Il y a quelques mois, je vous parlais déjà d'immersion et du coup, vous allez sans doute penser que je radote mais j'aimerais de nouveau aborder ce sujet - je dois l'avouer, mon article de la semaine dernière y est pour beaucoup.

Tout d'abord, si tout le monde aime à vanter les mérites de l'immersion, je crois qu'il n'est que trop juste de se dire que l'immersion ne doit pas devenir un objectif en lui-même, que l'on parle d'immersion sensorielle ou autre d'ailleurs. Cela dit, si ce n'est pas une fin en soi, quel est l'objectif à rechercher via l'immersion ?

Traditionnellement, et pour reprendre mon dernier article, l'immersion au sens classique, de par sa nature et sa volonté sensorielle, cherche essentiellement à faire rejaillir en nous un sentiment d'émerveillement : l'émerveillement d'être dans un lieu complètement différent et d'y expérimenter une aventure hors du contexte de notre quotidien habituel - en fait, se sentir différent, ou plutôt, nouveau. Cette immersion nous rend à cette émotion de découvrir un monde par des yeux nouveaux, tout comme nous le faisions étant enfant. Et ma foi, c'est une très bonne chose, vous connaissez déjà mon point de vue là-dessus.

Du coup, des décennies de course technologique ont permis aux jeux vidéo de faire d'immenses bonds en avant dans l'immersion, et dans la sensation "d'y être pour de vrai". Le joueur est alors immergé dans un monde fictif, où une chance lui est donnée d'exister avant de devoir revenir dans son propre monde. L'immersion nous offre de nouveaux mondes à visiter, des lieux qui le plus souvent n'ont jamais existé et n'existeront jamais.

Ces expériences sont la plupart du temps solitaires, isolant notre esprit du reste du monde, de sorte que nous puissions exister entièrement dans un autre. Isolation, solitude, fuite de la réalité : vous avez déjà entendu les critiques (on les entendais déjà quand j'étais jeune à propos du jeu de rôle sur table, c'est dire si je suis vieux...), et peut-être sont-elles un peu vraies : que dire alors quand quelqu'un se retrouve plongé des heures dans un roman, dans l'obscurité d'un cinéma ou dans sa chambre, les yeux fermés, à écouter de la musique ?

Il y a évidemment plus d'une façon de procurer cette sensation d'émerveillement, et pour tout vous dire, j'ai l'impression qu'un nouveau modèle d'immersion est en train d'émerger en ce moment et de s'imposer peu à peu - un modèle où chacun est branché au réseau en quasi-permanence, mieux intégré dans un monde à un doigt de plonger dans la réalité augmentée, repoussant le modèle "à l'ancienne" d'un monde virtuel où l'on s'immerge. Ces jeux dits à "réalité augmentée", poussés par la banalisation de l'utilisation des smartphones (est-ce grâce à l'iPhone ?), renvoient à un futur où les jeux vidéo que nous aimons nous émerveillerons d'une façon inattendue et inédite : en tissant des éléments virtuels sur la trame même de notre propre monde, y insufflant la magie du fantastique, en nous amenant à le redécouvrir avec des yeux nouveaux.

Votre maison, votre voiture, votre rue, votre quartier : tous pourraient être peuplés soudain d'êtres imaginaires, d'anomalies étranges, d'énigmes cryptiques que vous et vos amis, liés par le réseau, pourriez expérimenter ensemble, au sein d'une même communauté.

Un nouveau monde, à explorer et conquérir.

La question que je me pose à présent, est si ces deux visions, l'immersion à l'ancienne ou la réalité augmentée, s'opposent viscéralement : la seconde succèdera-telle à la première, qui ne subsistera plus alors qu'à l'état de vieille relique ?

Quand on y réfléchit, la différence clé est dans le référentiel.

Dans l'immersion à l'ancienne, c'est vous qui êtes transporté dans un autre monde, respectant ainsi une tradition séculaire qui a débuté avec les premiers récits au coin du feu pour se transmettre dans l'histoire du divertissement populaire humain au travers du théâtre, de la musique, du cinéma. Tous ces médias ont finalement le même point commun : celui de nous emmener dans un ailleurs.

La réalité augmentée fait l'inverse : elle apporte dans notre monde de nouveaux éléments étrangers, l'enrichissant d'autant. Mais c'est aussi là sa limite : jamais sa puissance d'évocation ne sera aussi forte que l'immersion à l'ancienne. Jamais vous ne serez emporté dans un nouvel univers, comme Alice au Pays des Merveilles - tout au plus la réalité augmentée pourra-t-elle faire apparaître un lapin blanc dans votre jardin.

Au final, malgré les inquiétudes que l'on voit régulèrement réapparaître sur le sentiment d'isolation, l'immersion à l'ancienne est sans doute la mieux adaptée à l'humanité, à sa condition et à sa psyché.

A vrai dire, je pense que voir dans le désir de s'immerger dans un monde inconnu et nouveau un élan dangereux, malsain, immature, autodestructeur, voire suicidaire, est quelque peu étroit d'esprit et réactionnaire (et encore, je ne me fais pas aussi sévère que la plupart des détracteurs de notre hobby). Il ne faut pas forcément croire que le désir de vouloir échapper au monde réel soit forcément l'expression d'un désir d'en disparaître, pour fuir je ne sais quelle difficulté du monde réel.

Au contraire, peut-être que nous cherchons plutôt à fuir toutes ces choses sur lesquelles l'immersion de la réalité augmentée s'est construite : le bruit permanent et insignifiant, le bombardement publicitaire constant, des images aux SMS. Bien loin d'un désir auto-destructeur, la volonté de se couper du monde peut aussi être l'expression d'un repli contemplatif et méditatif - un bref moment de répit, un instant de communion temporaire avec une expérience pure (et ses créateurs au passage).

Cette faculté d'évasion est ce que j'ai toujours aimé dans les jeux vidéo (et les romans et les films d'ailleurs), et c'est ce que l'art essaie de réussir depuis des milliers d'années. Et c'est aussi pourquoi je ne m'inquiète finalement pas tant que ça de l'essor de Facebook et autres applications pour iPhone/smartphone.

En tant qu'espèce, nous sommes beaucoup trop porté sur le goût de la découverte, l'envie de voir de nouveaux lieux, de nouveaux mondes, de vivre de nouvelles choses : nous voudrons toujours nous immerger dans des mondes différents du nôtre. Et personnellement, je trouve que c'est très bien ainsi.