Grosse interview que celle que nous vous proposons aujourd'hui puisqu'il s'agit de celle réalisée par Tap-Repeatedly de Bobby Stein, entièrement consacrée à ce processus peu connu qu'est le doublage - et il faut l'avouer, on en apprend énormément !

Tout de suite, je vous laisse à cette passionnante (et longue) lecture...

Suite à mon précédent article sur Guild Wars 2, "Coaching Vocal", je suis resté en contact avec l'écrivain d'Arenanet Bobby Stein, et ce dernier prit le temps de discuter du travail de doublage, des dialogues et du processus d'audition. Voici le résultat...

Tap : Pour commencer, et pour les novices de Guild Wars, pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle chez Arenanet ?

Bobby : Je suis auteur principal (ou chef de l'équipe des auteurs, selon la quantité de place dont je dispose). Je dirige sept auteurs/éditeurs au sein de l'équipe de design de Guild Wars 2. Je fais en sorte qu'ils disposent des ressources et des outils dont ils ont besoin pour travailler efficacement et esquisser et/ou éditer de façon créative les dialogues doublés ainsi que le texte de l'interface dans le jeu. Etant donné que j'ai une expérience dans la production de film et de programmes télévisés, je suis aussi impliqué dans le casting des doubleurs, j'assiste aux sessions d'enregistrement et j'aide l'équipe de production à chaque fois que je le peux.

Tap : Comment avez-vous abordé le script de Guild Wars 2, par rapport au premier opus ?

Bobby : Grosso modo, Guild Wars 2 contient autant de textes que la totalité de la série originale, en incluant les trois campagnes principales et l'extension Eye of the North. C'est absolument énorme en terme de contenu écrit. Parce que c'est une tâche des plus imposantes, nous avons réparti les tâches selon les types de contenu. Jeff Grubb gère les trames des donjons. Ree Soesbee est la principale auteure des chapitres d'histoire personnelle, avec Scott McGough de mon équipe. Dernièrement, l'équipe des auteurs est devenue le moteur de l'écriture et des dialogues des événements dynamiques, ainsi que des scènes d'ambiance. J'appose mon sceau de validation des scripts sur tous les dialogues et j'y effectue de nombreux ajustements afin qu'ils paraissent plus naturels.

Enfin, mon équipe examine tous les textes du jeu, qu'ils soient écrits ou doublés. Parfois, nous écrirons directement un texte sur la base des recommandations d'un designer de contenu ou système. Le reste du temps, nous reprenons un brouillon et opérons les réécritures et modifications nécessaires pour qu'il répondent à certains prérequis et s'inscrivent correctement dans notre style maison.

Les événements dynamiques sont concernés par une grande partie de l'écriture et du doublage, il est donc important que chaque ligne doublée soit utilisée efficacement. Les joueurs doivent être plongés dans l'action, et les dialogues contextuels fonctionnent mieux à cet effet que les bulles de texte. En voici un exemple.

Supposons que vous êtes en train de voyager d'un village vers un autre, lorsqu'un garde tout haletant s'approche de vous. Il vous annonce avec emphase que la propriété qu'il protège est actuellement sous le coup d'une attaque et que toute la famille - qui comprend une enfant - est en danger. Vous foncez vers la propriété et tracez votre chemin au travers des vagues de pirates. Pendant ce temps, vous entendez les habitants de la maison crier de peur. Mais vous arrivez quelques instants trop tard. Vous entendez le kidnapping se dérouler et les pirates emportent la petite dans leur repaire afin d'exiger une rançon. Si vous êtes assez rapide, vous pouvez même les voir partir. Une chaîne d'événements telle que celle-ci demande beaucoup de doublage, afin que chaque cri de combat et dialogue se déclenche au moment-clé, de sorte que vous aurez l'impression d'être plongé dans au coeur d'une situation tendue. Les personnages ont une personnalité et une motivation, et cela transpire tout au long de chaque événement.

Tap : Quand la décision d'utiliser du doublage pour les quêtes au lieu de textes comme dans le premier opus a-t-elle été prise ?

