Le Jeu vidéo, c'est qui ? C'est quoi ? Certains disent que c'est le refuge cathartique d'une bande d'adolescents sociopathes qui cherchent tant bien que mal à échapper à une réalité malheureusement médiocre. D'autres évoquent l'hypothèse qu'il s'agit d'un art. D'autres encore, de l'industrie culturelle la plus prolifique qui soit. Il paraitrait que le jeu vidéo, ça doit forcément être amusant, car ça ne s'appelle pas comme ça pour rien. Mais on dit aussi que le jeu vidéo, c'est l'interaction, et qu'à partir de là on peut s'autoriser à parler de tout sans se limiter au sens premier et benoît de ce terme barbare. Et si on ne savait pas vraiment ce qu'est fondamentalement le jeu vidéo ? Comment le saurions-nous, d'ailleurs, puisque nous n'avons même pas encore commencé à y réfléchir.

Aujourd'hui, alors que la presse papier est en état de mort cérébrale, et que le modèle économique de la presse web l'amène à faire le tapin pour quelques maigres exclusivités, l'amateur du médium vidéoludique se tourne vers le livre traitant de son histoire. Grâce à des gens comme Florent Gorges, ces plumes qui vont sur le terrain pour leurs recherches et qui nous proposent des œuvres d'une importance  pour beaucoup insoupçonnée, nous pouvons poser noir sur blanc la jeune histoire d'une culture déjà vaste. Une tâche irremplaçable dont nos enfants mesureront la portée lorsque des Miyamoto nous auront quittés depuis plusieurs générations.

Aujourd'hui donc, je peux en apprendre plus sur les jeux, les gens qui les ont créés, et les machines qui les ont faites tournés. Que demander de plus ? Tellement plus pourtant...

Même s'il faut bien sûr s'en féliciter, nous sommes malgré tout cantonnés à parler d'Histoire du jeu vidéo et uniquement d'Histoire. Si ici je ne viendrai pas m'étendre plus que de raison sur la presse vidéoludique qui mériterait une attention toute particulière, c'est le discours général que nous portons à ce médium qui m'interpelle.

Si nous passons tant de temps à nous disputer sur l'identité-même du Jeu Vidéo, que ce soit dans les grands média généralistes, ou même en des sphères bien plus réduites ; n'est-ce pas parce que nous n'avons finalement jamais cherché à l'analyser pour savoir ce qu'il était fondamentalement ? Le jeu vidéo regroupe l'œuvre créative, l'industrie qui gravite autour du commerce de ces œuvres, ou la dénomination générale du groupement de ces œuvres en tant que médium. Et le pire, c'est que nous avons conservé ce terme depuis qu'un scientifique américain a eu l'idée géniale de jouer avec un oscilloscope.

Le Cinéma ne s'est pas appelé ainsi à sa naissance. Lui aussi a commencé comme une attraction technologique de fêtes foraines. Des œuvres courtes portées par la tromperie saisissante du mouvement. Une évolution lente, qui a pris le temps d'infuser, non sans heurt, pour donner l'art indiscutable qu'il est aujourd'hui. Et si on accepte du septième art qu'il puisse nous offrir à la fois de véritables merveilles tout comme il peut voir germer des navets sans âme ni morale, la difficulté est tout autre avec le jeu vidéo.

Comme nous ne prenons jamais le temps de parler de fond, nous ne savons pas trop de quoi nous parlons, cultivant chacun de notre côté une définition qui nous corresponde, alimentant cette défiance de plus en plus forte entre les joueurs, la presse et l'industrie.  Mais c'est qui déjà, le joueur ?

La moitié de la population française jouerait régulièrement aux jeux vidéo. Mais cette statistique a-t-elle réellement un sens ? Est-ce qu'on s'est déjà risqué à qualifier de cinéphile toute personne ayant déjà vu un navet roumain à trois euros sur NT1 ? Tu joues, ou tu ne joues pas. Si tu joues, tu es un joueur, et si les joueurs sont des cons, tu es donc con. CQFD.

