Bon, si vous me lisez, il y a beaucoup de chances que vous possédiez au moins quelques jeux vidéo. La plupart d'entre vous en ont sans doute plusieurs, et certains en ont sans doute des étagères pleines. Et vous passez sans doute une bonne partie de votre temps à jouer, et une autre à attendre la sortie de votre prochain achat.

Mais de tous ces jeux, combien en avez-vous terminés ?

En fait, j'ai l'intuition - très forte - que le joueur moyen qui joue à un jeu moyen aura toutes les chances au contraire de ne pas finir ce jeu. Et encore, je suis sûr que je suis généreux. C'est une situation assez étrange quand on y pense : avec la hausse du prix d'un jeu, il est devenu assez douloureux de mettre la main au portefeuille, et pourtant, aussi peu probable que cela puisse paraître, il me semble que nous finissons de moins en moins les jeux auxquels nous jouons.

D'un côté, en tant que public averti, nous exigeons des jeux qu'ils soient des expériences intéressantes, immersives et prolongées - et malgré tout, nous ne les finissons pas. Qu'est-ce qui cloche chez nous ?


Symptômes et causes possibles


J'ai quelques idées sur pourquoi nous ne finissons plus autant nos jeux, parlons-en.

Un premier aspect tout simple, voire évident, c'est l'aspect quantitatif : taille, longueur, profondeur sont autant de dimensions définissant un jeu. Du coup, il me paraît fort possible (en tout cas, c'est mon cas) que nous soyons arrivés, en tant qu'adultes, à une compression des quantités disponibles pour chacune de ces dimensions.

L'offre de jeux actuelle a dépassé le temps libre moyen du gamer sur chacun de ces points et une portion non négligeable des joueurs ayant vieilli, le temps est devenu une ressource d'autant plus rare.

Malgré cela, l'opinion videoludistique ne s'empêchera pas de s'acharner sur un jeu si jamais elle a la perception que la longueur du jeu ne vaut pas le pesant d'euros qu'elle mettra à l'acheter. Je me souviens de quelques exemples de jeux que l'opinion avaient jugés trop courts et il me paraît clair aujourd'hui qu'un joueur attendra au moins une soixantaine d'heures de jeu d'un titre qui lui aura coûté 60 euros.

A vrai dire, le marché des jeux a lui-même évolué pour produire des jeux de plus en plus gros. Les vétérans de l'ère 16-bits qui comme moi se souviennent avoir passé des journées de leur lointaine jeunesse sur un petit jeu de plateforme peuvent le racheter aujourd'hui sur la Console Virtuelle et y jouer quelques heures seulement avant de se lasser.

Actuellement, c'est l'aspect multijoueur qui constitue le point critique du succès d'un jeu. En effet, le multijoueur sous-entend une rejouabilité quasi-infinie alors qu'on peut jouer avec des amis ou des inconnus et s'attendre à ce que les développeurs continuent d'enrichir le jeu au fil du temps.

Cela dit, beaucoup de joueurs adultes sont prêts à passer énormément de temps en multi, ce qui signifie donc que l'argument du manque de temps n'est finalement pas si général. Mais qu'est-ce qui dans ce cas nous pousse à ne pas finir les jeux alors ?


Déficit d'attention


Du coup, si le temps n'est pas réellement le problème, alors peut-être que c'est notre capacité d'attention qui a diminué. Après tout, nous vivons dans une société où nous sommes constamment sollicités par l'information et la publicité, et où un gros titre est éclipsé par la hype du prochain blockbuster. Notre capacité d'attention se serait-elle atrophiée ?

Nous pouvons rassembler des amis, assigner des tâches et mener des aventures sans même avoir à se lever et s'habiller, grâce au jeu en ligne. Et tout en faisant ça, nous pouvons laisser allumée la télé, faire livrer le dîner, payer nos factures et appeler nos parents depuis la même chaise, à tout instant, sans avoir à attendre plus d'une minute. De fait, dans un monde tel que celui-là, il me paraît crédible de dire qu'il est devenu difficile de se concentrer complètement sur une seule activité et d'y investir du temps, si le temps est tout ce qu'elle demande.