Bobby : Au tout début du développement de Guild Wars 2, les chefs des équipes de design, d'écriture, de world building, et d'audio ont eu une longue discussion sur ce que nous souhaitions faire différemment. tout d'abord, nous exprimâmes nos frustrations. Il est très difficile de conter une histoire intéressante en utilisant des cinématiques en guise de serre-livres à la fin de chaque mission. Il n'y a simplement pas assez de temps pour développer efficacement les personnages sur des périodes si courtes, surtout quand ces passages peuvent être séparés par des heures de jeu les uns des autres comme c'est le cas dans les MMOs. Au lieu de les rallonger, ce qui ne nous a pas paru comme la meilleure solution pour un jeu en ligne, nous avons du chercher une autre solution.

Nous avons observé comment certains de nos jeux solos favoris abordaient ces problèmes et la chose qu'ils avaient tous en commun était une utilisation efficace du doublage au sein du gameplay. Les dialogues d'ambiance peuvent vous en dire beaucoup plus sur un univers de jeu ou les émotions et motivations de ses habitants, de plus les dialogues contextuels peuvent développer des personnages et faire avancer une trame de façon moins importune, tout en fournissant des informations de gameplay à la volée.

Tap : Le doublage est un processus incroyablement onéreux et Arenanet a annoncé avoir fait un usage plus efficace du temps en studio "pour en avoir plus pour leur argent". Y a-t-il eu un moment où vous avez eu l'impression que retourner au texte pour tout sauf les personnages principaux aurait été la meilleure solution ?

Bobby : Il est certainement plus facile de laisser le texte non-doublé. D'une, c'est moins cher car vous n'avez pas à ajouter le coût des acteurs pour les différents langages, les ingénieurs du son, les monteurs et l'assurance-qualité. Vous bénéficiez aussi de plus de flexibilité dans le calendrier de production pour modifier les choses si jamais une décision de design imposait de modifier les scripts. Vous pouvez faire plus d'itérations avec du dialogue non-doublé, ce qui peut constituer un avantage certain dans l'élaboration de l'histoire, des personnages et du gameplay.

Une fois cela dit, vous perdez potentiellement énormément d'ambiance en ne vous appuyant que sur du texte, et puisque les jeux vidéo sont multimédia, on peut dire que vous ne tirez pas avantage de tous les outils à votre disposition. Enfin, vous avez besoin de faire ce qui est le mieux pour le jeu tout en satisfaisant vos fans. Lorsque la situation s'est détériorée, nous fîmes le choix d'un doublage avancé tout au long du jeu. L'exception à cela est notre système de conversation. Nos raisons furent doubles.

Les joueurs lisent souvent en avance les dialogues doublés et les sautent pour passer à la ligne de dialogue suivante avant même qu'un personnage ne finisse sa réplique. Du coup, au lieu de doubler la moindre petite interaction, nous avons considéré que les dialogues d'ambiance doublés pourraient supporter la charge de soutenir l'histoire, étant donné que les rebondissements et les motivations de personnage sont retranscrits plus naturellement de cette façon. De plus, nous ne voulions pas ralentir les groupes de joueurs en bloquant le chef de groupe dans une longue conversation. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres façon de résoudre le problème, mais quand nous avons fait les comptes en matière de nombre de lignes de script, de budget, de gain de gameplay et d'investissement des joueurs, nous avons considéré que les conversations doublées étaient la meilleure solution pour le jeu que nous concevions.

Tap : Employer des comédiens de doublage pour tout un jeu doit constituer une tâche titanesque mais doubler un MMO est une tâche d'un tout autre niveau (ce que Bioware est en train d'expérimenter). Comment compter-vous maintenir la qualité tout en maintenant le niveau de qualité de la trame scénaristique ?

Bobby : C'est extrêmement difficile de générer du contenu pour un jeu de cette taille, mais cela devient d'autant plus compliqué lorsque vous ajoutez la voix dans l'équation. J'ai eu de nombreuses conversations avec des ingénieurs du son, des auteurs et des designers au sein de cette industrie et alentour au cours des dernières années. Il n'y a pas si longtemps, un jeu solo doublé pouvait contenir plusieurs milliers de lignes de dialogues pour vous accompagner au cours de la dizaine d'heures de temps de jeu. Ainsi, des titres comme Half-Life 2 ou Portal peuvent efficacement conter un scénario intéressant avec des personnages fouillés, le tout au sein d'un environnement relativement maîtrisé avec une quantité de doublage assez conservatrice.

