Au début de l'année 2001, comme beaucoup de joueurs de l'époque j'entrais dans mon kiosque à journaux pour tomber sur les gros titres des magazines spécialisés dans le jeu vidéo. Un titre d'une violence inoubliable, doublé d'un sentiment d'injustice que nous avons vomi des mois durant : Sega arrête la Production de la Dreamcast. Cette période, les possesseurs de Dc s'en souviennent encore avec une boule dans la gorge. Comment une machine aussi généreuse, tournée à ce point vers le jeu et les joueurs... Comment la meilleure console de Sega a-t-elle pu être boudée par le public ? Au-delà de la santé financière catastrophique de Sega et le gouffre financier que représentait le projet Shenmue, il faut se souvenir qu'en 2000, alors que la Dreamcast était sur le marché depuis pas loin de deux ans, la « masse » bavait sur l'Emotion Engine bullshité par Sony pour nous dire « attendez un peu, vous allez voir, notre Playstation 2  va être révolutionnaire ». Et alors que sur Dreamcast nous étions trop peu nombreux à nous éclater sur Jet Set Radio, Shenmue ou autre Skies of Arcadia, Sony offrait au Monde des expériences hallucinantes comme Kessen ou Fantavision. 

A cette époque de transition, alors qu'on sentait dans les cours d'école que finalement on parlait avant tout de l'aura d'un nom plus que de la qualité des jeux ; j'ai détesté Sony. Mais vraiment. J'avais passé des centaines d'heures magiques sur la toute première Playstation, mais en ce début de XXIème siècle, alors que j'entrais en pleine adolescence, Sony et sa Playstation 2 représentaient une menace terrifiante pour mon plaisir de joueur. L'impression maladive de faire partie du « petit groupe qui voit la réalité brute », comme l'équipage du Nebuchadnezzar dans Matrix qui lutte dans l'ombre pour la liberté du troupeau abruti par la tentaculaire corporation. C'était ainsi, je luttais corps et âme, bien naïvement, pour que mes amis pensent avant tout au jeu avant de baver devant cette Marque encore fraîche de son récent succès.


        L'arrêt de production de la Dreamcast fut un coup très dur. Aujourd'hui nous avons de la chance de voir trois constructeurs vendre chacun leur console à plus de 70 Millions d'exemplaires, mais en 2001, encore plus que le symbolique duel Nintendo Vs Sega qui s'arrêtait, on ressentait aussi l'avènement d'une Ere VidéoLudique où la qualité des jeux passait au second plan. Ne nous y trompons pas, si la Playstation 2 est devenue au fil des ans la plateforme que l'on connaît, qui a vu passer tant de pépites, c'est aussi car elle a été couronnée dès son arrivée. Autoproclamée Reine des 128 bits, il était ainsi plus simple d'attirer les exclusivités mythiques qui ont nourri son succès précipité.

Un fait qui alimente également ce sentiment d'injustice face à la Dreamcast, vient de cette période où on pouvait trouver pour une cinquantaine d'euros, des Dreamcast neuves stockées près des gadgets électroniques aux rayons des Gifis et autre enseigne de hard-discount. Durant cette période, nombre sont les joueurs à s'être dit qu'à ce prix ça serait toujours l'occasion de découvrir les « quelques titres » de qualité disponibles sur cette console morte. De là commença le statut presque culte de cette machine, puisque petit à petit une masse de joueurs se rendit compte de la qualité indéniable de la Dreamcast. Elle proposait du jeu, du bon jeu.

Pour moi, cette période fut très partagée, émotionnellement parlant. J'avais fini par me ranger avec la masse sur Playstation 2, perdant peu à peu cette amertume envers ce qu'elle représentait ; et voilà qu'on rouvrait la plaie par ce regain tardif de notoriété. Il y avait d'un côté le sentiment heureux de ne pas avoir été fou, de me sentir d'un coup moins seul face à cette certaine idée de ce qu'est avant tout le jeu vidéo. Mais ça a rajouté un peu d'huile sur le feu de l'injustice, puisque cette période surligna un peu plus cette panurgie montante des joueurs qui sortaient enfin la tête de leur sac de grain pour réaliser qu'ils étaient finalement passés à côté d'une des meilleures consoles de cette génération.