Les amateurs de MMORPGs le savent bien - leur hobby ne leur pose pas un si gros problème en terme de temps (dans le genre "quand on veut, on peut"), surtout grâce au côté récompense "immédiate" de jeux comme WoW qui ne nécessitent pas une grande capacité d'attention : il y a des comportements facilement automatiques et qui ne demandent pas de réfléchir (le bash de mobs) , des petites gratifications obtenues régulièrement en attendant de plus plus importantes... Il est donc aisé d'y consacrer une fraction de son attention, en partageant le temps consommé avec d'autres activités.

Dans ce cadre, les gamers ont-ils perdu l'habitude d'investir du temps et de l'effort dans un jeu, au point de ne plus les finir ?


Manque d'intelligence


A l'inverse, si ce n'est pas la capacité d'attention ou le temps, peut-être est-ce que les jeux sont devenus trop difficiles pour nous ?

Quand on y pense, la frustration et le manque d'ergonomie d'un jeu peut tout à fait tuer l'envie de jouer, et de finir ce même jeu. A l'inverse, un jeu bien conçu a toutes les chances de garder l'attention du joueur et son envie de finir. Si on laissait les joueurs choisir dynamiquement la difficulté du jeu, un plus grand nombre les termineraient (même si on pourrait appeler cela du "nivellement par le bas", héhéhé).

Combien de jeux avez-vous laissés tomber parce qu'ils étaient soit trop durs, soit faciles au point d'annnihiler tout challenge ? Cela dit, je ne suis pas entièrement convaincu par cet argument de la difficulté, d'autant que j'ai au contraire l'impression que la plupart des jeux actuels sont bien plus faciles que les parangons de difficulté qui étaient notre lot à l'époque des 16-bits.


Moins de satisfaction et d'intérêt ?


Allez, un autre argument : peut-être que les jeux que nous ne finissons pas sont tout simplement de mauvais jeux. Après tout, vous n'auriez pas abandonné s'il n'y avait pas quelque chose qui vous a découragé : la difficulté dont ont vient de parler, mais aussi l'ergonomie ou la qualité du scénario (vous ne supportez pas les personnages principaux ou autre chose dans le style). Nous passons beaucoup de temps à parler du potentiel d'un jeu (vive la hype), mais confronté à la réalité, il devient difficile de se voiler la face.

Le game design est un art en constant progrès mais malgré cela, certains joueurs pourront être conquis alors que d'autres non.

Cela dit, il y a certainement des jeux sur votre étagère qui ne sont pas forcément défectueux à un niveau ou un autre, mais que pourtant vous avez préféré laisser de côté. S'il y a sûrement eu plein de mauvais jeux que vous avez abandonné, comment expliquer le cas de ces quelques jeux-là ?

J'avoue, j'ai plein de titres dans ce cas sur mon étagère. Dans la plupart des cas, j'ai avancé jusqu'à la moitié du jeu (bon, plutôt 30-40% en fait) et c'étaient de bons jeux. J'avais vraiment envie de les finir. Et pourtant, je n'y arrive pas, par manque d'envie et de motivation. Ce n'est pas forcément un problème de temps (je suis du genre organisé, je trouve toujours du temps pour quelque chose), ni un problème d'attention ou de difficulté. J'ai déjà parlé de Pokemon version Noire : j'y ai consacré plus de 100 heures, mais je n'arrive plus désormais à me motiver pour compléter mon pokedex (régional, le national, je n'en parle même pas).


Inconstance


Récapitulons.