Quand vous observez des jeux à monde ouvert tels que Grand Theft Auto IV et Red Dead Redemption, ou des RPGs tels que les Elder Scrolls ou les Fable, cela devient beaucoup plus compliqué. Vous avez non seulement des personnages principaux dont il faut s'occuper mais aussi des milliers d'autres figurants rôdant dans ces univers. A moins d'avoir un budget illimité et des années de développement à consacrer à la seule écriture et doublage, vous devez déterminer combien de voix il vous faut pour donner une âme à votre monde, et combien de lignes de dialogues les PNJs auront besoin de prononcer pour éviter l'effet de répétition fatidique qui survient après 25 ou 50 heures de jeux à arpenter l'univers. Pour remettre les choses en perspective, il y a des joueurs de Guild Wars qui ont passé plusieurs milliers (et encore) d'heures en Tyrie, alors vous pouvez imaginer combien de voix supplémentaires il vous faut pour maintenir un monde intéressant.

Tap : Considérez-vous l'emploi de comédiens de doublage comme créativement plus restrictif en comparaison du texte écrit ? Tout particulièrement si l'on considère le talent des auteurs d'Arenanet...

Bobby : C'est restrictif dans un sens positif. Si vous donnez une page blanche à des auteurs, ils auront tendance à la remplir avec beaucoup d'informations potentiellement inutiles. En donnant des lignes directrices sur où et quand le doublage peut et doit être utilisé, ainsi que sur la longueur moyenne d'une ligne de script, cela nous force à faire plus attention. Si vous regardez un film sous-titré au cinéma ou à la télévision, vous constaterez une différence nette entre la façon dont le dialogue est rendu en comparaison d'un jeu contenant beaucoup de texte. Les lignes de script sont plus concises et percutantes, et les personnages ont tendance à poursuivre leurs propos précédents au lieu de les répéter.

Le développement de Guild Wars 2 nous a obligé à repenser notre approche des dialogues. Etant donné que les auteurs constituent une portion relativement petite au sein de la grande équipe de design, vous pouvez imaginer la difficulté qu'il y a eu à briser les vieilles habitudes ou à imposer de nouveaux modes de travail alors que tout le monde jusque là était habitué à écrire pour un affichage sur moniteur ou sur une feuille de papier. Ce changement est très visible dans les quêtes de départ de la race humaine que nous avons montré au cours de la Gamescom 2010, ainsi que dans les scènes qui se déclenchent autour du Promontoire Divin.

Tap : Avez-vous pris part personnellement aux auditions des comédiens, et s'il y a eu casting, qui a décidé de leur qualité et comment a-t-elle été mesurée ? La qualité d'un comédien est a priori très subjective...

Bobby : Oui, tout à fait. Moi, ainsi que Jeff, Ree, Eric, Colin et Ben, nous avons passé en revue des candidatures pour tous les rôles doublés du jeu. Comme vous pouvez l'imaginer, nous avons attiré l'attention de beaucoup de comédiens donc cela ne m'étonnerait pas si nous avons écouté près d'un millier d'acteurs au cours des dernières années. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur la qualité d'un comédien en particulier et nous avons du recaster certains rôles car la voix ne convenait finalement pas à un personnage particulier. Heureusement, nous avons le temps et les ressources nécessaires pour corriger de telles erreurs pendant la production. En fait, juste parce que vous entendez la voix d'un comédien dans une démo ne signifie pas que vous l'entendrez dans la version finale du jeu.

Tap : Comment avez-vous préparé les comédiens de doublage dans le rendu de leur script ? Est-ce que vous les avez renseigné avec des éléments du background des races ou d'images des personnages qu'ils incarneraient ?

Bobby : Nous avons fourni une bio contenant certains éléments essentiels sur le personnage, ainsi qu'une image, et un échantillon des dialogues afin de donner un référentiel aux comédiens. Nous avons aussi envoyé les scripts en avance à nos partenaires du studio afin que les comédiens puissent mieux préparer leurs scènes. Je sais que Troy Baker, qui incarne Logan Thackeray, a étudié son personnage en avance et cela s'est vu dans sa performance. Ses dialogues pour les cinématiques des quêtes humaines ont un rendu très naturel du fait de cet investissement personnel dans son rôle.
Nous accordons aussi une certaine marge de manoeuvre aux comédiens, afin qu'ils puissent tenter quelque chose de différent avec une ligne de script, qu'il s'agisse d'employer un ton différent ou d'improviser un dialogue, nous les laissons faire des essais. Parfois, cela ne fonctionne pas et nous conservons la prise originale mais souvent, les comédiens ajoutent quelque chose à la performance donnant vie au personnage.