     Il n'est finalement pas anodin de se retourner vers cette période de l'Histoire vidéoludique, car à bien des niveaux on retrouve une similitude des plus inquiétantes sur le sort actuel de la Playstation Vita. L'ironie retiendra que Sony se retrouve dix ans plus tard dans la situation où il avait mis Sega ; et les plus vils diront que ce n'est qu'un juste retour de bâton.

Il y a cependant, à mon humble avis, une grande différence. Si autrefois l'arrogance de Sony a alimenté chez les joueurs cette idée qu'il valait mieux attendre les mauvais jeux d'une console hors de prix plutôt que de s'éclater sur les pépites d'une machine plus abordable ; aujourd'hui le problème vient plus de l'importance mal venue de la toile et du web 2.0. Une panurgie virtuelle presque inconsciente, qui sacrifie le jeu vidéo au profit d'une sorte de cynisme généralisé servant à se détacher d'une masse, pour finalement en créer une nouvelle qui ne serait pas meilleure, loin de là. 

Il est assez terrifiant de voir ponctuellement à quel point l'orientation libertaire d'internet force nombre d'internautes à se ranger derrière une idée ou une philosophie qui n'est pas forcément la leur, par simple besoin d'appartenance à un groupe. Pour le jeu vidéo c'est sensiblement équivalent ; les joueurs préférant suivre un mouvement plutôt que leurs propres goûts et leur simple sensibilité d'individu. Mais attention, ce sentiment se retrouve également dans le discours de la presse vidéoludique, pour des raisons certes plus complexes qui mériteraient qu'on s'y intéresse plus longuement.  On pourrait évoquer la gloriole d'une presse complaisante qui dira d'un Call of Duty qu'il sacrifie toute velléité ludique sur l'autel du grand spectacle assumé , lorsqu'un joueur qui dans certains cas n'a pas l'expérience du dit-jeu, se contentera d'un simple « c'est de la merde » particulièrement gratuit.

J'expose évidemment les extrêmes car il me semble primordial de mettre de l'eau dans mon vin avant d'étaler ce qui va suivre. Les louanges aveugles et les piques gratuits ne m'intéressent pas ; ces discussions de comptoir demeurant une diversion face au véritable sujet. Ce cercle vicieux entre des joueurs craignant un mauvais investissement, et une presse communicante se trouvant par miracle une âme d'analyste financier, clamant chaque semaine ses craintes concernant la Playstation Vita, entraînant de ce fait une accentuation de la crainte des joueurs hésitants, et ainsi de suite...

Si je ne remets absolument pas en question le fait de relayer les chiffres de vente hardware et software du marché ; je suis en revanche beaucoup plus sceptique face au discours qui en ressort et qui finit par transparaître chez certains joueurs comme un fait avéré et indiscutable.

Nous avons eu premièrement la question du prix. La Playstation Vita est passée du stade de console au prix très agressif, à une console trop onéreuse, et ce sans que ce prix se voit modifié. La raison, les baisses successives de la Playstation 3 et de la Nintendo 3DS. On est donc dans la psychologie la plus primaire, à savoir comparer son chibre à celui du voisin. Alors que la plupart des intéressés auraient dépensé avec la bave aux lèvres 250€ pour la Vita en Day One ; d'un coup ce prix se voit trop élevé. Premier frein.

Il y a également l'importante question des jeux. « Il n'y a pas assez de jeux sur Vita ». Effectivement, cet argument est celui qui actuellement ressort le plus. Pourquoi ? Parce que les joueurs ne remettent pas (et finalement ne l'ont jamais fait) en question les qualités intrinsèques de la machine, et le syndrome du prix élevé s'atténue avec force de promotions de la part de Sony. Donc, le nouveau cheval de bataille est qu'il n'y a pas de jeux. Propos alimenté par la presse bien entendu, et qui s'avère un peu douteux lorsqu'on nous raconta à l'E3 2012 que c'était mort quand, entre autres, un certain Sine Mora était jouable sur le showfloor...

       Il me parait inutile d'étaler ici la ludothèque détaillée de la Playstation Vita ; ce n'est pas une liste obscure qui serait étonnement passée inaperçue.  Je vais me contenter de développer une pensée assez simple.

