L'édition 2011 de la Game Developers Conference (GDC) s'est tenue il y a quelques jours à San Francisco. Le Designer Système en chef sur SW:TOR, Damion Schubert nous donne sa vision d'un problème typique des jeux multijoueurs en ligne : comment contenter les joueurs solo ?

FUREUR vous propose une transcription traduite de son intervention.

L'article en version originale (EN)

Rien ne lance mieux un bon débat sur les MMOs que l'éternelle question: le MMO doit-il tenir compte des joueurs solo? Damion Schubert de BioWare, développeur en chef système sur le futur SWTOR, a récemment ajouté quelques pierres au débat lors d'une présentation à la dernière GDC à San Francisco.

Le discours de Schubert vise principalement les joueurs solo dans la dimension Massivement Multijoueur, et bien que cela ne soit surprenant pour personne que SWTOR soit conçu avec ces joueurs solos à l'esprit, il est intéressant de noter que l'intention de BioWare n'est pas de niveler par le bas le MMORPG comme l'ont suggéré certains fans.

Au contraire, Schubert affirme que les MMOs disposent de "contenu hardcore".

C'est du gameplay hardcore, et nous devons nous demander comment rendre ce contenu attrayant pour les joueurs solo, où ils se sentiront à l'aise avec les cercles sociaux, où ils auront le sentiment de pouvoir participer.

Schubert aborde ici le discours souvent rageux qui a lieu autour du jeu solo en MMO, utilisant avec humour plusieurs refrains familiers adoptés par les joueurs de longue date centrés sur le groupe. L'impression "Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire" si vous jouez solo existe assurément, selon Schubert, mais elle n'est pas particulièrement exacte car elle ne prend pas en compte les différents types de joueurs solitaires et les divers raisons qui les amènent à choisir (ou qui les forcent à adopter) un style de jeu isolé.

L'évolution du genre de jeux qui demandaient de grouper (il cite EverQuest et Shadowbane) aux jeux récents, plus amicaux envers le jeu solo comme World of Warcraft et City of Heroes est "une révolution complète des mécanismes de conception de jeu. C'est un moment où nous avons tous collectivement changé d'avis et avons reconnu nous être trompé."

Schubert pose comme principe que les solitaires sont en fait un archétype héroïque, et il n'y a rien de bizarre, d'effrayant ou même louche à propos de ce style de jeu.

Les gens n'imaginent pas être un tueur en série, mais ils imaginent certainement être Batman. Si vous y pensez réellement, être un solitaire est intrinsèquement quelque chose de social. Vous ne pouvez pas être solitaire dans un jeu solo car vous ne vous démarquez pas de quelqu'un

Comment les solitaires se démarquent-ils des autres alors, et que peuvent faire les designers de jeux pour influencer ce comportement pour le bien de la communauté? Schubert ne part pas dans les spécificités de développement, ni n'offre-t-il d'exemples sur comment SWTOR gère ces facteurs, mais il esquisse ce qu'il considère comme les 10 types de solitaires et offre un aperçu sur les défis de développement uniques que chacun représente.

Il commence par faire le parallèle entre les MMORPGs et l'environnement urbain de New York. La ville est l'environnement original du MMO, et même si elle regorge de gens et d'activités, elle est aussi le domaine des solitaires. Manhattan a la plus grande population d'habitations individuelles du monde, et les sociologues ont depuis longtemps démystifié le mythe que les Américains ruraux sont plus sociaux et civiques que leurs homologues des grands villes. Les solitaires sont très courants dans les villes, tout comme dans les MMOs, et ils appartiennent généralement à une de ces 10 catégories.

  • Le p'tit nouveau

C'est le nouveau joueur de MMO et Schubert dit que le premier réflexe d'un concepteur est d'entasser tous les nouveaux ensemble. Ce n'est pas forcément la meilleure approche, car beaucoup de joueurs (particulièrement les femmes selon certaines études) n'aiment pas apprendre dans un environnement public et ils ne veulent pas être avec des gens avant d'avoir atteint un certain niveau.