Tap : Des dialogues qui ont été rendus publics jusqu'ici au cours des semaines dédiées aux races, beaucoup des enregistrements entendus concernaient des conversations entre des PNJs. Y a-t-il une grande quantité d'enregistrements de ce type, ce qui permettrait aux joueurs de ne pas réécouter les mêmes phrases encore et encore ?

Bobby : Les conversations dialoguées que nous avons rendues publiques sont surtout des scènes qui se déclenchent automatiquement en fond. Ce sont des échanges entre deux ou plusieurs PNJs dans les villes, les villages et dans la campagne. Ce que leur présentation dans le blog des développeur a pu laisser entendre est un peu trompeur car ce ne sont pas des dialogues engageants mais des scénettes d'ambiance que vous entendrez tandis que vous explorerez une zone. Quand vous entendez ces dialogues en dehors de leur contexte tel que dans le blog des développeurs, cela peut parfois sonner de façon discordante. Les gens font des conclusions hâtives sans savoir où ces dialogues s'inscrivent dans le jeu. La plupart de ces craintes sont infondées cependant, parce que quand ces scènes sont vues et entendues à l'intérieur du jeu, elles sonnent de façon beaucoup plus naturelle du fait de leur volume et du lieu où elles se produisent. La plupart de ces scènes d'ambiance ont été écrites pour des races particulières et sont propres à une zone, bien qu'il y en ait quelques unes qui peuvent se déclencher partout. Il y a plus de 20 000 lignes de script doublées juste pour ce genre det scénette d'ambiance ainsi que pour les événements, et il y en a encore de nouvelles qui sont ajoutées alors que progresse le développement. Cela ne représente qu'une fraction de notre budget global alloué au doublage. N'importe quelle zone donnée proposera une grande variété de dialogues.

Tap : Comment avez-vous conçu les dialogues de ce type de conversation ?

Bobby : Les conversations d'ambiance ont été développée très tôt étant donné qu'elles sont considérées comme stables d'un point de vue design. Le contenu de la plupart de ces conversations est indépendant de la trame scénaristique personnelle ou des donjons, donc à moins qu'il y ait des modifications majeures dans le background de l'univers, nous avons pu les rédiger très tôt et faire des itérations avec au fil du temps.

Les toutes premières furent enregistrées en 2009. Si, après revue, nous découvrons qu'il y a un problème majeur avec les dialogues, le doublage ou le contexte, nous avons encore largement le temps de retourner en studio. Enfin, si quelque chose ne fonctionnerait vraiment pas, nous le couperions du montage, que le public l'ait déjà entendu ou pas.

Nous avons abandonné certaines cènes et ajouté de nouvelles à chaque fois que nécessaire. Les capitales de race sont particulièrement riches en conversations d'ambiance, donc rien qu'en vous promenant dans le Promontoire Divin, Rata Sum, le Bosquet, Hoelbrak ou la Citadelle Noire, vous devriez avoir une bonne impression de chaque race.

Tap : En tant qu'auteur et chef d'équipe, quel fut le challenge le plus difficile que vous ayez eu à relever en travaillant sur GW2 ? Y a-t-il une lutte constante entre temps et budget ?

Bobby : L'auteur en moi n'aimerait rien mieux que de se concentrer sur les dialogues, mais mon boulot comporte des responsabilités en terme de développement et de management qui me prennent beaucoup de temps. Je peux toujours employer plus de ressources (des auteurs, des éditeurs, des comédiens) mais le développement se ramène toujours à une contrainte entre le temps, l'argent et la qualité, et comme vous le dirait n'importe quel producteur, "Choisissez-en deux !"

Nous avons eu de la chance que NCsoft nous ait accordé du temps pour terminer notre jeu, donc à ce titre, c'est la qualité qui est devenu l'aspect le plus important. C'est la raison pour laquelle nous n'avons toujours pas annoncé de date de sortie. Nous ne voulons pas sortir un jeu inachevé, et cela vaut aussi pour l'écriture et le doublage.

