Hourra, c'est bientôt la fin de l'année et le début d'une nouvelle ! Alors, pendant que vous polissez vos coupes de champagne, laissez-moi vous ennuyer une toute dernière fois avant cette date fatidique

Vous qui avez pris l'habitude de me lire, vous vous êtes rendu compte depuis longtemps d'à quel point je pouvais me montrer exigeant (d'aucuns diraient snob...) en matière de scénario de jeux.

Effectivement, j'ai lourdement tendance à mettre en avant des jeux dotés d'une bonne histoire et suis capable d'ignorer un grand nombre de travers tant que le scénario m'intéresse. A l'inverse, je suis également capable d'incendier un jeu si jamais ses personnages sont anti-charismatiques, sa trame pleine d'incohérences ou de banalité, ou que sa fin est tout simplement nulle.

Attention, je ne dis pas que tous les jeux devraient se farcir de storytelling et de personnages grandiloquents pour proposer une "bonne histoire". Et souvent même, il suffit d'en faire un peu moins pour obtenir beaucoup plus. Un de mes miens amis m'a notamment parlé du cas de Left 4 Dead, premier du nom et m'a montré l'introduction du jeu avant de procéder à un run rapide à travers le scénario.

C'est alors que je découvrai la remarquable cinématique d'introduction :

D'une durée de quatre minutes trente, elle réussit l'exploit de fournir tous les éléments d'un bon film de genre tout en informant élégamment le joueur : chaque instant, chaque shot a une utilité et sert le résultat global, qui est à la fois de nous présenter un univers tout en véhiculant une atmosphère, les personnalités des protagonistes ou encore les mécaniques du gameplay. Le tout bien souvent en même temps.

C'est certainement du fait de cette efficacité que le résultat final est si divertissant (bon, et au fait que je suis fand'histoire de zombies - ça aide). Les scénaristes ne se sont pas contentés de réaliser une grosse scène de baston, ils ont essayé d'y inclure quelques lignes de dialogue percutantes sur le comportement des zombies. Contrairement à énormément de jeux (et même à quelques films...), ils ne se servent pas de l'action comme d'une couverture pour dissimuler une faible exposition scénaristique. Ici, les deux fonctionnent de concert et, aussi étonnant que cela puisse paraître, se renforcent l'une l'autre.

Une autre chose intéressante à propos du scénario de Left 4 Dead est... qu'il n'y en a pas des masses. A vrai dire, le jeu vous en fournit juste assez pour faire fonctionner le tout, et pas plus. Une fois les éléments principaux sont exposés, l'histoire ne passe ainsi pas son temps à afficher sa progression et à s'imposer dans une tentative désespérée de faire comme un vrai film. Les développeurs n'y ont pas inséré une trame scénaristique où il faut poursuivre un vilain méchant ayant provoqué l'épidémie zombique et cherche à présent à éradiquer les derniers restes de l'humanité.

Ils n'ont pas ajouté non plus du méchant traître qui vous plante un couteau dans le dos à la moitié du jeu. Pas de conspiration planétaire à l'origine du cataclysmique zombiphile. Pas de deus ex machina pour révéler in extremis les ultimes tenants du scénario. Pas de parent / fils / fille / copine / femme / cousin germain / voisine d'à côté / E.T. à sauver. L'histoire de Left 4 Dead est simple, légère, et procure assez d'éléments pour vous entraîner dans des centaines d'heures de jeu en multi. (Bon, je n'y ai pas joué cent heures, mais mon pote presque. Enfin, genre, 70 heures.)

Vous me connaissez : d'habitude, je suis du genre à jouer à un jeu puis à passer des heures à décortiquer son scénario puis à chercher la petite bête dans les incohérences et autres erreurs de rythme, de clichés, dialogues risibles ou autres coups de théâtre téléphonés. J'ai suffisamment encensé des jeux comme Heavy rain, Dragon Age ou Mass Effect et incendié d'autres titres pour que vous connaissiez cette (mauvaise ?) habitude. La plupart des fans des jeux que je critique me répondront : "Un jeu, c'est surtout du gameplay ! On s'en fout du scénar !" Ma foi, je ne suis pas vraiment d'accord, cela voudrait dire quoi, qu'il est interdit de critiquer le moindre scénario ? Soyons sérieux deux minutes.

Bon, j'avoue, ces fans ont raison sur le fait que le gameplay reste l'essence même d'un jeu, mais c'est comme dire qu'un film d'action se ramène à de grosses explosions et d'impressionnantes cascades en voiture. Heureusement pour nous, ce n'est pas que cela : le scénario du film vise bien à donner du sens à tous ces impressionnants effets spéciaux, à les placer dans un contexte qui leur donne une véritable importance. C'est bien de regarder des bonshommes se bastonner, mais c'est encore mieux quand on sait pourquoi ils se battent... Nous sommes donc bien là pour voir du grand spectacle, je ne le nie pas, mais le scénario est là pour servir d'écrin et renforcer l'impact de tout ça.

Et c'est pareil donc avec les jeux vidéo.

Quand je dis "l'histoire est nulle", j'ai toujours quelqu'un pour me dire "Mais pourquoi tu ne vas pas plutôt voir un film si tu trouves que l'histoire est si nulle ?" C'est bizarre : dois-je en conclure qu'il ne faut pas espérer de bon scénario dans un jeu vidéo ? Que nenni ! En fait, si vous en êtes venu à penser que les jeux vidéos ne brillent pas par leur scénario, il est quasi certain que vous n'avez en réalité jamais joué à un jeu doté d'un bon scénario.

Et là, les experts parmi vous me citeront toute une palanquée de titres de jeux parvenant à mêler action avec qualité du scénario, tout comme Left 4 Dead y parvient - je vous fais confiance pour les citer dans vos réponses.

Continuons. Ce que l'on peut remarquer aussi avec les "Vas donc voir un film si t'aimes pas", c'est que si vraiment le scénario était si peu important, pourquoi en ce cas les développeurs mettent-ils autant d'effort à en concevoir ? Pourquoi s'obstinent-ils encore et encore à nous servir des histoires mal écrites s'ils ne veulent pas nous en servir au départ ?

Vous avez compris.

Cela dit, l'écriture est un métier difficile. Pas tout le monde en est capable. Bâtir un scénario intéressant, un bon background et des personnages attachants et crédibles relèvent d'un art difficile. Savoir les mêler à un gameplay efficace est un défi encore plus difficile, que les réalisateurs de film n'ont pas, eux, à relever. En fait, je me rends compte que s'il y a si peu de développeurs qui sache réellement manier un scénario, c'est peut-être tout simplement parce que ce sont des individus dont le profil relève souvent plutôt de l'informaticien que de l'écrivain. Mais lorsqu'on a les deux, on obtient un génie visionnaire...

Enfin bon, pour conclure, mettez un scénario dans votre jeu ou bien n'en mettez pas mais, quoique vous fassiez, ne vous contentez pas de mettre un scénario juste parce qu'en réalité, c'est un film que vous vouliez faire - un film où le joueur serait simplement aux commandes, sans aller plus loin. Quitte à choisir, choisissez plutôt d'en mettre moins, afin d'en laisser plus aux mains de l'imagination du joueur. Des fois, ça marche très bien.

Souvenez-vous juste que je ne demande pas des montagnes scénaristiques à la Planescape : Torment ni des sommets d'émotion à la Shadow of the Colossus - c'est juste que s'il y a une histoire dans un jeu, alors autant qu'elle vaille la peine.