La pression sociale inhérente aux mécaniques comme le système d'allégeance d'Asheron's Call - dans lequel les joueurs haut niveau pouvaient camper les villes de départ et assaillir les joueurs d'annonces de ventes afin d'obtenir de l'aide pour XP - peut faire fuir les joueurs au lieu d'avoir l'effet attendu.

Schubert aborde aussi le phénomène des retardataires qui ne peuvent pas trouver de joueurs pour grouper dans les zones de départ même s'ils le veulent, étant donné que la plupart des joueurs sont déjà sur le nouveau contenu. C'est un problème propre aux jeux basés sur des niveaux, dit-il.

  • Le "Daria"

Le second archétype du solitaire tire son nom du personnage de la série animée de MTV.

Les Darias voient les autres comme une tragédie; ils les voient comme une blague. Ils ne veulent pas faire partie d'un groupe, mais ils pensent quand même qu'ils sont sympas. Ce sont les gens qui aiment ralentir pour les accidents de voiture

Schubert note que lui-même appartient à cette catégorie.

Les Darias voient les autres joueurs comme du bonheur et ils absorbent le contentement que les autres gens créent, ce qui oblige le concepteur à avoir une masse critique sociale, Schubert illustre ce point en mentionnant les casinos traditionnels et en comparant ces espaces sociaux à ce qui pourrait être fait dans les MMOs si les joueurs n'étaient pas répartis dans des mondes immenses.

Fait intéressant, il parle des machines à sous comme d'une "routine. C'est une expérience solitaire et déprimante" qui, si on la pratique dans une pièce avec d'autres personnes, devient en quelque sorte plus acceptable parce qu'il y a toujours le bruit de la victoire, du combat, de l'ivresse et plein d'autres formes de contentement et de stimulation.

  • Le sociopathe

Le troisième type de solitaire est le sociopathe et Schubert a illustré cette partie de la présentation par une image du rôle mémorable de Heath Ledger dans le Joker de The Dark Knight (2008). Tous les bébés sont des sociopathes, dit Schubert et c'est uniquement en apprenant les comportements et normes de ses parents, ses amis, ses professeurs, etc... qu'ils deviennent des membres productifs de la société et pas des criminels balafrés avec un penchant pour les costumes violets. Le même phénomène se produit dans les MMORPGs au niveau de l'endoctrinement et de l'apprentissage social, mais l'aspect massif fournit également peu ou pas d'incitations à maîtriser leurs pulsions sociopathes et s'occuper de cela est l'un des défis les plus difficiles qu'un concepteur de jeu doit affronter.

Il mentionne brièvement la théorie de Raph Koster sur l'empathie à la place de la punition et la nécessité d'amener les joueurs sociopathes à réaliser qu'il y a une vraie personne à l'autre bout de l'avatar qu'il ennuie.

  • Monsieur "Mange-à-son-bureau"

Ceux sont les gens qui jouent aux MMOs dans des conditions uniques et restrictives - ils sont en pause déjeuner, ils ont des obligations familiales ou pour n'importe quelle autre raison, ils ne peuvent pas s'investir pleinement dans un jeu à un moment précis même s'ils le veulent. Ils peuvent même vouloir participer à un évènement en groupe, mais à cause de divers facteurs extérieurs, ils se sont résignés à jouer en solo et par conséquent, ont besoin qu'une sorte de contenu solo soit disponible en permanence.

  • L'introverti

Les MMOs s'adressent au grand public, dit Schubert et les études montrent que plus de 25% du grand public est introverti. Ceux sont les gars qui trouvent que draguer une fille dans un bar est une situation terrifiante, et ces individus comptent sur les MMOs pour leur fournir la "nourriture sociale" dont ils ont besoin pour leur alimentation. Les MMOs peuvent servir de substitut pour les interactions sociales et peuvent également mettre en contact des introvertis et des extravertis, enrichissant ainsi l'expérience de jeu des 2 côtés.

Une conception réussie donnera aux extravertis des outils pour monter des groupes, les mener dans des donjons et plus généralement rassembler des gens. Les extravertis adoreront cette dimension supplémentaire du gameplay et les introvertis seront soulagés de ne pas avoir à le faire.