La Playstation Vita s'étale sur plusieurs fronts à la fois. Si on peut s'accorder à dire qu'elle n'en domine aucun à l'heure actuelle, il convient aussi de prendre un peu de recul et réaliser que mises bout à bout, ces différentes offres en forment une seule, variée et généreuse, qui représentait en d'autres temps la recette parfaite d'une console de jeux qui plait à tous les publics. Des gros titres comme Uncharted ou Gravity Rush, aux mid-games comme Sine Mora ou Sound Shape, en passant par du snack gaming free2play comme Ecolibrium ou Montezuma... Sans oublier bien sûr toute la ludothèque PSP qui se voit offrir le confort d'un second stick pour une véritable renaissance, ou même la  gamme Psone Classic.. Plus que l'idée très fédératrice et un brin utopiste de croire que la Playstation Vita offre une proposition adaptée à tous les joueurs, elle met aussi en exergue le fait qu'en tant que ludophile, je ne me consacre pas qu'à un seul pan du médium, et qu'avoir cette pluralité d'offres et de gameplays dans une seule bécane, c'est une luxe que j'ai longtemps cru impossible et qui trouve une réalité dans cette Vita mal aimée.

Si j'ai bien sûr cité ci-dessus les gros titres les plus connus en terme d'exclusivité, n'oublions pas les jeux d'éditeurs tiers qu'on peut retrouver aussi sur console de salon. On me renverra certainement au visage cette idée parisianiste que le jeu portable ne doit pas être du jeu de salon dans ta main, mais doit plutôt s'adapter à nos habitudes de joueur nomade... A comprendre par là qu'un jeu portable doit s'adapter à un trajet de bus ou de métro.

C'est oublier un peu hâtivement ce qui fit le succès de la Gameboy, à savoir l'émancipation des jeunes face à la télévision familiale. Tout comme on se souviendra, émus, de la Turbo GT qui nous permettait de jouer à nos jeux PC-Engine sur portable sans passer une nouvelle fois à la caisse. Ce système est d'ailleurs repris sur Playstation Vita avec le fameux Cross Buy qui permet d'acheter un titre à la fois sur Playstation 3 et Vita, pour le prix du jeu PS3. Tu le crois ça ?

De plus, si les jeunes possesseurs de la Gameboy sont aujourd'hui devenus adultes, voir père de famille ; il ne faut pas oublier que « le jeu de salon dans ta main » est une proposition salvatrice pour le père qui peut se lancer dans une expérience de jeu classique sans pour autant vampiriser le poste. C'est d'ailleurs un argument marketté par Nintendo vis-à-vis du Gamepad de la Wiiu, qui pour le coup trouve un écho complice là où la Vita se voit là opposer une fin de non recevoir. Curieux.

C'est d'autant plus difficile de répondre encore et toujours à cette idée d'une machine sans jeu, quand ces mêmes détracteurs vont se ruer sur la Wiiu qui sort avec une ludothèque malheureusement encore mince. On en revient finalement à cet effet de hype internet, où on s'extasie du nouveau sujet à la mode avec autant de précipitation qu'on s'en séparera quand le Ramdam se sera essoufflé. Car ne nous voilons pas la face, combien ont acheté la Vita sur un coup de tête pour se vanter d'avoir le petit bijou technologique à la mode, puis l'ont rapidement refourguée pour se prendre un Ipad 3... Ce phénomène a également une part de responsabilité dans le désamour conditionné pour la Vita. 

 

     J'ai finalement autant de mal à trouver l'argument d'or en faveur de cette Playstation Vita, que j'en avais à l'époque de la Dreamcast. Pourquoi ? Parce qu'en tant que possesseur, nourri d'une expérience prolongée avec cette console, je n'arrive tout simplement pas à comprendre pourquoi nous ne sommes pas plus nombreux dans ce cas. Alors qu'en 2000 la Playstation 2 fut autoproclamée vainqueure d'une génération avant la moindre confrontation ; voilà que nous reproduisons le schéma parfaitement inverse sur la Playstation Vita.

Je n'ai aucune leçon à donner, je ne suis pas là pour vous dire comment dépenser votre argent. J'ai juste envie de relayer le message d'un jeune garçon qui se sentit dégoûté dans un kiosque à journaux en janvier 2001...