Tap : Le doublage dans Guild Wars 1 laissait plutôt à désirer et je dois admettre que les donneurs de quêtes dans les zones de départ Norn récemment révélées manquent parfois de qualité. A quel point êtes-vous satisfait du doublage actuel ? Pouvons-nous nous attendre à de nouvelles améliorations ?

Bobby : Comment, vous n'êtes pas un fan de la performance digne d'un oscar de Shiro tagachi ? (je plaisante !)

Globalement, je suis bien plus satisfait avec les enregistrements de Guild Wars 2 étant donné qu'ils représentent une évolution de la façon dont nous écrivons les dialogues. Cela dit, nous savions en allant à notre dernière session studio que l'écriture et le design de la trame scénaristique personnelle Norn (telle que nous l'avons montrée au cours de la PAX East 2011) n'était pas prêts à être doublés étant donné que le design n'était pas finalisé. Nous avons donc décidé d'enregistrer tout de même, afin que les visiteurs de la convention aient tout de même quelque chose à écouter lors leur session, même s'il s'agit d'éléments temporaires. Nous nous sommes dit que c'était mieux que de proposer des fichiers avec une voix de "robot" temporaire, même si le script était de la qualité d'un premier jet.

Nous avons listé les différentes scènes et cinématiques dans chaque enchaînement scénaristique des trames personnelles et nous avons réécrit et réenregistré quand c'était nécessaire. Nous sommes itératifs dans notre mode de développement, et cela se ressent dans nos processus d'écriture et de doublage. La version finale qui sera commercialisée proposera des visuels et des sons différents de ce que les joueurs ont pu voir l'an dernier.

Quant à la post-production, tous les dialogues y auront droit à différents degrés. Les dialogues humains passeront par la mise en forme habituelle telle que le découpage et la normalisation. Les autres races bénéficieront d'efforts supplémentaires afin que leur rendu soit vraiment unique. Par exemple, les voix Charrs présentées dans le récent post de blog de Scott McGough s'étaient vues appliquées de multiples effets. Des réglages de tonalité à une légère distorsion de la voix, tout cela fut ajouté pour leur donner un rendu moins humain. Nous devons faire attention à ne pas trop en faire avec le traitement des voix, étant donné que l'oreille humaine a sa propre "uncanny valley" (ndt : l'effet d'uncanny valley, en français Vallée Dérangeante, désigne la réaction psychologique négative face aux robots humanoïdes, dans le contexte de cet article, il s'agit des voix artificielles). Si vous rendez grave la voix d'une femme, le son deviendra très vite agaçant. La clé pour réussir un bon rendu pour une race est de choisir des comédiens à la voix versatile et capables de parler à cette tonalité. Quand nous les poussons hors de leur zone de confort, cela ne fonctionne pas très bien. Dans ce cas-là, nous adoptons une approche différente dans l'écriture, les qualités vocales de la race ou encore le choix de casting.

Tap : En quoi le mode de travail itératif d'Arenanet a-t-il affecté l'écriture et l'enregistrement des dialogues ?

Bobby : C'est la plupart du temps une bénédiction, et parfois le contraire. L'avantage est que nous pouvons affiner les dialogues jusqu'à ce qu'ils soient parfaits. Le désavantage est que lorsque nous "terminons" l'écriture et l'enregistrement de quelque chose, il peut arriver que nous ayons tout à recommencer. Il ne faut pas être trop attaché à ce qu'on écrit car cela sera édité, réarrangé, augmenté, raccourci, modifié au fil de l'évolution du jeu, mais comme c'est pour réaliser la meilleure expérience de jeu possible pour nos joueurs, nous consentons cet effort et rongeons notre frein.

Tap : En avez-vous terminé avec toutes les sessions de doublage au studio d'enregistrement ou bien est-ce que vous avez des choses à ré-enregistrer, par exemple dans le cas de lignes de dialogues insatisfaisantes ?