  • Les joueurs à la dérive

Schubert passe un peu de temps à parler des liens sociaux forts et faibles, classant les guildes dans la première catégorie et illustrant comment la désintégration d'une guilde peut nuire au désir d'un joueur de continuer à jouer à un certain MMORPG. L'éclatement d'un groupe social est l'équivalent d'une rupture sentimentale, dit Schubert et en raison du fait que la plupart des guildes sur un MMO sont renfermées sur elles-mêmes et se coupent du reste de la population, la probabilité pour qu'un joueur reste après une implosion dramatique est relativement faible.

  • L'indigne

Une autre catégorie de solitaires est directement liée à la technique, la compétence du joueur et l'augmentation de la difficulté du contenu à mesure que l'on s'approche du endgame. La gloire est la raison pour laquelle beaucoup de gens jouent aux MMOs, dit Schubert mais cet environnement ultra-compétitif se traduit généralement par quelques élites et beaucoup de joueurs de niveau relativement faible qui sont conscients de leurs propres capacités et donc peu susceptibles de chercher à intégrer des groupes de haut niveau.

À titre d'exemple, Schubert déplore le manque de bons joueurs tank dans beaucoup de MMORPGs, attribuant cela au fait que cela exige beaucoup de technique, ainsi que la nécessité de trouver un groupe de 3 ou 4 copains prêts à mourir en chaine le temps que le tank découvre comment s'y prendre. Schubert ajoute que les concepteurs doivent trouver des moyens d'amener les gens qui ne veulent pas être solitaires (mais qui le sont malgré tout à cause de leurs faiblesses relatives) dans un cercle social en dépit des obstacles de jouabilité considérables qu'ils rencontrent.

  • Les vacanciers

Beaucoup de joueurs solo tombent dans la catégorie des vacanciers, un groupe que Schubert veut simplement dépayser pour le temps qu'ils ont à jouer. Qu'ils cherchent à fuir temporairement leurs responsabilités dans la vie réelle ou même leurs responsabilités en jeu (il partage une anecdote amusante concernant la demande permanente de ses services en tant que maître artisan sur Star Wars Galaxies à ce moment), certaines personnes choisissent de jouer en solitaire simplement pour avoir la paix et la tranquillité.

  • Le phobique de l'engagement

Le neuvième type de solitaire est d'habitude effrayé par l'engagement. Que ce soit parce qu'il manque de temps pour participer à beaucoup d'activités dans un MMO, parce qu'il est méfiant vis-à-vis des drames ou parce que s'inscrire dans une guilde d'étrangers ne correspond pas à sa personnalité ou à ses objectifs, les phobiques de l'engagement sont les solitaires les plus difficiles à apaiser.

  • Le "Garbo"

Enfin, Schubert dit que certaines personnes, et par extension certains joueurs de MMO, veulent juste qu'on les laisse tranquilles. Certes, cela n'a rien de mauvais en soi, déclare-t-il, mais il fait quand même la distinction entre choisir d'être seul et être seul.

En fin de compte, alors que les MMOs ont clairement évolué pour devenir plus faciles en solo, ils sont toujours des jeux tournés vers les communautés. Toute le monde commence par être un joueur occasionnel, explique Schubert, mais progresser dans un MMO réclame de grouper de plus en plus à mesure que l'on avance dans le jeu. Concevoir un MMO revient donc plus à tirer les gens hors de leur coquille et les amener vers les expériences de jeu haut niveau.

L'une des choses que nous, concepteurs de MMO, devons reconnaitre est que notre magie - notre sauce secrète, ce truc, les raids - sont des choses difficiles. C'est du jeu hardcore. Même un raid de base est incroyablement difficile à maitriser pour les joueurs. C'est un style de jeu hardcore, et nous devons trouver comment inciter le joueur solo à prendre part à cela, qu'il se sente à l'aise avec les cercles sociaux, qu'il ait le sentiment de collaborer avec les autres

Schubert fait savoir que le but n'est pas de simplifier les MMOs mais plutôt de convaincre les solitaires de franchir le pas et de s'engager un minimum convenablement pour faire l'expérience du style de jeu des MMOs et de la construction de la communauté. Le challenge ultime pour les développeurs semble être de pousser les joueurs (ndlr: solitaires) à faire le grand saut sans aliéner les gens qui l'ont déjà fait.

Traduction par NoCheese et Deathless

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