Tintin, le célèbre journaliste belge homosexuel, est un énorme souvenir d'enfance pour moi. De la difficulté à digérer ces lignes interminables de texte, ou à découper moi même des cases sans onomatopée afin de ressentir un peu de dynamisme... Tintin était une torture jouissive à lire durant mon enfance. Mais lorsque le dessin animé fut diffusé sur France3, j'ai lâché la BD à tout jamais car cette adaptation télé était extrêmement fidèle, d'une qualité que les enfants d'aujourd'hui ne retrouveront jamais. J'ai beau adorer Les Aventures de Tintin, je n'en suis pas forcément un fanatique, et lorsque j'ai entendu parler pour la première fois d'une nouvelle adaptation cinéma, j'étais plus intéressé par les noms de Spielberg et Jackson que de celui de Tintin. Mais bon ce film je l'attends depuis assez longtemps maintenant, excité de voir les nouvelles avancées en performance capture, et intrigué de voir ce que Steven Spielberg peut faire de la 3D relief. Alors je rentre dans la salle, bouteille d'eau glacée dans la main et lunettes 3D sur le nez, et je m'apprête à retourner en enfance. 

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, c'est mine de rien un projet très important pour l'industrie. C'est un film tourné en Performance Capture et en 3D Relief, réalisé par un des cinq réal' les plus influents de la Planète. Oui. Tout comme Avatar, Tintin est un message de plus sur ce vers quoi le Cinéma peut tendre, sur l'ouverture des possibilités de créations... Evidemment ici on ne parle pas des 5000p & 48fps de The Hobbit ou de Avatar 2 tourné à 60fps, mais on parle de la création pure derrière la Performance Capture, dirigée par un réalisateur fondamentalement classique, qui rejetait depuis toujours le tournage en numérique. Ce qui intéressait Steven Spielberg, c'était l'argentique, qui lui proposait un grain d'image dont il est fou amoureux, et qui lui permettait lors du montage un temps plus important pour réfléchir et décider. C'est donc finalement une des choses qui peut expliquer pourquoi Steven Spielberg s'est lancé dans cette méthode de travail qu'est la Performance Capture. Car une fois ses trentes jours de tournage achevés, il a le temps qu'il veut pour conclure son film comme il l'entend. Là où il prenait du temps entre deux raccords argentiques pour réfléchir sur la pertinence de son montage, il est aujourd'hui libre de revenir sur son montage, que dis-je, sur ses plans, pour trouver la formule la plus personnelle de son film. 

Après on pourrait se demander pourquoi Spielberg adapte Tintin, ce à quoi je répondrai que cette envie est née lorsqu'une critique des Aventuriers de l'Arche Perdue en 1982 a comparé le film de Spielberg avec une célèbre bande dessinée francobelge, amenant un an plus tard Spielberg et Hergé a organiser une rencontre, qui ne se fit malheureusement jamais, puisque le père de Tintin décéda quelques semaines avant. C'est donc avec sa veuve que Spielberg entama les négociations pour les droits d'adaptation. Quid de la Performance Capture? Et bien à la base ce film devait être un tournage live, avec un Milou en images de synthèse. Peter Jackson fit une vidéo à Steven Spielberg pour lui montrer la  capacité de Weta Digital à créer un Milou virtuel de toute beauté. Dans cette vidéo Jackson se mettait lui-même en scène sous les traits du Capitaine Haddock, et sa prestation fut si catastrophique qu'elle convainquit le réalisateur américain de choisir la Performance Capture comme méthode de tournage. C'est donc le coeur plein de ses croustillantes anecdotes que je me lançai dans cette adaptation du Secret de la Licorne. 

Après un long générique d'intro très "Catch me if you can" dans lequel John Williams ne reprend pas le thème culte du dessin animé, le film s'ouvre sur Hergé. Premier hommage d'un créateur à un autre, où le dessinateur à l'accent belge prononcé croque de son illustre trait la figure juvénile et non moins ancestrale du plus célèbre des reporters à houpette. Entouré des dessins originels des personnages connus de la franchise, dont les frères Loiseau qui sont absents de leur album, Tintin se promène dans une brocante ensoleillée, accompagné de son fidèle Milou, lorsqu'il tombe sur une splendide maquette de bateau, La Licorne. Ni une ni deux le jeune homme achète ce beau vaisseau ronflant, lorsque deux hommes l'interpellent pour lui proposer de le lui racheter. Ne souhaitant en aucune façon revendre son bien, Tintin refuse les offres des deux hommes et retourne chez lui; de là commence une aventure extraordinaire qui va emmener Tintin à la recherche d'un somptueux trésor...

Je ne pense pas avoir besoin d'en dire plus sur l'histoire la plus connue des Aventures de Tintin, tant Le Secret de la Licorne & Le Trésor de Rackham Le Rouge forment un dyptique célèbre. Cependant il faut à mon sens rappeler que l'adaptation de Spielberg est avant tout un mélange du Secret de la Licorne et du Crabe aux Pinces d'or, deux titres qui n'ont rien à voir, mais qui sous la plume des scénaristes Joe Cornish et Edgar Wright forment un tout particulièrement homogène et intelligent. Après tout, c'est très judicieux de réunir l'histoire la plus excitante de la série avec l'album de la rencontre entre Tintin et Haddock; et en tant qu'amateur éclairé de la franchise, j'avais peur du résultat. Peur que les Américains proposent un meltingpot indigeste et vaporeux de l'imagerie d'Hergé, plus que de proposer un véritable film. 

