Ah, nous voilà enfin au 69ème ALT+TAB, nombre des plus évocateurs s'il
en est. Oui, j'avoue, j'ai réfléchi depuis un moment au sujet de cet
article, histoire de rester dans le thème de l'érotisme sans céder
toutefois à la facilité de la pornographie pure et dure (on verra
peut-être plus tard). Du coup, j'ai décidé de vous parler un peu de sexe et beaucoup de sentiments - concernant la psyché masculine en
particulier (j'entends les filles applaudir) .

Vous êtes prêts ?

Si vous suivez l'actualité des jeux vidéo, vous avez sans doute entendu
parler de ce titre d'Atlus sorti il y a quelques mois au Japon sur X360
et PS3 : Catherine. Ce jeu a été développé par les mêmes gens qui ont
réalisé Persona 3, une sorte d'hybride entre rpg à donjons et simulation de drague :

Dans la première bande-annonce que je vous ai linkée, nous voyons un
homme du nom de Vincent qui semble être hanté par des rêves de nature à
la fois sexuelle et horrifique : il est tour à tour pourchassé par des
béliers cravatés et aguiché par une jolie blonde à forte poitrine, la
Catherine qui donne son nom au jeu. Cette dernière le drague, l'embrasse et va jusqu'à ce qu'il semble être une relation sexuelle.

Nous voyons Vincent clairement inquiet tout du long de la bande-annonce, mais du peu qui nous est montré, il est difficile de distinguer ce qui
est réel de ce qui est onirique - tout ce qu'on peut supposer est un
traumatisme majeur dans la psyché du personnage principal, ce qui nous
donne bien envie d'en apprendre plus.

Le jeu, auquel je n'ai pas joué, attention (et si vous y avez joué,
n'hésitez pas à en parler ici, cela m'intéresse), est décrit sur les
forums comme un jeu d'aventure d'horreur pour adulte, où il a fait forte impression.

Le développeur a annoncé que le jeu serait "très érotique" et le
character designer Shigenori Soejima, qui travaille depuis un moment sur la série des Persona, a indiqué qu'il y aurait un certain nombre de
séquences "réservée aux adultes". Alors que la plupart des gamers ont
accueilli avec intérêt l'utilisation d'un tel sujet comme noeud de
l'intrigue d'un jeu d'aventure, ils semblent évidemment plus intéressés
par y jouer que par la signification des thèmes sexuels employés.

Cependant, ici et là, quelques opinions ont été exprimées sur le web
indiquant que le jeu ne s'appuyait non pas seulement sur le thème
classique du sexe mais aussi et surtout sur celui de la psychose
sexuelle masculine.

Là tout de suite, je sens que cela va être intéressant. Poursuivons l'enquête.

La différence

La sexualité se fait connaître de façon habituellement peu subtile dans
les jeux vidéos. Après tout, les scènes de sexe de Mass Effect ont
déclenché une frénésie outrée dans les médias américains, "choqués" par
ce contenu adulte. Le gaming a beau progressé, nous continuons de voir
une frontière claire entre les jeux "normaux" et les simulations
ouvertement sexuelles, qui sont devenues un genre en soi (et qui existe
depuis des décennies...). Pour ainsi dire, je pense qu'il n'y a pas
encore eu de jeu qui fasse vraiment le pont entre les deux - du moins,
qui montre le sexe et la sexualité comme une expérience riche et à
plusieurs niveaux comme elle peut l'être dans la réalité.

Et voilà qu'arrive Catherine. Vincent, notre héros de 32 ans,
s'identifie comme un "herbivore", une expression japonaise populaire
désignant les hommes montrant peu d'intérêt pour le sexe.

Il se dispute donc au début de la bande-annonce avec une femme qu'il
appelle "Catherine" et qui semble de nature agressive, puisqu'elle
mentionne des rêves où elle tue des gens. Alors que l'histoire
progresse, nous voyons un homme qui montre tous les signes de la terreur une fois confronté à une femme à l'attitude ouvertement sexualisée et
aguicheuse. En fait, nous n'avons pour ainsi dire aucune preuve que
Catherine soit même une personne réelle, ou bien une sorte de symbole
que Vincent voit dans ses rêves et qui incarne une partie de sa psyché.

Les occurrences de relations sexuelles sont rares dans les jeux, et il
est difficile de nier que ce jeu aborde le thème de la vraie sexualité,
se concentrant non seulement sur l'orientation sexuelle de Vincent mais
aussi l'univers existant dans ses rêves. Que Catherine soit un symbole
ou une vraie femme de chair et de sang, le scénario nous propose
apparemment un voyage dans la psychose de Vincent pour avoir le fin mot
de l'histoire. Et pour le coup, c'est un concept réellement innovateur.

Atlus nous a habitué dans ses jeux à aborder le thème de la sexualité
dans ses jeux. Le héros de Persona 2 expérimente une relation
homosexuelle avec un des autres personnages. Persona 4 est connu pour
plonger les joueurs dans des donjons censés représenter leurs sentiments les plus profonds, et nous entraîne dans un donjon au thème
ouvertement homo-érotique, suggérant la confusion du personnage
principal masculin concernant son identité sexuelle.

Culture japonaise

Cependant, Catherine semble pousser plus loin et propose un nouveau mode de présentation de la sexualité dans les jeux vidéos, en nous plongeant dans le rôle de l'identité sexuelle dans la construction d'une psychose masculine. Ce n'est plus un simple jeu à Marie-Couche-toi-là, la
sexualité présentée ici se répand sur plusieurs niveaux
d'interprétation. Dans la culture japonaise, l'homme herbivore a renoncé à sa sexualité et a donc renoncé en quelque sorte à une partie de sa
puissance. Et pourtant, dans ses rêves, nous voyons Vincent être entouré de béliers, symbole classique de virilité et de force.

