précise l'auteur, dans un épisode, il revêt un
vêtement rouge... même si le rouge est tout aussi assimilable à sont bonnet qui
est de la même couleur et qui, de ce fait à plus à voir avec la révolution
française qu'avec les couleurs du communisme. Toutefois, Buéno a bien remarqué
cela et souligne par-là même la portée révolutionnaire du bonnet phrygien.

   

Vient ensuite l'exemple du schtroumpf à lunette,
comparé à Trotski, parce que Trotski... avait lui aussi des lunettes. Est-t-on toujours
dans le registre du sérieux là ? Gargamel, lui, étant le méchant, est
naturellement assimilé au Juif mécréant qui court après l'argent, et, avec son
chat Azraël (Israël ?), ils forment le duo ennemi tout désigné d'un
village vivant en communauté et dont les plans de travail renvoient au goulag.

 

 Puis viennent les
comparaisons au modèle nazi et raciste. Les schtroumpfs sont ainsi comparés au
Ku Klux Klan... parce qu'ils portent un bonnet. (?) Le Schtroumpf noir, premier
épisode des schtroumpfs, est lui, un parfait exemple de racisme dans la mesure
ou le schtroumpf noir mord les autres et les contamine ainsi. A noter que le Schtroumpf
noir est sauvage et, incapable de parler, ne s'exprime qu'en faisant des 'gnap !'.

Le monde des Schtroumpfs est également antisémite,
car, comme vu précédemment, Gargamel qui représente le méchant récurent est l'image
du juif. La schtroumpfette, quant à elle, symbolise l'idéal de la beauté
aryenne dans toute sa splendeur.

 

Buéno consacre une dernière partie à énumérer les
divers éléments renvoyant au totalitarisme dans sa globalité. Il y aborde
notamment le pan antidémocratique avec le grand schtroumpf faisant office de
gérontocrate tout puissant sans lequel aucune décision ne peut être prise.
Puis, parmi ses arguments finaux, il compare la langue des Schtroumpfs à la
novlangue développée dans 1984 et visant
à brider la langue et par-là même la pensée.

                                     

On sort assez décontenancé de la lecture de cet
ouvrage. Si cette dernière est agréable et simple, il est à noter que le
contenu lui aussi est parfois simple, trop simple. Et on ne sait jamais trop
sur quel pied danser avec ce travail d'Antoine Buéno. Car si on en croit l'auteur,
il affirme ne pas se prendre au sérieux et pourtant, ce livre ne parvient pas à
se départir d'un premier degré parfois franchement malvenu. Par exemple, Buéno
nous propose un livre divertissant et pertinent... mais enjoint toutefois, dans
son épilogue, le lecteur à demeurer vigilant face à tout type de sujet, y
compris ceux qui n'ont pas l'air de se prendre au sérieux. Comme un ultime
avertissement moralisateur.

                       

D'un autre côté, cette analyse est présentée comme
étant rigoureuse et ne l'est pourtant pas sous bien des aspects. Celle-ci est
inégale et nombreux sont les arguments tirés par les cheveux. Du reste,
certains raccourcis sont un peu effarants pour un « maître de conférence »
usant notamment ce genre de syllogisme :

«-majeure :
la propagande national-socialiste présente « le juif » comme le pire
ennemi du peuple allemand ;

-mineure :
Gargamel est présenté par Peyo comme le pire ennemi du peuple schtroumpf ;

-conclusion :
Gargamel est juif. »

Ainsi Gargamel représenterait une caricature juive notamment
parce qu'il a un gros nez et un physique ingrat qui renverrait au chancre de l'Europe
des années 30-40 ? Mais les sorcières, dans leur ensemble, et celles de
Walt disney en particulier, ne partagent-elles pas cette laideur ? N'ont-elles
pas elles aussi un nez et des doigts crochus ? Est-ce à dire qu'il faut
crier à l'antisémitisme partout ?

               

D'autre part, on compte de nombreuses redites et il
est réellement dommage que certaines remarques ne soient pas aussi pertinentes
que les référents cités. Les remarques sur les couleurs et les icones sont
autant de topos qui peuvent avoir des significations non-politisées. Par
exemple le noir a toujours été une couleur renvoyant à l'obscur, au mal et ce
genre d'acquis judéo-chrétien est à des milles du racisme soupçonné par Buéno.
Est-ce à dire que ses considérations sur la décolonisation belge sont inexactes ?
Non, bien évidemment, mais il est dommage de remarquer que le travail n'a été
fait qu'en partie. Dommage également de citer Pastoureau sans faire davantage
référence à son travail sur les couleurs. Ainsi déplore-t-on les raccourcis et
les inexactitudes présentes dans ce livre.

           

Quoiqu'il en soit, il est difficile d'avoir un avis
clairement tranché sur celui-ci, car il se révèle toutefois distrayant et sait
même se montrer parfois intéressant.

Enfin, difficile de ne pas s'interroger sur l'efficacité
d'une telle polémique alors que « Les schtroumpfs » sort au cinéma
cet été. Voici donc une belle occasion de faire parler de soi. Monté en épingle
par les média et probablement par l'éditeur, le petit livre bleu n'est pourtant
pas un ouvrage si polémique que cela. Il a surtout servi à faire le buzz et à l'auteur
de se faire connaître.

  

P.S : Dans un registre similaire, mais plus sérieux
toutefois, Tintin sort l'année prochaine au cinéma. Il y a fort à parier que l'on
reparle du procès que l'on attente à Tintin au Congo pour racisme... 80 ans après
la parution de l'album.