Je me doute bien que j'y vais fort avec un titre pareil, j'en vois déjà se sentir aggressé, violenté, brimé, que sais-je encore. Alors afin de calmer les ardeurs des uns et de titiller la curiosité des autres, je vais orienter ce billet sur mon propre avis, ma propre expérience, en essayant parfois de me donner des atours et des affinités qui ne sont finalement pas les miennes. Je vais donc me lancer dans un billet tentant de comprendre, d'analyser et de percer le mystère derrière cette mauvaise réputation du Quick Time Event. Je vais m'intéresser à la raison qui pousse nombre de joueurs à rejeter ces actions contextuelles, et à me poser cette question : Qu'est ce qui, aujourd'hui, relève du QTE? 


Lorsqu'on évoque le Quick Time Event, on parle souvent de deux jeux : Dragon's Lair et Shenmue (même si on pourrait rajouter la borne The Driver des années 70). L'un pour avoir basé son jeu sur ce principe, et l'autre pour lui avoir donné un nom et un mécanisme précis. Je n'ai malheureusement jamais joué à Dragon's Lair, où finalement il nous fallait "choisir" une action rapidement pour passer au prochain tableau et éviter une mort atroce. Dans ce très vieux jeu d'arcade que ne renierait pas La Caz' Retro, l'indication de l'action à effectuer se faisait par une surbrillance de la direction à prendre ou de l'objet avec lequel interagir. Effectivement, une fois que le concept est intégré, le jeu devient en fin de compte un film dont on ne serait pas le héros, mais plutôt le projectionniste qui doit lancer les bobines de film au bon moment sinon ça saute. 

Pour Shenmue, les QTE étaient présents dans des phases bien spécifiques, sortes de cinématiques dans laquelle s'affichaient les icones de plusieurs touches que l'on devait presser le plus rapidement possible. On pouvait rater un ou deux QTE dans une même scène, mais si nous rations toute la phase, elle se relançait jusqu'à ce qu'on réussisse. A l'époque c'était nouveau pour moi, et ça mettait un piquant énorme à ces cinématiques, puisqu'à chaque nouvelle cinématique on ne devait plus poser la manette sur nos genoux pour passer en mode spectateur. Et oui ça peut parraitre con, mais avant qu'on découvre ces Quick Time Event, quand on avait une cinématique, bah à force on posait la manette et on regardait comme si on matait un film. Mais là, pour le coup, la première fois qu'on voit la touche A s'afficher à l'écran et qu'on a une seconde pour appuyer dessus, ça secoue ! Et puis ils n'étaient pas présents que pour ces scènes là, il y avait également ce mini jeu dans la salle d'arcade, sorte de triple punching-ball dans lequel il fallait frapper dans le bon timing. C'était nouveau, nerveux, souvent stressant : c'était frais. Et puis surtout ce n'était qu'une feature de Shenmue, ça n'a jamais été que ça, loin de là. 

Et le fait que certains ont pu dire que Shenmue était "un Dragon's Lair déguisé", ou ont colporté l'idée que Shenmue n'était constitué que de Quick Time Event, c'est déjà rentrer dans le fond du problème. Déjà à l'époque, certains joueurs rejetaient cette nouvelle interaction, car ils la trouvaient antinomique avec la notion de Gameplay. Pour eux, appuyer sur une touche pendant une cinématique, ce n'est pas jouer. Alors oui, effectivement, appuyer sur une touche quand celle-ci s'affiche sur mon écran, ce n'est pas vraiment d'un haut niveau d'interaction. C'est un peu comme le fameux "appuyer sur start" de l'écran titre (où, au passage, on peut appuyer sur une autre touche ça marche quand même.). Mais dans le cas de Shenmue, c'était toujours plus interactif que de nous laisser suivre passivement une scène de course poursuite ou une bagarre complexe dans un bar qui aurait été beaucoup moins spectaculaire si elle avait été intégralement jouable. 

Mais quelques années avant Shenmue, sur Sega Saturn, je me souviens d'un jeu qui utilisait ces mêmes techniques : Die Hard Arcade. Un beat' them up 3D dans lequel, entre deux niveaux, on assistait à une scène où nos héros couraient dans les couloirs, et à un embranchement, un ennemi apparaissait et nous devions, tout comme dans Shenmue, appuyer très rapidement sur la touche indiquée sinon nous devions nous battre contre ces ennemis. Ces scènes étaient répétitives, sans aucune mise en scène, et pourtant à l'époque on n'en a pas fait tout un foin. C'est comme bien souvent, lorsqu'un jeu est populaire et mis sur le devant de la scène, que certains deviennent plus éxigeants, plus critiques. Un petit traitement de faveur qui n'a pas empêché le jeu de Yu Suzuki de s'imposer comme un jeu culte et fondamentalement en avance sur son temps. Shenmue est un jeu contemplatif, et également très cinématique. Les Séquences purement cinématographiques épousent dans une harmonie prodigieuse l'abandon du joueur dans cette "éloge de la fadeur" comme le dit si bien Poisan. Et entre ces deux chemins, se trouvaient ces scènes entre cinématiques et interaction, où notre relative sérénité était secouée par une action nerveuse nécessitant des réflexes dont on ne se servait pas dans l'aventure. 