A noter d'ailleurs que le joueur est dépourvu du suffixe « phile ». Doit-on comprendre par là que le joueur est par définition un passionné, un amateur, et qu'il serait malvenu de grossir le trait ?

Et si certains se proclament comme des Ludophiles, c'est plus par un souci de fond et d'analyse que par pure velléité de différenciation.  Chercher à se différencier de la masse, tout en voulant se faire accepter par elle, c'est une notion qui dépasse de loin le cadre vidéoludique, et il serait parfaitement idiot de croire que seuls les joueurs s'échinent à séparer leur catégorie d'individualités par d'autres sous-catégories.

Tout comme nous cherchons à savoir qui nous sommes par ce qu'on aime, nous cherchons également à savoir ce que c'est, cette chose que l'on aime. Ce qu'elle représente, à la fois pour nous, mais dans notre société. Quelles sont les influences des créateurs, quels sont les discours, les propos ou les idéologies véhiculés au sein de ces œuvres ? Dois-je me prendre à ce point la tête alors qu'il ne s'agit finalement « que » de jeu vidéo ? A cette question je répondrai qu'il en est plus que temps, car cette question qu'on retrouve si souvent demeure à elle-seule la plus grosse insulte faite à ce médium. Parfois proférée par ces propres défenseurs.

Nous sommes sans doute dans cette époque charnière qu'a vécue le cinéma dans les années 70 avec l'arrivée de La Nouvelle Vague et du Nouvel Hollywood. Une époque où les gens qui critiquaient autrefois un médium dont ils jugeaient depuis longtemps la valeur galvaudée, ont décidé qu'il était temps de montrer le cinéma comme ils l'entendaient plutôt que d'attendre que l'évolution se fasse d'elle-même ; ce qui amena à mettre les créateurs au premier plan. Un système cyclique qui arrive aujourd'hui à bout de souffle, comme la fin d'une génération qui doit laisser la place à celle qui s'en est nourrie, et qui se trouve elle-aussi avec un besoin d'inédit.

Comme le cinéma avant lui, je suis persuadé que le jeu vidéo a besoin d'un discours de fond pour évoluer. Et la lassitude grandissante de nombre de joueurs que les plus cyniques prennent pour un caprice d'enfants gâtés, est peut-être ce qui peut arriver de mieux à ce médium.

Le jeu vidéo a besoin de courants de pensée. Il a besoin de gens qui pensent qu'il ne suffit pas à un jeu d'être bon techniquement pour être bon fondamentalement ; que les développeurs massacrent de plus en plus souvent la maîtrise du gameflow, nous polluant toujours plus avec leurs écrans d'astuce pour nous apprendre à jouer. Mais nous avons besoin de théoriciens, des gens qui prennent le temps de réfléchir sur ce qu'est ce médium, ce qu'il peut être, ses dualités et ses contradictions.

L'industrie a attendu près de trente ans avant de découvrir la Méthode Cerny qui a théorisé et rationalisé la manière de concevoir le jeu vidéo en tant qu'outil de développement. Trente ans pour analyser la manière la plus intelligente de produire. Nous sommes à peine entré dans l'ère de l'héritage, ce besoin de récolter son passé pour mieux le transmettre aux générations futures. Je veux voir poindre le jour où on ne me dira plus seulement que «Solid Snake est à n'en pas douter une icône du jeu vidéo» ou que «Avec sa durée de vie convaincante et ses graphismes toujours bien léchés, ce jeu est encore aujourd'hui un pur plaisir à découvrir».

 

Cela fait plus de vingt ans que je joue aux jeux vidéo, et je ne sais toujours pas ce que c'est finalement. Comme un adolescent en quête d'identité, il est irritable, agaçant, explosif... Il grandit plus vite qu'il ne mûrit, c'est exaspérant. Mais c'est une étape naturelle dont nous avons la responsabilité. Dans ce climat bouillonnant, la plus grossière erreur serait justement de fermer nos gueules, au risque de subir les foudres des privilégiés qui ne veulent vraiment pas nous voir bousculer l'ordre établi. L'immaturité n'est pas de croire que la manière de parler et penser le jeu vidéo doit changer, mais de croire que stagner était une solution...