En attendant la parution en VF des romans Guild Wars 2, Fureur vous propose cette interview de Ten Ton Hammer de J. Robert King, auteur du second tome, "Edge of Destiny", qui raconte l'histoire de la guilde éponyme...

L'art de concevoir des personnages crédibles pour une licence de jeu vidéo n'est guère à la portée que d'une poignée de développeurs de MMO. Mais c'est une aide précieuse pour aider les joueurs à s'immerger dans
un jeu au même titre que le combat, l'artisanat, et la progression des
personnages.

Ce concept n'est certainement pas nouveau pour les fans de la première
heure du Guild Wars d'origine et de ses extensions. Depuis le début, les joueurs rencontrent des personnages importants, dont le destin sera lié à celui de leurs personnages. Par exemple, dans les premières minutes
de la campagne Prophecies, on fait la connaissance de Gwen, dont
l'histoire raconte l'innocence perdue et la mène à devenir un personnage emblématique de Eye of the North et de la série de quêtes Guild Wars
Beyond.

En ce qui concerne Guild Wars 2, les joueurs ont déjà entendu parler des cinq personnages principaux représentant les races jouables, via des
images et vidéos promotionnelles, mais la sortie de Edge of Destiny
marque notre première rencontre avec eux sur un plan personnel.

J'ai eu récemment l'opportunité d'en apprendre plus sur la
transformation de ces personnages emblématiques de GW2 en des entités
vivantes avec lesquelles les joueurs peuvent interagir lorsque le jeu
sera sorti. Dans l'interview ci-dessous, J. Robert King, auteur de Edge
of Destiny, nous donne plus de détails sur ce processus et le rôle que
ces personnages auront dans le destin de ceux que vous jouerez dans GW2.

Ten Ton Hammer : Dans de précédentes interviews, vous avez
signalé que ce n'est pas la première fois que vous avez l'opportunité de travailler avec des membres de l'équipe de de développement d'ArenaNet, comme Jeff Grubb et Ree Soesbee. Pouvez-vous donc parler un peu de
votre background d'auteur à ceux de nos lecteurs qui ne sont pas
familiers de vos écrits antérieurs à EoD ?

J. Robert King : J'ai rencontré Jeff Grubb pour la première
fois en 1991, lorsque j'ai commencé à travailler pour TSR [NdT : éditeur d'origine du jeu de rôles Donjon & Dragons] comme éditeur de jeu.
Le département éditorial était installé dans une série de cubes, on se
serait crus des rats dans un labyrinthe. Jeff était un des rats en chef. Il était en fait en vacances, mais un des concepteurs m'a dit qu'il
était romancier et m'a indiqué son cube. J'ai jeté un oeil et j'ai vu
une chaise usée entourée par une avalanche de papiers. Lorsque Jeff est
rentré de vacances, j'ai été impressionné par l'étendue de son énergie
et de son imagination. Quel que soit le projet sur lequel il travaillait (Spelljammer, Ravenloft, Al-Qadim, Marvel Superheroes... [NdT :
plusieurs univers de jeu de rôles]), c'était son projet favori. Et après cinq minutes de conversation avec Jeff, c'était le vôtre aussi. C'est
son style créatif : un excès contagieux. Je suis heureux de signaler
que, même vingt ans plus tard, il a toujours ce style. C'est lui qui m'a enrôlé pour écrire pour Magic : L'Assemblée, et c'est lui qui m'a fait
découvrir Guild Wars.

J'ai rencontré Will McDermott pour la première fois à la fin des années
90, lorsque j'écrivais "Time Streams" et "The Thran" pour Magic :
L'Assemblée. Will dirigeait The Duelist [NdT : un magazine consacré à
Magic] et voulait un ensemble de trois nouvelles qui raconteraient les
origines d'un des personnages principaux de l'univers. Nous avons
travaillé ensemble là-dessus, et Will a collaboré avec un encreur et
artiste génial pour les présenter sous la forme de romans graphiques.
J'ai été impressionné par le nombre de projets dans lesquels il était
impliqué. Plus tard, quand j'ai été éditeur de romans pour Wizards of
the Coast, j'ai été impressionné par ses écrits. Il a fourni des
nouvelles pour un grand nombre d'anthologies de Magic que j'ai éditées.
Pour EoD, Will a été le nexus, rassemblant et comparant les commentaires de l'ensemble du groupe, me les présentant, et recevant brouillon après brouillon de ma part. Encore une fois, il était impliqué partout.