J'ai dit que les causes pouvant expliquer le fait que nous ne terminons plus nos jeux pouvaient être le manque de temps, le déficit d'attention, la difficulté mal dosée, la mauvaise qualité intrinsèque. En gros, les jeux demanderaient désormais un investissement trop important, que cla soit en temps, en argent, en attention, en compétence, ou en patience.

Du coup, en quoi sommes-nous légitimes du coup à exiger des jeux qu'ils soient plus immersifs, à demander à ce qu'ils soient intéressants et passionnant ?

Cela dit, à l'exception du prix (bah oui, j'en connais peu qui préfèreraient que les jeux coûtent plus chers), nous souffrons tous de frustration lorsque ces différents aspects sont trop faibles : un jeu trop court, trop facile, manquant de profondeur aura toutes les chances de s'attirer nos foudres.

Alors qu'est-ce qui fait qu'après avoir tant investi (en argent, temps, patience, etc), nous ne voulons plus terminer un jeu ?

Imaginez avec moi.

Vous avez passé des heures à contrôler un personnage. Vous avez souffert mille morts pour obtenir cette nouvelle épée. Vous avez serré les dents à chaque combat de boss. Vous avez même fini par vous intéresser à la profondeur de l'histoire. Et finalement vous êtes tombé amoureux de l'univers.

Du coup, pourquoi voudriez-vous y mettre un terme ? Face à un tel investissement, l'intérêt de rejouer n'est pas très grand, à moins d'être un passionné hardcore. Et même alors, un second run du jeu se rapprochera plus du metajeu, de l'expérience analytique que d'une découverte inédite.

En fait, c'est amusant à dire mais il y a une sorte d'analogie entre l'incapacité à terminer un jeu et celle qui consiste à rompre une relation amoureuse une fois qu'on se rend compte que l'autre est amoureux, à fuir par peur de l'engagement.

N'entretenons-nous pas une relation amoureuse avec nos jeux ?

Quand on y pense, c'est tout comme : il y a la phase d'attraction, où on lit des descriptions flatteuses, des critiques élogieuses, et où on regarde des bandes-annonces alléchantes. Puis il y a le scepticisme, l'examen soigneux des précédents jeux du développeur, initiant toute tentative pour se protéger d'une relation dangereuse ou décevante. Les bavardages ensuite avec vos potes gamers sur votre premier "rendez-vous", le sentiment d'abord timide puis puissant de joie et de plaisir quand vous jouez.

Au début, votre nouveau jeu était au centre de toutes vos pensées.

Puis arrive le moment où les choses commencent à changer. La sensation de nouveauté disparaît, au profit du confort d'une relation établie. Vous étiez satisfait. Et soudain, vous vous rendez compte qu'approcher de la fin du jeu signifiera en épuiser les possibilités. Qu'à ce moment-là, tout sera fini. Pour de bon.

Vous aimez ce jeu tant qu'il est jeune et excitant, vous n'avez pas envie de vous imaginer vieux et mariés.

Enfin, vous avez peur d'être déçu. Vous avez peut-être senti que le jeu prenait un virage que vous n'appréciez pas, vous craignez d'être trahi. Vous ne voulez pas que le résultat final de tous vos efforts soit une complète déception. Ou peut-être que vous avez peur de vous retrouver à nouveau seul, sans jeu dans votre vie, à devoir tout recommencer en cherchant un nouveau jeu.

Et tout à coup, un nouveau blockbuster sort, et avant même que vous vous en rendiez compte, vous avez complètement oublié le précédent jeu et n'avez plus d'yeux désormais que pour le nouveau.

Du coup, est-ce que nous favorisons vraiment le multijoueur et les MMOs parce que nous aimons jouer en ligne avec nos potes ? Ou n'est-ce pas plutôt parce que nous savons que ce genre de gameplay ne nous décevra jamais, ne brisera jamais nos petits coeurs, que cette amour ne s'arrêtera jamais ?

L'incapacité à finir un jeu ne serait donc, au final qu'une expression de notre insconstance. En amour comme en tout.