Arrêtez de vous demander quel est le truc à la mode, ne cherchez pas à brouter dans la même direction que le reste du troupeau si finalement le foin qu'on vous propose n'est pas à votre goût. Pour la même raison qu'il est dangereux de tous crier au génie face à un succès marketté en tant que tel sans qu'aucune critique ne soit permise, il serait dramatique que nous condamnions une machine à ce point dirigée vers les joueurs, quand nous râlons jour après jour contre la fin d'une époque et d'un médium qui nous file entre les doigts.

Moi qui achetai la PSP le premier jour, j'ai hurlé à la mort des développeurs qui nous faisaient émuler un second stick via les boutons de la machine. Un désespoir  immense tant la PSP était la reine de la 2D ; et j'ai eu autant de chagrin à la délaisser que j'ai pris du plaisir à la transformer en ma Megadrive portable.

Moi qui fus donc biaisé dans ma vision de joueur sur la PSP, je n'ai pas foncé sur la Vita. J'ai attendu, j'ai regardé, j'ai essayé, et au final, j'ai pensé avant tout à mes envies de joueur plutôt qu'à cet avis qu'on veut nous imposer comme étant général. A croire que nous sommes revenus à la belle époque des Salons de Cigare où une pseudo élite se masturbe sur sa vision étriquée du monde dans cette petite pièce enfumée, un Brandy à la main et le cigare au bec.

Malgré mes réticences de départ, j'ai découvert dans cette Playstation Vita, la première de l'ère post-Kutaragi, l'une des machines les plus complètes de ma carrière de joueur, et ce seulement pour sa première année.

Elle possède plus de jeux intéressants que je n'ai d'argent dans ma poche ; alors quand on me dit qu'il n'y a pas assez de jeux dessus qui valent le coup, soit vous êtes blindés de caillasses, soit vous vous réfugiez derrière ce chant de la masse pour vous protéger d'une terrifiante réalité : Même si c'est le grand méchant Sony, même si on ne cesse de vous répéter que cette console est morte-née, elle vous fait envie parce qu'elle ne se fout pas du joueur, et ceux qui ont eu l'audace de franchir le pas semblent prendre un pied terrible dessus.

 

      Il y a un peu plus de dix ans, j'ai vécu l'injustice d'une console remarquable qui succomba face à la puissance évocatrice d'un nom. Il y a dix ans nous avons mis le jeu vidéo au second plan derrière une marque. Ce fut une erreur, et si aujourd'hui la Dreamcast a ce statut de console culte, il ne faut pas oublier qu'elle représente notre propre faiblesse face à l'avis de masse.

Arrêtez de vous dire « je me laisserai peut être tenter si... quand... à condition.. », pensez d'abord à votre envie de joueur, au Jeu Vidéo que vous aimez, et lancez vous. A trop attendre de suivre le mouvement, il sera trop tard, et l'échec injuste de la Playstation Vita sera la démonstration cruelle que nous n'avons rien retenu de la fin de la Dreamcast. Et quand vous l'achèterez pour une bouchée de pain, seulement pour voir ce qu'elle avait dans le ventre au final, on se retrouvera avec la même mélancolie qu'à l'époque de la Dreamcast.

Le regret d'avoir passé trop de temps à râler contre une vision de l'industrie qui ne nous convient pas, alors que nous aurions pu défendre notre voix en militant pour cette proposition plurielle et généreuse du jeu vidéo.

Je n'ai aucune affection pour Sony, comme je me fiche de Microsoft et de Nintendo. Depuis la mort de Sega je ne défends plus aucune bannière, si ce n'est celle du jeu. Je retrouve tant de similitudes entre la Playstation Vita et la Dreamcast, qu'il m'a paru important de partager ce cri du cœur, avant qu'il ne devienne véritablement un cri d'alarme. Je n'ai même pas senti le besoin de mettre en avant toutes les fonctionnalités annexes de la Vita qui en font une petite tablette à part entière. J'ai voulu me concentrer sur notre propre incohérence, en tant que joueurs. Plus que jamais, nos choix de consommateurs représentent un acte militant, et chaque voix compte. Alors, s'il vous plait, arrêtez de vous dire que votre vote ne compte pas face à la masse, car c'est faux. La Playstation Vita, présumée coupable, mérite un jugement équitable, qu'il nous appartient à nous, joueurs, d'apporter.