Voilà des heures que vous êtes devant votre écran à jouer, et si c'est un jeu que vous connaissez bien, il y a fort à parier que vous ne pensez même plus à la manette placée entre vos mains : en effet, vos gestes sont devenus aussi automatiques que ceux d'un conducteur appuyant mécaniquement sur l'accélérateur dans sa voiture. Votre temps de perception-réaction, comme on l'appelle dans un contexte de conduite automobile, peut aller au dessous de la seconde, surtout dans le cas de jeux demandant d'intenses réflexes.

Ce genre de performance quasi sportive s'appuie fondamentalement sur la qualité de l'interface homme-machine : clavier, souris, joystick, manette... Le rapport que vous entretenez avec votre interface de contrôle devient d'une importance cruciale : plus intime est le lien que vous parvenez à nouer avec, meilleures seront vos performances.

De fait, notre monde est rempli d'objects familiers, dont une grande part partage une nature commune, celle d'outil.

Histoire de faire mon érudit en citant Michel Serres : si un outil est avant tout un prolongement de la main ou du corps, un intermédiaire de l'action, l'homme est de fait un animal despécialisé et c'est finalement l'outil qui prolonge sa main qui dès alors le spécialise (On se croirait dans Final Fantasy XIV là...)

Dans notre contexte de gaming, c'est notre manette qui fait de nous des gamers (manette, ou joystick, ou clavier, ou souris, comme vous voudrez). Nous ne considérons plus nos manettes comme un objet en soi, nous agissons au travers d'elles par le biais d'une union presque zen.

Une quasi union homme-machine.

Tout gamer est conscient de cet état de fait. Une fois la prise en main effectuée, la manette n'existe plus. A vrai dire, nous ne regardons même plus la manette, ni les boutons, ni nos doigts. Nous fixons l'écran.

C'est d'ailleurs à cause de ce réflexe que beaucoup de gamers expérimentés ont rejeté le maniement d'une wiimote, voire de Kinect et de PS Move pour parler de choses plus récentes, parce que pour eux, la manette classique n'est pas une limitation ou un obstacle mais au contraire, un prolongement mécanique d'eux-mêmes. A vrai dire, je suis capable de fournir plus de commandes à la console via ma manette qu'avec ma seule main - de la même façon que je suis plus capable d'enfoncer un clou avec un marteau qu'avec mes seuls poings.

Hélas, tout cela ne vaut que si le marteau/manette répond correctement à notre utilisation.

Une qualité de réaction sans faille est le minimum que l'on attend de toute manette - c'est même la clé fondamentale permettant l'état d'union que je mentionnais plus haut. Donnez une manette dont un bouton ne marche pas ou une souris dont le clic droit ne répond plus, et vous verrez qu'une réaction "anormale" de l'interface suite à l'ordre que vous lui avez donné brisera purement et simplement cette unité. Or, je parle là de problème mécanique (un bouton cassé, un court-circuit dans la souris) mais il se peut tout aussi bien que le problème ne vienne pas de la manette en soi mais de la façon dont le jeu gère cette interface de contrôle.

Une maniabilité défaillante peut ainsi résulter d'incohérences plus ou moins graves entre les effets de la pression des boutons d'un pad et les actions que cela entraîne à l'écran. Ainsi, vous n'y avez peut-être pas joué étant donné la tonne de critiques négatives émises à son sujet, mais l'opus de Sonic sorti en 2006 est désormais connu pour une telle défaillance de son interface.

Typiquement et pour être plus précis, l'angle de caméra du jeu y avait la vilaine tendance à changer de position brusquement par moment, du coup, alors que vous mainteniez telle direction sur votre manette pour avancer, soudain le changement de caméra faisait soudain s'arrêter Sonic. Et c'est alors qu'on s'exclamait en rageant : "WTF ?!"

Cela dit, la manette a une particularité que n'a pas le marteau : les fonctions assignées à ses boutons diffèrent d'un jeu à l'autre, alors que le marteau reste immuable dans sa fonctionnalité. Pour le coup, la souris est donc plus proche du marteau, le clic gauche servant à sélectionner et le clic droit servant à afficher le menu contextuel..

Je dis cela, il s'agit surtout de faire comprendre suite à l'exemple de Sonic que ce sont les développeurs qui décident de l'assignation des fonctions sur les boutons du pad et qu'un gamer aura beau avoir la meilleure connaissance du monde de sa manette, des fonctions mal assignées ne sauveront pas un jeu.

On aborde ainsi le domaine de l'ergonomie, plus connue dans le vocable du jeu vidéo sous le nom de maniabilité, réparties entre deux facteurs : une configuration intuitive d'un côté, la cohérence de l'autre.

Une configuration intuitive signifie qu'une fonction est assignée à un bouton dont la position semble naturelle pour l'usage qui en sera fait. Un exemple classique est le bouton R2 (sur la manette PS3) ou RT (sur la manette Xbox) qui est utilisé pour tirer dans les jeux de tir à vision subjective : le bouton ressemble effectivement à une gachette, et répond au doigt comme une gachette, d'où son usage intuitif réutilisé de jeu en jeu.

Le second facteur, la cohérence, est à mes yeux encore plus importante que le caractère intuitif. Exemple paradoxal : c'est le bouton "Start" qui sert à mettre le jeu en pause dans la plupart des jeux. Donnez une manette à une personne qui n'a jamais touché à une console : il est fort peu probable qu'elle vous trouve la fonction pause en regardant simplement la manette...

Cette cohérence se traduit dans les faits par une représentation standardisée des fonctions assignées aux touches suivant les genres de jeu. Classiquement, sur la Super Nintendo, le bouton Y servait à attaquer tandis que le bouton B servait à sauter. Cette convention permettait de prendre rapidement en main un nouveau jeu, pourvu que l'on a passé le cap de l'apprentissage du premier.

Les jeux plus récents tendent à respecter ce schéma de cohérence - bien que les genres de jeux se soient par contre démultiplier, chaque genre conserve une certaine configuration de jeu habituelle. Par exemple, comme je l'ai mentionné plus haut, les FPS tendent à réutiliser les mêmes schémas, que ce soit Modern Warfare 2, Halo, Bioshock, etc.

Signe de l'héritage de cette cohérence, la touche A de la manette de la Xbox correspond à la touche B de celle de la NES, et dans les deux cas, elle sert à sauter : depuis trente ans donc, le bouton "Sauter" n'a pas changé de place. Amusant, n'est-ce pas ?

Dans les faits, ce facteur de cohérence peut aussi être illustré par l'exemple de la série des FIFA d'EA : débarquant alors dans un genre où Konami régnait jusque là en maître avec son Pro Evolution Soccer, les développeurs de FIFA ont tout simplement répliqué la configuration de touches de Pro Evo de sorte qu'un joueur connaissant déjà Pro Evo puisse immédiatement jouer à FIFA.

Et cela a marché, au point que la domination s'est depuis inversée en faveur de FIFA... Trop fou.

Vous savez que j'aime bien parler de l'immersion (j'ai du y consacrer quelques articles déjà) et au de-là de facteurs aussi divers que le scénario, les graphismes, le doublage, l'interface de contrôle aussi est d'une importance capitale. En fait, il est même le tout premier obstacle que doit surmonter un développeur s'il souhaite qu'un joueur découvrant son jeu puisse le comprendre, s'en imprégner, puis l'intégrer.

Jusqu'à oublier qu'il tient une manette, et ne plus faire qu'un avec le héros à l'écran.