Faut quand même être taré pour aimer avoir peur, non? On s'imagine un monstre sous le lit, un serpent mortel au fond du drap, on est persuadé qu'un vampire rôde près de la maison par grand vent... Et quand on est trop grand pour ressentir ce genre de peur, on les provoque. On joue à se faire peur, on va faire un peu de spiritisme, on va mater un film d'horreur pour ado, ou lire un bon chair de poule éclairé par la seule lumière de notre lampe de chevet. Et quand on est encore plus grand, on essaye les films gores, les films d'horreur extrême, et puis on se lance dans un jeu d'horreur. Cependant voilà, tout comme il y a des films que je me refuse de voir pour leur violence extrême, dégueulasse, et totalement gratuite; j'ai du mal à apprécier les jeux d'horreur qu'on me propose la plupart du temps, car au final je n'y prends aucun plaisir, et je ne les termine jamais. 


Ma première frayeur dans un jeu c'était sur Street of Rage 2, j'avais cinq ans, et le niveaux brumeux, plein d'aliens et de bruits bizarres, me faisait flipper ma race. J'avais horreur de ce niveau, et si je tardais trop à le passer, je changeais de jeu. Mais bon j'étais très jeune, ça peut se comprendre. Mais vers setp/huit ans, mon frère a eu Resident Evil sur Saturn, et moi, con comme je suis, je le regardais jouer, assis en boule sur le parquet grinçant de sa chambre lumières éteintes. Et en le regardant jouer, je n'avais pas vraiment peur. Je n'avais pas la manette en main, et j'étais totalement passif des actions de mon frère; mais finalement c'est toujours stressant pour celui qui regarde de voir celui qui joue prendre de mauvaises décisions, ça frustre. Finalement le premier jeu d'horreur auquel j'ai joué était Resident Evil 2. Je devais avoir dix ans, et je me sentais un peu plus grand et courageux, prêt à attaquer ce genre de trip, histoire de pas passer pour une nouille dans la cours de récré. Et à cette époque, je n'ai pas terminé le jeu. J'ai joué aussi longtemps que j'ai pu, jusqu'à un couloir humide rempli d'araignées géantes, là j'ai dit "stop, rien à foutre, moi je retourne sur Final Fantasy". Et durant toute ma jeune adolescence, je me suis dit que finalement je n'étais pas assez mûr pour jouer à ce genre-là, tout simplement. Et donc, chemin faisant, films d'horreur après films d'horreur, spiritisme après spiritisme, je me suis dit que finalement, tout ça n'était qu'un amas de pixels et de lignes de codes, et que ce n'était pas ça qui allait me tuer. 

Et le temps a passé, et en regardant en arrière, je me rends compte que je n'ai pas terminé beaucoup de mes survivals, et si j'analyse bien ces echecs, le problème vient soit d'un jeu à l'ambiance si répulsive qu'elle ne me donne pas envie de retourner sur le jeu, ou bien d'un gameplay fait de frustrations et de privations qui fait qu'au delà de l'ambiance, c'est le dégoût des mécaniques qui me fait arrêter. 

Il y a plusieurs critères qui vont faire qu'un jeu d'horreur de va pas me plaire, tout comme il y a certaines conditions qui vont me faire accrocher à un de ces jeux. Pour moi ce qui me fait rester dans un jeu d'horreur, c'est la fascination pour l'univers qu'on me propose, et l'intérêt que je porte à l'histoire qu'on donne à mon personnage. J'entends par là que pour me captiver, il faut m'attirer vers une histoire glauque, sombre, voir malsaine. Il faut savoir donner envie au joueur de se plonger dans cet univers, et ne pas au contraire le harceler et le dégoûter, ça serait le meilleur moyen de lui donner envie de passer à autre chose. Le jeu qui a réussi cette association entre attraction/répulsion, c'est à mon sens Silent Hill 2. L'univers de Silent Hill est fascinant, et l'histoire de Silent Hill 2 est pleine de mélancolie et d'abandon de soit. Et c'est un magnifique cocktail, qui nous fait nous intéresser à la fois à l'univers dans lequel on évolue, mais aussi à notre personnage, notre alter ego, à qui on ne veut finalement que du bien, et qu'on ne veut pas abandonner sur le bord de cette route brumeuse. Et si cette représentation marche si bien dans Silent Hill 2, c'est que Konami n'a pas commis l'erreur de faire des ennemis des obstacles, des contraintes. Ils en ont fait des conclusions, des réponses salvatrices à la tension qui régnait dix minutes auparavant. 