En fait, à un moment, on le voit même arborer des cornes de béliers
(rappelant les "cornes" des hommes cocufiés qui acceptent en silence les tromperies de leurs femmes) mais il semble terrifié de les découvrir
sur son crâne. Dans une autre scène, on voit un bélier portant une
cravate, image qui renvoit au salaryman japonais (et peut-être aussi à
celle d'un mouton dans un troupeau qui obéit à ce qu'on lui dit).
L'identification de Vincent en tant qu'"herbivore" ("soshokukei")
renvoie sans doute à la peur de la femme - problème qui commence
apparemment à s'étendre dernièrement au Japon, où de plus en plus
d'hommes de vingt à quarante ans s'identifient au concept. Cette idée
s'appuie sur l'image d'hommes qui ne cherchent pas de relations
sentimentales, sont maladroits en amour, sont moins attachés à l'argent
que la moyenne et ont moins de mal à montrer leur vulnérabilité.

Une version américaine du jeu est prévue pour juillet prochain et du
coup, je me demande si ce genre de détail culturel sera correctement
rendu auprès du public occidental. D'un autre côté, les thèmes de
Persona 4 étaient déjà en résonance avec la culture japonaise et les
thèmes matures du jeu ont été très bien reçus par le public occidental
donc a priori, il ne devrait pas y avoir trop de problème.

Equilibre des forces

Je pense que vous en conviendrez avec moi, la vaste majorité des jeux
proposent un personnage masculin comme principal protagoniste, tout en
le plaçant dans une position de supériorité hiérarchique et sexuelle,
permettant au joueur d'embrasser ces caractéristiques et se sentir
"dominateur". Même les jeux aux concepts les plus simples respectent
cette structure, y compris Mario et Link qui doivent secourir leur
princesse encore et encore. Le thème récurrent perdure : l'homme est
actif, la femme passive.

C'est là que Catherine apparaît soudain comme une bouffée d'air frais.
Ce jeu détourne complètement ce carcan en proposant au joueur d'incarner un personnage masculin craintif et timoré. On ne se sent plus aussi
dominateur, du coup, pas vrai ? Au lieu de proposer au joueur un rôle
qui le mènera au triomphe, nous sommes amenés à découvrir les peurs de
Vincent en tant que victime de la femme-objet qu'il convoitait depuis si longtemps...

Alors que les mâles de la plupart des espèces animales ont un instinct
de conquête, ils attendent de la femelle qu'elle adopte une attitude
passive - comme un droit acquis. Catherine n'est clairement pas ce type
de femme - ni la femme en colère qu'on voit à la fin de la bande-annonce d'ailleurs, hurlant à Vincent qu'elle ne le pardonnerait jamais.

Nous voilà donc avec un thème intéressant, avec plusieurs niveaux de
lecture à explorer. Mais en quoi cela se transpose-t-il en un gameplay
d'intérêt ? Pour le peu que j'en ai compris en me renseignant sur le
Net, le jeu se décompose en deux phases qui alternent, le jour et la
nuit - le gameplay principal ayant lieu au cours des cauchemars
nocturnes de Vincent. Pendant ces phases oniriques, Vincent doit monter
tout en haut d'une série d'escaliers en résolvant une série d'énigmes de type jeu de plateforme, sous peine de mourir dans son rêve et ne plus
revenir à la réalité.

Les options de gameplay possibles paraissent nombreuses : on peut
imaginer des niveaux renvoyant à divers aspects de la psyché de Vincent, plus ou moins torturés, glauques et sordides. Terminer un niveau
pourrait alors "déverrouiller" un peu plus sa psychose et la soigner, ce qui aura peut-être un impact sur sa vie diurne, ou inversement.

Pour le coup, j'ai hâte de pouvoir vraiment essayer ce jeu, histoire de
me faire une idée plus précise (mais connaissant le résultat du boulot
des développeurs avec Persona 4, je ne me fais guère de souci).

Inhabituel

Concevoir un jeu tel que celui-ci est certainement plus intéressant pour un développeur qu'un énième jeu d'aventure où il faut délivrer la
princesse - même si ces derniers ont posé une empreinte indélébile sur
notre pop-culture.

Cependant, plus les mécanismes de gameplay sont intuitifs, plus les
joueurs seront plongés dans l'univers du jeu et plus ils pourront
reconnaître les émotions du personnages principal, ses peurs et
angoisses, pour aboutir à un final cathartique autant pour eux que pour
le personnage. Dans le cas présent, le commentaire d'Atlus sur la
société japonaise et la façon dont sa structure rigide pousse ses
habitants à créer de nouvelles identités (sexuelles ici) est
intéressant, voire innovant.

Après tout, nous avons pour la première fois dans l'histoire du jeu
vidéo l'opportunité de nous plonger à un niveau inédit de la psyché
masculine, pour en saisir un bref aperçu des peurs et désirs qui
l'habitent - dans une situation où, pour une fois, c'est nous qui
incarnons la victime traquée, et comprendre ce que cela signifie d'être
dans cette position d'infériorité.

C'est ce qu'on peut appeler une utilisation intelligente de la sexualité dans le concept de jeu, n'est-ce pas ?

Alors que les jeux cherchent à aller plus loin dans le réalisme des
images, il paraît naturel que cette frontière de la sexualité soit
franchie - et je ne parle pas simplement de la dimension du coït (c'est
bon, Kratos est déjà passé par là, merci). Si on peut comprendre autrui
au travers de ses émotions, de ses raisons et de ses souvenirs, pourquoi pas au travers de sa sexualité aussi ?