Enfant, j'ai toujours suivi mon frère lorsqu'il s'agissait de
jeux vidéo. Je taxais sa console sans relâche, et m'évertuais à faire de mon
mieux sur sa Master System. Il échangeait des jeux avec les amis du coin... la
fièvre vidéoludique des années quatre-vingt avait gagné le quartier. Ses
amis possédaient tous une Sega, jusq'au jour où une rumeur s'est mise à enfler
du côté de chez Romain, le voisin. On racontait qu'il était passé à l'ennemi.
Je devais être jeune lorsque, accompagné de mon aîné, je suis allé chez lui. Il
venait de faire l'investissement du siècle : l'achat d'un Super Nintendo.
Elève de piano aux velléités intellectuelles aussi élitistes que stériles, je
ne comprenais pas quel avait pu être l'entrain de ce garçon pour un domaine
qu'il n'affectionnait qu'à demi-mot. Une réponse allait alors vite s'imposer à
moi. Un certain jeu soi-disant révolutionnaire était alors vendu avec la
console. Son nom : Street Fighter
II
. Ce devait être en 1993, probablement.

Dès lors... comment dire... la claque. J'étais petit et pourtant
ce souvenir m'est resté intact. Moi qui avais été si longtemps habitués aux
pérégrinations de Shinobi, aux
exploits que l'on pouvait accomplir avec le héros de The Ninja ou encore aux univers enchanteurs des Wonder Boy... Tous mes acquis volèrent en
éclat. L'avenir du jeu n'appartenait plus à ces petits bonshommes se déplaçant
sur un scrolling en 8 bits, mais à ces deux combattants en train d'en découdre.
Romain me présente les personnages : Ryu, Ken, Blanka... autant de noms qui
pénétrèrent dans mon esprit pour ne plus jamais en sortir. « Alors tu
vois, avec celui-là, tu peux faire ça... et puis ça... ». Alors qu'il
expliquait sommairement les différentes manipulations que l'on pouvait
effectuer avec Ryu à mon frère, je restais ébahi par tant de surenchère
technique. Les personnages étaient superbement modélisés, les graphismes
étaient tout simplement somptueux et donnaient véritablement vie aux différents
décors. Ainsi, en trame de fond se trouvaient des gens qui ressemblaient
vraiment à des personnages détaillés et non plus à une bouillie de pixel dont
pour ma part je m'accommodais fort bien en ce temps-là. Et la musique... quelle
musique ! Avec la révolution alors inégalable de la Super Nintendo au
niveau audio, ce titre, je le concède, me faisait frissonner.

Etant le plus jeune de la bande, je me devais de prendre mon
mal en patience et attendre que les 'grands' aient fini de jouer. Des coups de
pied et de poings volaient, les combattants bondissaient. A l'époque, la
gestion des coups et des collisions m'apparaissait comme révolutionnaire.
J'avais pourtant essoré Black Beltavec mon frère, mais là, non, on était dans un tout autre univers.

Au prix de nombreux efforts, ils parvinrent à sortir les
premières boules de feu. Dès lors, tous les spectateurs alentours observaient
et laissaient échapper un petit cri de surprise. L'ébahissement. C'était
complètement fou. Certains arrivaient même à faire transformer Blanka, le
monstre vert en boule offensive. Mon frère, lui, préférait abuser des Sonic Boom avec Guile. Dans ses instants
de grande réussite, il parvenait même à dessiner un arc de cercle dans le ciel
avec les pieds du militaire. Les combattants avaient-ils donc tous un coup
spécial ? Combien sont-ils, osais-je demander du bout des lèvres. Huit, me
répondit-on. Huit ? Mais c'est énorme.

Inutile de mentir, je ne me souviens plus de la première fois
où mes menottes ont saisi un pad Super-Nintendo pour la première fois. Tout ce
dont je me rappelle, c'est la complexité de l'objet. Pour moi, le passage de
deux à six boutons était vraiment trop dur à assimiler, sans compter que ceux
du dessus se révélaient purement inaccessibles pour mes petites mains. Je
prenais donc Chun-Li et me cantonnais à appuyer avec toute la vélocité dont
j'étais capable sur le même bouton. La belle donnait alors des coups en
florilège et appliquait ce que nous appelions alors « Les Mille Coups de
Pied ». Parfois, au prix d'un effort colossal produit par mes pouces
molestés, je parvenais à la faire se retourner pour voler à raz du sol, ses
jambes tournoyant au gré de son cri : « Hi Tan Ti !». Ce n'est
que quinze années plus tard que j'appris ce qu'elle disait réellement. Son cri
était en réalité le nom de sa technique : « Spinning Bird
Kick ».