Et à ma grande surprise, à ma très agréable surprise, cette réécriture s'avère juste géniale. A vrai dire, elle corrige toutes les tares de l'album pour proposer une aventure à la fois plus épique, mais également plus cohérente, plus intéressante même. La liaison entre les deux albums est d'une justesse hallucinante, à m'en faire réaliser à quel point ce choix transforme une histoire d'enquête assez brève et un peu plate, en récit d'aventure rythmé à la perfection et se tenant de bout en bout ! Une bien belle prouesse. En sus de cette relecture, Spielberg nous offre également un univers fourmillant de références, d'hommages, de personnages de second plan connus de la BD... Le déroulement de ce Tintin là est infiniment plus intéressant que les adaptations "plan par plan" de Snyder sur 300 ou Watchmen. Là c'est un véritable travail de cinéaste, d'artiste. C'est une véritable adaptation, et non un portage. De ce fait on peut se rendre au cinéma en ayant lu la BD et en ayant vu le dessin animé, et se retrouver à suivre cette histoire comme un gosse; la précision des références en plus. 

Techniquement, le film est bluffant pour deux raisons. La première vient de la découverte des images de synthèse, à la fois ultra fidèles aux dessins d'Hergé, tout en étant en même temps un brin plus réalistes. On se retrouve plongé dans l'univers des Aventures de Tintin, avec ces couleurs, ces visages, ces postures... On y est ! Et très vite, l'admiration face à cet univers si bien rendu laisse place à l'abandon total de toute notion technique. On ne regarde plus le film comme un long métrage d'animation, mais comme un film. On arrête vite de dire "c'est trop bien fait" pour simplement se laisser happer par l'aventure; et on suit, indéniablement bluffé, un jeu d'acteurs véritables et profonds. Et plus que la prestation de Jamie Bell qui reste finalement aussi propret que le Tintin d'origine, c'est le travail fou sur Haddock qui impressionne. Spielberg et Andy Serkis ont fait de ce Capitaine Haddock une pépite d'humour, reléguant Milou et les Dupondt au rang de simples apparitions. Petite note sur Gad Elmaleh, crédité dans le générique d'intro, qui passe inaperçu pour une prestation totalement figée. Voilà. 

Tintin est un film de cinéma, c'est un film travaillé et peaufiné du début à la fin. Spielberg joue avec les miroirs, les reflets, comme autant de cases de BD s'appuyant sur une facette de ses personnages. De plus, il ne s'amuse pas à nourrir son récit d'une mise en scène fantasmagorique, et se sert de son expérience de grand réalisateur classique pour fournir une narration visuellement crédible, afin de ne jamais nous détacher de l'histoire pour nous dire "vous voyez ce que j'arrive à faire??". Il se permet dans tout le film une seule fantaisie, un plan séquence de course poursuite totalement dingue, dans lequel il place un hommage à son Indiana Jones et la Dernière Croisade, afin de boucler la boucle des références. Et en effet, en regardant ce Tintin, on ne peut s'empêcher d'y voir ce fameux "Indiana Jones 4" que nous attendions fébrilement, avant que Lucas force son ami de toujours à en faire un pastiche des vieux pulp de SF. Le Secret de la Licorne semble être la résurgence implicite de la frustration de Spielberg de pas avoir pu faire l'Indiana Jones 4 qu'il souhaitait. La rencontre avec Peter Jackson promet un duo de créateurs assez jubilatoire, tant le travail sur Tintin est profond et véritable. Qu'on se le dise, Steven Spielberg et Peter Jackson ont sacrifié toute vélléité mercantile au profit d'une sincérité palpable qui sonne comme une promesse faite il y a trente années à une veuve épleurée. 

Je ne saurais que trop vous conseiller de foncer voir ce film, en 2D, car au final cette 3D relief déçoit. C'est à en conclure que finalement la 3D relief ne trouve pas de deuxième souffle, car un film aussi attendu que Tintin se devait de proposer des plans véritablement immersifs, qui vous sautent à la gueule avec le talent et l'intelligence d'un grand réalisateur. Mais finalement, malgré la quantité de vitres et d'eau (qui sont à mon sens les élements les plus excitants à voir en 3D après les particules), on ne peut se satisfaire de ce qui nous est proposé. Reste à voir The Hobbit et Avatar 2 pour voir une dernière fois si la 3D stéreoscopique vaut qu'on assombrisse notre regard, ou s'il est grand temps de passer à l'autostereoscopie.


Steven Spielberg et Peter Jackson ont réussi à me replonger dans mon enfance. Lorsque le meilleur de Tintin revient avec le Meilleur d'Indiana Jones, c'est toute la magie et l'ambiance du cinéma des années 80 qu'on retrouve avec les outils d'aujourd'hui. Avec sa performance capture exemplaire, sa fidélité artistique, ses améliorations scénaristiques, Spielberg arrive à nous séduire du début à la fin, jusqu'à nous faire oublier une 3D relief bien trop discrète pour être notable. Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne est le premier épisode brillant d'un dyptique prometteur. On rit, on jubile, on voyage, on s'extasie... Que vous soyez petit ou grand, fan ou pas, cette réécriture de Tintin est à voir absolument, c'est un petit bout de magie d'une époque retrouvée auquel on assiste, et qui je l'espère, va inspirer nombre de futurs films. Sapristi!