Bobby : Non. Nous sommes constamment en train d'enregistrer de nouveaux dialogues, tout en révisant la matière existante quand elle n'est pas satisfaisante. Si une ligne est bien écrite mais mal doublée (ou l'inverse), nous l'identifions et tentons de corriger le tir la prochaine fois que le comédien sera présent dans le studio d'enregistrement. Quand nous voyons ou entendons quelque chose qui ne fonctionne pas, soit nous le corrigeons, soit nous le coupons si c'est faisable.

Tap : Les auteurs et les directeurs de création s'affrontent souvent dans les médias créatifs tels que le cinéma et la télévision, et souvent, l'auteur est le perdant. Quel est le niveau de contribution des auteurs chez Arenanet, selon votre expérience au sein de l'industrie, dans le casting et la direction des comédiens ? Quelle est votre opinion sur les directeurs de doublage en général dans l'industrie ?

Bobby : Je suis prêt à parier que 95% des sociétés développeuses de jeux vidéo n'emploient pas d'auteurs à temps plein dans leur équipe. Arenanet semble une anomalie à cet égard. Peut-être est-ce parce que les jeux de rôle demandent plus de contenu écrit et doublé. Quelle qu'en soit la raison, je suis content de travailler dans un lieu où notre art est apprécié. Nous ne gagnons pas toutes les batailles, et parfois nous devons faire des concessions de cet type et modifier le contenu sur lequel nous travaillons, mais le fait que nous soyons présents aux réunions de design est en soi très gratifiant.

Mon supérieur est Eric Flannum, notre Lead Designer. Les membres de mon équipe sont souvent intégrés dans les équipes de production où l'écriture est un composant important. Ce niveau d'implication est rare dans l'industrie du développement, mais il est des plus nécessaires si nous voulons améliorer nos textes et nos doublages avec chaque nouveau jeu.

Quant aux directeurs de doublage, je pense qu'il sont absolument nécessaires pour une question de qualité au final. Ils savent comment parler aux acteurs. Ils comprennent le processus. Même quand nous ne sommes pas d'accord sur une prise particulière, leur opinion a de la valeur à mes yeux.

Tap : Une franchise bien installée telle que World of Warcraft dispose d'une quantité énorme de contenu et de background dans lequel puiser, sujet où les nouveaux MMOs doivent souvent partir de zéro. Trouvez-vous (ainsi que Jeff Grubb et Ree Soesbee) difficile de développer du contenu en avance pour un gros titre comme GW2, au lieu de pouvoir le développer de façon plus organique par le biais d'années de développement sur le même univers ? Que peut-on faire pour rendre un univers plus réaliste et naturel ?

Bobby : Ree Soesbee et Jeff Grubb gèrent l'univers de Guild Wars 2. Ce sont des expert en construction d'univers et des écrivains vétérans, je leur fais donc confiance en ce qui concerne le respect de la continuité. C'est difficile, cependant, de bâtir sur une aussi importante franchise. Vous devez être fidèle au matériau d'origine mais aussi lui donner les possibilités d'évoluer de façons nouvelles et intéressantes. C'est l'une des principales raisons pour laquelle GW2 semble un peu différent de la série originale. Cela aide aussi d'avoir un fossé de 250 ans d'historique à remplir.

Tap : Alex Garland (le scénariste d'Hollywood qui travailla sur 28 Jours Plus Tard, puis avec Ninja Theory sur Enslaved) a déclaré qu'avant de tomber sur Ninja Theory, il avait approché plusieurs développeurs pour leur proposer ses services d'auteur il lui fut répondu qu'ils n'en avaient pas besoin. A quel point le travail d'auteur pour les films peut-il croiser celui d'auteur pour les jeux vidéo ? Est-ce que ce sont des compétences complètement distinctes ?

Bobby : Je ne dirais pas qu'elles sont complètement différentes, mais elles demandent effectivement une mentalité différente. Un scénariste de film crée généralement 90 minutes d'action visuelle et de dialogues, alors qu'un MMO aura plus de 100 heures de contenu. Il est aussi particulièrement difficile pour un non-gamer de saisir les défis et les limites inhérents à un jeu en ligne persistant. Par exemple, il pourrait avoir l'idée de tuer un personnage principal d'une branche scénaristique, mais malheureusement vous ne pouvez pas faire cela dans une zone persistante de MMO où ce personnage aura un rôle critique pour l'expérience et les quêtes d'un autre joueur.