Il y avait bien ce gros sumo qui avait une technique
similaire avec les poings, mais je préférais de loin ma jolie chinoise qui
m'inspirait davantage que ce vil tas de graisse musculeuse qui avait l'étrange
habitude de se peinturlurer le visage. Je devais voir en Chun-Li une figure
maternelle, probablement. Celle de la femme forte. Puis j'adhérais plus
facilement à son histoire de vengeance qu'aux aspirations égocentriques d'un
Ken certes imbu de lui-même mais qui, avec un peu de recul, s'avérait plus
simple à manipuler.

Progressivement, c'est d'ailleurs ce judoka peroxydé qui est
devenu mon joueur fétiche. Je le préférais même à son camarade nippon pour la simple
et bonne raison qu'il disposait d'une planchette japonaise plus impressionnante
que celle de Ryu. Strass et paillettes eurent finalement rapidement raison de
mes aspirations héroïques alors inspirées par la belle asiatique. Cette
dernière eut tôt fait de m'agacer avec son attaque maîtresse qu'il fallait
toujours charger. Car le temps que je passais à la préparer était bénéfique à
mes adversaires qui n'hésitaient pas à me molester... sans compter que je ne
réussissais que très rarement ma technique. De ce fait, la rupture entre les
lanceurs de boule traditionnels et les chargeurs était consommée. Ken resterait
mon perso fétiche.

Je ne sais plus dans quelles circonstances je me suis trouvé
seul, un jour, dans la chambre de Romain. Je me souviens avoir été autorisé à
jouer à sa console. Dès lors, je me suis confronté à l'ordinateur et lancé dans
le mode Arcade. En matière d'immersion, le jeu nous donnait l'impression de
voyager aux quatre coins d'un monde et ce dans le simple but de déboiter une
poignée de rivaux. Il y a probablement des choses plus intéressantes à faire
dans la vie et il est évident qu'au prix du billet d'avion on en profiterait
bien pour faire un peu de tourisme... Mais laissons de côté ces digressions
inconséquentes.

 En terme de difficulté,
le challenge s'avérait assez relevé. Il fallait mettre un certain nombre
d'étoiles si on voulait espérer avoir droit à une fin digne de ce nom, ce qui
était alors mon but ultime, négligeant par-là même toutes les subtilités du
gameplay.  Je me souviens avoir passé du
temps à éliminer mes sept autres adversaires. Les arènes m'avaient toutes
vraiment impressionné et c'est non sans une certaine appréhension que je me
préparais à affronter les quatre personnages cachés qui faisaient alors office
de boss. Pour chacun de ces-dernier, je concède avoir épuisé un nombre
incalculable de Continue. Arrivé à Vegas, les hostilités commencent avec
Balrog. Puis je me suis mesuré à Vega via un crochet par l'Espagne avant de
filer en Thaïland affronter le roi du Muay Thaï, Sagat et M. Bison, le boss
final. Durant ces combats que je perdais invariablement, je tentais de changer
de héros, histoire de voir si une Chun-Li ou un Dhalsim avaient davantage de
chance face à un Sagat. Rares étaient les succès de ces démarches mais elles
avaient généralement le don de me faire varier de jeu, ainsi, lorsque je
reprenais mon Ken, je venais enfin à bout de mon adversaire, fruit des
enseignements de ces parties acharnées moult fois recommencées.

Bison m'a laissé de très mauvais souvenirs, à l'instar de
l'ensemble des ultimes boss de la saga Street Fighter. Cet adversaire très
charismatique apparaît enveloppé d'un drap qu'il jette au gré du vent, histoire
de renforcer un peu plus le côté dramatique de l'instant. Dans ce dernier
niveau vraiment somptueux, j'avoue en avoir bavé. Bison se révèle honteusement
abusé et harcèle son opposant en effectuant des Psycho Crusher, Knee Presset autre Head Press à la chaîne.
Signe de l'abus absolu, ces attaques sont entrées sans le chargement de rigueur,
pire, ce Bison contrôlé par le CPU est capable de rentrer des Psycho Crusher en avançant. Bref, de
quoi exploser sa manette. Mais n'étant pas chez moi, j'ai cependant su
conserver tout mon calme et je me suis évertué à venir à bout de cet être
pourtant réputé indomptable. La persévérance paie parfois.