Et c'est là la pierre angulaire du succès d'un jeu d'horreur. L'utilisation des ennemis. Qui sont ils? Que suis-je par rapport à eux? Quelles sont mes possibilités face à cette menace? J'imagine fortement que ces questions sont primordiales dans la conception d'un tel jeu, puisqu'elles vont dicter l'orientation du gameplay. Dans Resident Evil et Dead Space, les développeurs pensent que la peur réside dans le rapport entre le nombre d'ennemis et le nombre de munitions. Trop de munitions pour peu d'ennemis, c'est un obstacle trop simple à franchir, un simple défouloir. Trop d'ennemis pour peu de munitions, c'est une situation terrifiante, qui procure une peur viscérale. NON. Je ne suis pas d'accord. Pour moi, me balancer des vagues incessantes d'ennemis alors que je suis à sec niveau munitions, ce n'est pas une situation de peur, c'est une situation d'enervement, c'est une série d'insultes inhabituelles qui sort de ma bouche comme "putain mais vous me faites vraiment chier avec vos conneries!" ou "okaaayy c'est bon vous m'avez gavé avec vot' gameplay à la con bande de connards..." , insultes qui sont suivies la plupart du temps par l'éjection du jeu hors de ma console. 

   

Ce genre de frustration n'existe pas dans Silent Hill 2 par exemple, car les ennemis ne sont pas placés par hordes, et vous  pouvez les éviter ou les prendre calmement les uns à la suite des autres. Trop facile? Pas assez effrayant? Au contraire. La peur de Silent Hill ne se déclenche pas lors des affrontements, elle se produit dans tout le reste. Et c'est finalement plus de la tension, de l'oppression, qu'une véritable peur. On nous attire dans Silent Hill, on nous donne envie d'en découvrir plus sur ces curieux personnages, et sur l'histoire maccabre de cette ville abandonnée. Et cette atmosphère pesante et à la fois si envoutante, c'est elle qui crée ce sentiment de malaise, cette tension primaire, instinctive, qu'on expurge dans le massacre de nos ennemis, qui deviennent finalement les victimes de notre propre excitation nerveuse.

Et malheureusement, cette réussite d'un jeu qui dépasse de loin le cadre du divertissement ludique, pour atteindre l'essence même de l'émotion interactive, et bien je ne la retrouve pas. Et je peux le comprendre, ça doit être compliqué à reproduire ce parfait équilibre. Prenez Amnesia par exemple, ce jeu terrifiant sur Pc. J'ai joué à Amnesia, j'ai pris du plaisir, un temps, à découvrir ce château, à m'enfoncer dans l'obscurité pour récolter quelques objets epars. Mais lorsque les ennemis approchent, et que la santé mentale de notre personnage diminue, là je lâche l'affaire. Non pas parce que j'avais peur, mais parce que mon personnage avait peur. Et c'est là où je n'accroche plus, c'est quand on pose une distinction entre moi et mon alter ego. On me donne la responsabilité de la peur d'un autre, et à ce moment là le jeu n'est plus un jeu d'horreur, mais un jeu de gestion de l'horreur. Et les apparitions sensées être terrifiantes deviennent juste une problématique face à la jauge de peur de mon personnage. Je peux tout à fait concevoir qu'on puisse chier de trouille devant ce jeu, ça s'y prête très bien je suis d'accord, mais moi je ne peux pas me concentrer sur mes propres craintes, si je dois avant tout faire attention à celle d'un personnage plus peureux que moi.