Cela peut aider si l'auteur a une compréhension pointue des narrations en arbres, ou au moins est prêt à apprendre. Il est difficile, cependant, pour un auteur contractuel de s'intégrer au sein du processus de développement du jeu quand il tire à sa fin. Plus tôt une personne pourra collaborer avec les designers sur les personnages, les options scénaristiques et les caractéristiques techniques, mieux ce sera.

De la façon dont je vois les choses, si les développeurs de jeu souhaitent proposer des scénarios intéressants, ils devront avoir au moins un auteur/éditeur professionnel au sein de leur équipe. Les écrivains voient les arcs narratifs et les structures scénaristiques avec un regard différent de celui des designers de contenu ou système, il est donc très important d'avoir un auteur sous la main qui pourra vous dire si votre super scénario ou mécanique de gameplay fait sens au sein de la structure narrative. Si ce n'est pas le cas, il vous faudra chercher un moyen de mieux combiner histoire et jeu.

Tap : Les auteurs de fantasy essaient souvent d'éviter de tomber dans les stéréotypes de Tolkien et de Donjons & Dragons. Pensez-vous qu'il est possible de trop faire en ce sens ? Est-ce que le public exige un certain niveau de confort dans sa compréhension du monde créé par l'auteur ? Y a-t-il eu un effort particulier dans le processus créatif de GW2 qui a poussé à éviter les stéréotypes à la "Donjons & Anneau" ?

Bobby : Chacun a une idée différente de la façon dont un dialogue de fantasy doit sonner. Certains se sentent chez eux dans une reconstitution historique (Renaissance Faire en anglais), alors que d'autres préfèreraient s'enfoncer des coton-tiges enflammés dans les tympans plutôt que d'entendre ça. Mon opinion est la suivante : il n'est écrit nul part qu'un jeu de fantasy doit se dérouler dans un contexte médiéval, ou que ses personnages doivent s'exprimer avec un vieil accent anglais. Je ne dis pas que l'un ou l'autre est mauvais, juste qu'il est étrange de se confiner dans un carcan aussi restrictif.

Guild Wars est notre bébé. Nous pouvons - et devons - tenter de nouvelles choses. Si nous sommes téméraires dans nos philosophies de design, pourquoi ne pas faire des expérimentations avec les dialogues ? La chose importante à garder à l'esprit est que nous traitons chaque race différemment selon la façon dont les personnages s'expriment. Les humains sont ceux qui sonnent de la façon la plus naturelle dans notre jeu. Les Charrs parlent de façon efficace. Les Norn emploient un langage grandiloquent. Les Asura bafouillent leur bafouillage techno-magique. Les Sylvari parlent sur un ton plus fantasy, bien que la construction de leurs phrase est principalement sur le mode actif.

En fait, les gens ne devraient pas s'inquiéter du fait que nos personnages s'expriment dans le langage des rues moderne, parce qu'ils ne le font pas. Il y en a pour tous les goûts tant ce jeu est énorme; chaque race sonne de façon différente. Au final, tout cela doit fonctionner comme un tout, de sorte que le monde soit peuplé de personnages vivants et crédibles.

Tap : Arenanet a régulièrement déclaré qu'il n'essayait pas juste de créer le meilleur MMO de tous les temps, mais le meilleur jeu. Dans mon article "Coaching Vocal", j'ai fait de nombreuses comparaisons entre l'emploi du doublage entre les jeu solo et les MMO. Pensez-vous que les différences en terme de qualités ne pourront jamais être rattrapées au sein d'un jeu en ligne ? Les budgets pour les MMOs dépassent souvent celui des jeux solos...

Bobby : Les MMOs devraient disposer d'un scénario et d'un doublage équivalents à ceux que proposent les jeux solos blockbusters, une série télé de première qualité ou un film à gros budget, mais comme je l'ai mentionné, il s'agit d'une tâche titanesque qui nécessite énormément de temps et de ressources. Vous devez faire la part entre les problèmes et les limitations techniques et travailler avec les outils disponibles - ou en développer de nouveaux.