J'ai aussi rencontré Ree Soesbee à la fin des années 90. Wizards venait
d'acquérir les droits pour Le Livre des Cinq Anneaux [NdT : un autre
JdR] et je cherchais des écrivains. Nous avons fait passer des auditions et parmi la cinquantaine de propositions, celle de Ree était dans les
trois que j'avais choisies. Elle connaissait vraiment bien L5R, et elle
savait vraiment écrire. Ses personnages étaient vraiment profonds et
attirants, et très convaincants sur le plan psychologique. Et
maintenant, une douzaine d'années plus tard, Ree a mis en oeuvre ce même talent pour créer et étoffer les personnages emblématiques de GW2. Elle a un projet à l'esprit pour le développement de chacun d'entre eux, et a évalué comment leurs différents plans se contrecarrent entre eux. Elle a toujours été capable de voir plusieurs points de vue et d'identifier
comment chacun peut être "le bon" alors qu'ils se contredisent tous. Ce
qui explique pourquoi il n'est pas étonnant que le destin ait séparé ces personnages. L'étonnant, c'est qu'ils aient pu être rassemblés au sein
d'un groupe !

TTH : Comment était-ce de travailler en équipe sur EoD alors
qu'une bonne partie du monde dans lequel le roman se déroule est encore
en développement ? Y a-t'il eu des défis inattendus, ou même des
surprises qui sont apparus au cours du processus ?

King : L'équipe était composée des meilleurs créateurs de
mondes et romanciers avec qui j'aie jamais travaillé, donc j'ai été très honoré de collaborer avec eux. Et quel monde ils créaient ! Le GW
d'origine avait déjà séduit mon imagination, mais la nouvelle Tyrie
était encore plus excitante.

Evidemment, oui, c'était un processus désordonné. Je suis arrivé au
début, quand l'atmosphère explosait sous les idées - certaines de moi.
Ce qui est génial quand on participe si tôt, c'est qu'on peut participer à la création du monde. Ce qui est difficile, c'est qu'il est
impossible de savoir exactement quelles idées vont tenir et lesquelles
vont faire pschitt. La Créativité, par nature, est prodigieuse et
productive mais aussi prodigue et extravagante. Il y a beaucoup de
déchet. EoD a fait l'objet de six brouillons, chacun se rapprochant de
plus en plus du but, et chacun évoluant à partir du précédent. C'était
du travail, mais l'équipe et moi y étions tous ensemble, et le livre
final est le résultat de tout notre dévouement.

TTH : En tant que premier regard détaillé sur les personnages
centraux de Destiny's Edge (leurs motivations, leur caractère, leur
attitude envers les autres races), qu'est-ce que ça vous a fait de
donner vie à ces personnages, sachant que cela influencerait la façon
dont ils seront perçus par les joueurs dans GW2 ?

King : Très tôt dans le projet, Jeff m'a dit que EoD serait
l'histoire des Beatles. Quand je lui ai demandé ce qu'il voulait dire,
il a répondu que ce livre serait sur le meilleur groupe du monde, qui
raconte comment ils se sont rencontrés, pourquoi ils étaient les
meilleurs et ce qui les a déchirés. C'est une lourde tâche, et une
grande responsabilité. Ces personnages centraux sont une colonne
vertébrale pour GW2, il est donc crucial que chaque personnage soit
intéressant et bien développé. Les lecteurs doivent vouloir connaître
ces personnages et les rechercher dans le jeu.

Comme je l'ai dit, Ree avait déjà établi les rapports émotionnels de
chacun de ces personnages (ce qu'ils veulent, ce dont ils ont besoin, ce qu'ils craignent) mais j'avais besoin de créer une intrigue qui les
rassemblerait. Et aussi de les décrire comme de vrais représentants de
chacune des races majeures, tout en restant des individus. Comme je le
dis : un défi.

L'équipe m'a aidé. Au début, mon ton était trop léger, les personnages,
trop comiques. Une révision a corrigé ça, mais ça ne marchait pas
vraiment pour la relation entre Rytlock et Logan, ou l'antagonisme entre Eir et Zojja. Donc, d'autres ajustements à faire. Puis il y avait une
romance à développer avec une certaine reine, et un ensemble de
personnages secondaires venus de toute la Tyrie...

Donc, oui, beaucoup de personnages ont vu le jour dans les pages de EoD. Mais ils vivront de façon nouvelle dans GW2.

TTH : Est-ce qu'il y a des situations où quelque chose que vous
avez écrit pour EoD a contribué à influencer directement des choses que
les joueurs rencontreront dans GW2 ? Si oui, pouvez-vous en détailler un ?