Et depuis ce titre, les QTE se sont installés sur notre horizon vidéoludique, sur de nombreux titres et genres différents. Resident Evil, Tomb Raider, God of War, Battlefield... On en voit partout, et la plupart du temps ils ne sont jamais vraiment bien vus de la part des joueurs. Et à force j'ai essayé de m'expliquer ce refus du Quick Time Event, ce désamour. 

Afin d'illustrer mon propre questionnement, j'ai envie de comparer deux jeux qui n'ont strictement rien à voir, sauf une chose. Mortal Kombat et God of War. Dans ces deux jeux il y a une chose qui les réunit, outre la violence graphique, c'est le finish. L'un comme l'autre proposent des finishs, avec Les fatality de MK ou l'execution sanglante d'un Boss dans GoW. Dans les deux cas, on doit executer une série de boutons spécifiques afin d'assister à la mort on ne peut plus gore de notre ennemi. Dans le fond, c'est la même chose, mais dans la forme... Là où God of War intègre ces boutons à l'image pour conserver sa mise en scène et impliquer le joueur dans le mouvement; Mortal Kombat demande au joueur de mémoriser cette série de touches à rentrer rapidement. Visiblement, personne ne se dit que les Fatality dans MK sont des QTE.. Pourtant on nous demande d'appuyer rapidement sur une série de boutons pour une utilisation inhabituelle, c'est un peu la définition même d'un QTE... 

Dans le même ordre d'idée, on ressent bien le rejet du QTE dans son utilisation sur les Tomb Raider. Si on compare Tomb Raider Legend à Underworld, on remarque que les scènes de QTE ont laissé place à des scènes en slowmotion où l'on doit appuyer rapidement sur la touche de saut, de roulade ou orienter une direction, sans que ces manipulations soient indiquées à l'écran. C'est donc exactement la même chose, sans l'affichage des touches. Sommes nous à ce point immatures, nous les joueurs? On pourrait se dire que finalement, les détracteurs du QTE pestent plus contre la rupture des routines de gameplay, ou contre l'utilité toute relative de certaines scènes. Evidemment, comme dans toute chose, il faut savoir trier, et bien entendu on ne peut ranger au même niveau la mort de Poséidon dans GoW3 et la mort du rat dans BF3. Of Course.

Mais de là à ce que le problème soit en partie réglé en masquant les actions à effectuer, tout en les laissant. C'est assez énorme. J'en viens à me demander ce qu'aurais donné Heavy Rain sans indication. Car même en étant assez excentrique dans son utilisation des touches du pad, le jeu de Quantic Dream s'appuie sur beaucoup de routines. La plupart des gestes à effectuer pour une action précise ne changent pas, et même les véritables QTE (pour les scènes de bagarre ou de course poursuite) gardent malgré tout une certaine logique dans le choix des boutons à appuyer. Donc oui, peut être Heavy Rain est il jouable sans indication. Mais est-ce que ça en changerait l'expérience? j'en ai pas l'impression honnêtement. 

C'est en partie pour ce constat que je me demande si ce rejet n'est pas tout simplement psychologique. Si on prend les combats de Batman Arkham City et d'Uncharted 3, les deux nous demandent d'appuyer à temps sur Y ou Triangle pour contrer notre adversaire. Mais dans Batman, cette indication apparait au dessus de la tête de notre ennemi comme un SpiderSens, alors que dans U3, la touche triangle apparait en bas à droite de l'image. Même fond, mais forme différente. On pourrait également citer Assassin's Creed qui nous laisse les indications en haut à gauche de l'image pour nous remémorer l'utilisation des boutons vis à vis des situations que l'on rencontre. Indications que l'ont peut retirer du HUD quand on est un Vrai Bonhomme ! Quelle méthode choisir? Car au final tout ça revient au même : on doit appuyer rapidement sur une touche pour une action contextuelle. 

Et c'est finalement la question qu'il faut se poser, qu'est ce qui relève du QTE ? Car si dans un QTE on nous demande d'appuyer sur X pour sauter, et que X est bel et bien la touche pour sauter dans le jeu, peut on appeler ça une action contextuelle, puisqu'elle ne relève pas du contexte de la scène, mais de tout le jeu? Doit on se focaliser uniquement sur la notion de rapidité d'éxecution? Dans ce cas pourquoi dire qu'Heavy Rain est un QTE géant, alors que la majorité des actions dans le jeu ne requièrent pas la rapidité du joueur? 


Pour certaines personnes les QTE sont un peu comme un micro qui apparait dans un film, ça casse leur immersion. Pour d'autres au contraire ça renforce le sentiment d'être le personnage incarné, en luttant comme lui, en étant au plus près de l'action. Vous avez tous votre propre avis sur les QTE, et je ne suis pas là pour vous en faire changer. Moi tout ce que je fais c'est me poser la question, pourquoi ce rejet. Car si on rejette les QTE, il ne faut pas rejeter simplement les explicites, mais tous les QTE, et là, la ludothèque va fondre comme Neige au Soleil.