Les budgets de MMO sont significativement plus élevés que ceux des jeux solos. Non seulement devez-vous réaliser plus de contenu et d'éléments mais vous devez aussi mettre plus de ressources dans l'infrastructure réseau et le service client. Vous devez choisir intelligemment comment et où vous allez mettre le doublage et l'écriture afin d'obtenir la meilleure expérience de jeu possible. Evidemment, vous devez financer tout cela adéquatement mais vous avez aussi besoin de planifier avec de l'avance et ajuster votre planning de production d'une façon propice à l'itération.

Tap : Dans la réalisation cinématographique, il semble que l'écriture est toujours reléguée au second plan. Quelle est la citation déjà ? "Les scénaristes ne sont que des secrétaires avec un talent pour le dialogue." Constatez-vous une attitude similaire dans les jeux vidéo ?

Bobby : La théorie de l'auteur postule que le réalisateur d'un film est responsable de sa vision créative, qui prend le pas sur tout le reste. S'il décide de modifier un script pour mieux le conformer à ses idées, alors le scénariste devra faire des ajustements. Que se passe-t-il si le réalisateur du film est aussi son scénariste ? Y a-t-il des conflits internes ?

Certains films, en particulier les productions indépendantes, s'appuient plus sur les dialogues que votre blockbuster estival typique. Dans ces cas-là, vous pouvez dire que le script est plus important que le budget d'effets spéciaux. Cela dépend donc vraiment du type de film que vous faites.

Les jeux obéissent à un schéma similaire parce que parfois, c'est un auteur qui est aux commande de la vision mais la plupart du temps, c'est le design qui est la force motrice. Dans ces cas-là, l'auteur a besoin de travailler avec les designers et non contre eux afin de concevoir des histoires et des dialogues intéressants.

Tap : Les médias visuels tels que les films semblent mettre le texte et le son au second plan. Ils font leur possible dans la direction artistique et la photographie et laisse souvent le son et les dialogues pour la toute fin du processus. Comme les films, les jeux sont eux-aussi un médium très visuel (bien que le gameplay surclasse même les graphismes) et il semble que l'écriture et les dialogues héritent de la portion congrue. Est-ce que les développeurs sont soumis à plus de pression pour améliorer la qualité de leur jeu pour ainsi dire, étant donné que le public devient de plus en plus exigeant en matière de qualité du doublage ?

Bobby : Les développeurs subissent en effet plus de pression pour améliorer le scénario, l'écriture et les dialogues dans les jeux. C'est dû en partie à l'évolution du médium. Nous pouvons désormais restituer des mondes en trois dimensions extrêmement travaillés, émuler les lois de la physique du monde réel, et simuler les cycles jour-nuit ainsi que le climat. Nous pouvons vous plonger dans une atmosphère sonore et fournir des centaines d'heures de doublage. Avec ces nouveaux outils, nous sommes obligés de divertir notre public avec du contenu de qualité supérieure. Les gamers ont de la jugeote et ils apprécient une bonne histoire qui leur est contée avec style, talent et substance.

Tap : Quel rôle, s'il y en a un, les développeurs voient-ils concernant l'emploi de comédiens dans le processus ? De très nombreux joueurs semblent s'identifier aux personnages d'un jeu bien conçu. Est-ce que les acteurs auront une place plus tôt dans dans le futur des cycles de développement ?

Bobby : Cela dépend du jeu que vous faites, mais si vous avez les moyens d'impliquer les comédiens plus tôt dans le processus de développement et de les pousser à s'investir dans les personnages qu'ils incarnent, alors vous aurez a priori de meilleures performances d'acteur. Alors que de plus en plus de jeux emploient des comédiens professionnels non seulement pour les doublages mais aussi pour la motion-capture, la demande pour ce type de talent ne fera que croître.

Tap : Enfin, à part des réunions (dont nous savons que vous êtes un grand amateur !), qu'avez-vous prévu pour le reste de la journée et pouvez-vous nous donner un aperçu de ce que nous pouvons espérer pour la prochaine semaine dédiée à une race ?

Bobby : J'ai l'intention de rentrer chez moi, d'embrasser ma femme et mes enfants et décompresser. Ce fut un mois complètement fou. Quant à la prochaine semaine dédiée à une race, cela sera soit les Asuras, soit les Sylvari. Je ne révèlerai pas la date.

[I]Tap-Repeatedly souhaiterait encore une fois remercier Bobby pour le temps qu'il leur a accordé.[/I]

(source - Traduction par Pyram)