Cela fait longtemps que j'ai une wii. Depuis son lancement en France, en fait. Mais je l'avoue : je n'y joue plus vraiment, et elle prend tranquillement la poussière dans son coin.

Le week-end dernier, j'ai eu l'occasion d'y rejouer avec des amis, dont l'un n'y avait encore jamais joué (oui, ce genre de personne existe encore sur notre planète - trop fou).

Et en jouant avec lui, en l'observant, j'ai eu une quasi-révélation.

En fait, je crois bien que l'une des raisons qui ont fait l'extraordinaire succès de cette console réside dans les émotions - provoquées par réflexe - suite à des mouvements spécifiques, au point que votre corps en vient à prendre directement les commandes sur ce que ressent votre cerveau.

Laissez-moi m'expliquer (comme d'habitude).

La Wii de Nintendo a introduit les mouvements physiques dans les jeux vidéos, des mouvements allant au de-là de l'appui sur les boutons d'une manette, et en quatre ans, elle est devenue la console qui s'est vendue le plus vite de toute l'histoire. Et la principale raison de son succès reste l'incroyable enthousiasme qu'elle a suscité auprès des gens qui l'ont découverte, submergés qu'ils étaient par des niveaux d'émotions qu'ils n'avaient pas l'habitude de ressentir avec des jeux.

Comment les jeux qui sont sortis sur Wii parviennent-ils à susciter certaines réactions émotionnelles suite aux mouvements qu'ils demandent ? Y a-t-il une sorte de correspondance entre les gestes et les émotions ?

Par exemple, dans la version Wii de Star Wars - The Force Unleashed, le joueur peut projeter les objets et les gens au sol en faisant un grand geste avec le nunchuk, induisant un sentiment d'aggressivité. A l'inverse, la plupart des jeux-gags des Lapins Crétins réutilisent à volonté le geste frénétique de haut en bas avec la manette, rappelant le geste de la masturbation masculine - induisant alors force rire.

Et soudain, c'est comme si les jeux vidéo découvraient quelque chose que les sciences sociales étudient en réalité depuis un bon moment.

De nombreuses études ont en effet montré que des mouvements ou des postures spécifiques génèrent des sensations que le cerveau interprète à son tour pour déterminer comment il se sent, un phénomène baptisé rétroaction physique.

Une expérience célèbre à ce sujet est celle des prisonniers de Stanford. Dans cette expérience, des étudiants servant de cobayes jouaient des rôles de gardiens et de prisonniers. L'intention était d'étudier le comportement de personnes ordinaires dans un tel contexte et l'expérience eut pour effet de montrer que c'était la situation plutôt que la personnalité des participants qui était à l'origine de comportements parfois à l'opposé des valeurs professées par les participants avant le début de l'étude.

Les prisonniers et les gardes se sont rapidement adaptés aux rôles qu'on leur avait assignés, dépassant les limites de ce qui avait été prévu et conduisant à des situations réellement dangereuses et psychologiquement dommageables. L'une des conclusions de l'étude est qu'un tiers des gardiens fit preuve de comportements sadiques, tandis que de nombreux prisonniers furent traumatisés émotionellement, deux d'entre eux ayant même dû être retirés de l'expérience avant la fin.

Au de-là du côté glauquissime de l'expérience (qui inspira un film d'ailleurs), on met le doigt ici sur le mécanisme qui est en branle avec la Wii et tous les systèmes utilisant des mouvements : la situation, le geste, induisent des émotions chez ceux qui les réalisent. Donner un coup d'épée fictif provoquera une émotion similaire et une poussée d'adrénaline rappelant celle d'un vrai coup d'épée.

A cela, vous pouvez de plus ajouter le fait que la Wii joue aussi sur la contamination visuelle : en regardant autrui jouer, votre cerveau peut vous faire ressentir ce que les autres voient, écoutent et ressentent.

Et comme vous pouvez vous y attendre, les scientifiques se sont mis à étudier et classifier les mouvements introduits par les développeurs de jeux, filmant et observant des joueurs et leurs réactions, et interviewant ces derniers pour qu'ils décrivent leurs changements d'émotions.

Et à ce que j'ai pu comprendre, non seulement le type de mouvement est important, mais sa qualité aussi - expliquant l'incroyable succès d'un jeu comme Just Dance face à des précurseurs comme Boogie, où les mouvements sont plus mécaniques alors que Just Dance bénéficie d'un bien meilleur rythme, rendant le jeu beaucoup plus amusant et naturel.

Cette utilisation de mouvements physiques dans les jeux vidéos continue de transformer ces derniers en une activité de plus en plus active (par opposition à passive) et leur meilleure utilisation a toutes les chances d'enrichir encore plus le gameplay - pourvu que l'on échappe à la répétition de formules usées.

Des pistes, nombreuses, existent. Par exemple, les jeux de mouvements collectifs permettraient de renouveler l'intérêt du jeu en groupe au de-là de la banale compétition à la Wii Sports. Dans les RPGs, l'association entre mouvement et émotion pourrait bel et bien décupler la puissance narrative d'un jeu (abordé, mais à peine, avec Zelda, et ses coups d'épées). Mieux encore, on pourrait aussi imaginer que la difficulté d'un jeu s'ajusterait automatiquement selon que les mouvements du joueur, trahissant le niveau de frustration ou de maladresse.

Avec l'arrivée de Kinect et du PS Move cet hiver, vous pouvez être sûr que les investissements dans la recherche sur les liens mouvements-émotions vont décupler...

Et vous qui comme moi jouez aux jeux vidéos, apprécieriez-vous de voir les jeux puiser plus encore dans vos émotions ? Ou préfèreriez-vous vous limiter aux émotions les plus simples à susciter, genre la peur ou l'adrénaline ?