King : Très tôt, l'équipe m'a envoyé une bible du monde de GW2
de 300 pages, en m'avertissant que c'était un document en cours
d'évolution, qui allait changer plusieurs fois dans les mois à venir. Je l'ai lue du début à la fin, et je m'en suis servi pour écrire mon
script d'origine. Cependant, il y avait de temps en temps des détails
qui n'étaient pas couverts dans la bible, donc j'ai inventé. Et souvent, l'équipe répondait "ça ne marche pas comme ça" ou "on t'enverra un
autre document pour expliquer ça". Une fois, j'ai inventé un point
important dans la continuité, et je serrais les dents en attendant la
réponse. Cette fois, l'équipe a dit "En fait, ça marche vraiment. Ca
comble un gros trou de l'histoire, et de façon vraiment intéressante et
satisfaisante". Et mon idée est devenue un point majeur de la
continuité, dans le roman et dans le jeu.

Je ne peux pas vous dire ce que c'était, surtout par peur des spoilers.
Mais ça n'a pas d'importance. Le monde a été créé par de nombreuses
personnes, et c'est un honneur pour moi d'en avoir fait partie. Et
honnêtement, le monde n'est pas vraiment vivant tant qu'il n'a pas
quitté les mains des concepteurs et rédacteurs pour celles des joueurs.
Ce sont eux qui font vraiment le jeu.

TTH : EoD émule de nombreuses façons les différents aspects du
jeu, comme le fait que le travail d'équipe et la communication
facilitent les combats, ou que certains ennemis nécessitent un plus
grand groupe si on veut les vaincre. Est-ce que cet aspect a été décrit
ainsi délibérément ?

King : Absolument. Quand on écrit un roman basé sur un jeu, le
défi est de retranscrire les meilleurs aspects du jeu dans l'histoire.
Le fait que les MMO demandent souvent que des groupes de héros variés se rassemblent pour combattre un gros boss marche bien dans une histoire.

Et pour revenir à l'analogie de Jeff avec les Beatles, ce qui a fait la
grandeur du groupe, c'est la combinaison des talents. McCartney et
Lennon étaient tous deux brillants, mais étaient très différents en tant que compositeurs et interprètes. Lorsqu'ils étaient ensembles, leurs
conflits créatifs les rendaient tous deux meilleurs. Si jamais on
pouvait les mettre d'accord sur une chanson, alors ça deviendrait un
classique. C'est le même principe pour Destiny's Edge. Chaque membre du
groupe est génial pris seul, mais si on les met tous ensembles, la
synergie de leur capacités et les conflits qui les animent rendent le
groupe plus grand que la somme de ses parties.

Pour ce qui est des autres aspects du MMO, je voulais vraiment
retranscrire ce qui est génial dans le jeu. De braves héros, des
méchants terrifiants, des batailles épiques, des paysages étranges, des
monstres féroces : il fallait que tout soit là. Le roman devait être
comme le jeu, mais sous forme de livre.

TTH : Parmi les personnages principaux - ou les races jouables
qu'ils représentent - est-ce que vous avez un favori, sur lequel vous
avez préféré écrire ou que vous voudriez approfondir davantage si vous
en aviez l'opportunité ?

King : J'aime vraiment Rytlock et les nouveaux Charr. Dans
beaucoup de mes romans, des héros se révèlent des ennemis, et
vice-versa. Je trouve ça réaliste et intéressant, surtout que les Charr
autrefois diabolisés se révèlent aussi des héros.

Rytlock, en particulier, est un personnage très contrasté. Il est le
plus puissant, le plus brutal et le plus impétueux du groupe, mais il
déteste ceux qui s'attaquent aux faibles. Il n'accorde pas facilement sa confiance, mais quand il la donne, il la donne complètement. Comme tous les Charr, il est pragmatique et fera tout le nécessaire pour gagner,
mais il a aussi le sens de la justice. Il est féroce et drôle. Il est
profond et superficiel. Il est comme moi, c'est pourquoi j'aimerais
écrire davantage à son sujet.

L'autre chose qu'il faut cependant garder à l'esprit, c'est que GW2 est
un monde partagé. Je n'ai pas créé ces personnages, c'est l'équipe qui
l'a fait. Ils me les ont prêtés le temps d'un roman, et m'ont aidé à
leur donner vie. Je suis impatient de voir ce que d'autres feront avec
ces personnages : les artistes, les concepteurs du jeu, les doubleurs et les autres écrivains. C'est comme ça que je veux voir pour ces
personnages : par les yeux d'autres personnes et dans leur univers, à
faire des choses que je n'aurais jamais imaginées.

Un grand merci à J. Robert King pour avoir pris le temps de discuter de Edge of Destiny avec nous !

Si vous n'avez pas encore eu l'occasion de le lire, un chapitre est disponible online (en VO), en attendant de l'acheter (ou que la VF paraisse).

(Trad by Crazy -- Source)