Si je me penche quelques lignes sur Left4Dead, je trouve que ce jeu tient plus du shoot nerveux et stressant que d'un jeu d'horreur, et finalement c'est sans doute ce qu'il a toujours été. Beaucoup d'ennemis pour beaucoup de munitions, une gestion d'équipe... Bref. C'est intense, prenant, mais de là à faire peur, pas vraiment. En revanche, le mod Zombie de Counter Strike Source, qui est à mon sens l'inspiration principale de Valve sur L4D, faisait bien plus peur, car elle apportait la notion de confiance en un allier qui peut à tout moment devenir un ennemi. Un peu comme dans la cours d'école où nous jouions à l'epervier, apprenant l'air de rien les bases d'une épidémie de zombies.. Ce n'est pas une peur inquiétante, c'est plutôt une peur instinctive face à notre propre survie. Et ça c'était intéressant. 

Et il y a un jeu qui a tenté cette approche, c'est Resident Evil Outbreak, qui malheureusement n'a pas offert tout son potentiel à sa sortie européenne. L'idée d'un Resident Evil en équipe, avec le risque de contamination d'un membre du groupe, le fait de devoir être solidaire, tout en ayant un allier qui peut être responsable de notre mort à tous... C'était une idée géniale. Et j'aurais adoré que Capcom nous en propose un sur cette génération, plutôt que de nous sortir le spin off "Racoon City"... Mais encore une fois, le trip pourrait être totalement massacré si le développeur continue à proposer le rapport munitions/ennemis, d'un autre âge (de mon propre point de vue). 

Car orienter son jeu d'horreur sur cette mécanique, impose également de rythmer l'aventure par l'alternance entre phases de shoot et phases d'exploration. Et là c'est également un équilibre à gérer intelligemment. Si je pense à Alan Wake ou à Dead Space, je trouve que la prépondérance des phases de shoot diminue l'intérêt qu'on porte à l'environnement, aux détails, à l'univers, car on reste finalement sur ses gardes, à attendre la nouvelle vague d'ennemis. Je me vois mal me friter pendant cinq minutes contre des ennemis retors, et qu'une fois cet affrontement passé, l'oublier pour reprendre mon chemin avec toute l'attention nécessaire pour apprécier le périple. Je vais plutôt recharger mon arme, couvrir les coins, me préparer au prochain affrontement. Ce problème vient aussi du fait que l'enchaînement de ces phases est bien trop grossier pour passer inaperçu. Je repense par exemple à F.E.A.R, qui était une succession de : Exploration, Surnaturel, Shoot. Quand on est déjà à la moitié du jeu, on acceuille ce procédé avec la même passion que les secousses régulières d'un rail de chemin de fer ou le ressac de l'océan : ça endort. 

Moi j'attends le jour où on me proposera un jeu qui me fait peur dans ce qu'il me raconte et l'univers qu'il me dépeint, et non pas dans les limitations de son gameplay qui ne font rien d'autre que frustrer et gaver. Le pire c'est que les développeurs se plaignent que 50% des joueurs ne finissent pas leur jeu, et pour améliorer ça, que font ils? Ils changent de méthode pour proposer quelque chose qui marche? Non, ils rajoutent plus de checkpoints, un mode super easy, ou la possibilité de passer un niveau trop chiant... Moi je ne pense pas que le problème viennent de la difficulté du jeu, ou du temps que je peux y consacrer. Le problème vient à mon sens du constat, qu'au bout d'un moment, je n'éprouve aucun plaisir à prendre le padle sur ce jeu, soit parce que son ambiance ne fait que me répulser sans jamais me donner le goût de poursuivre, soit parce que les développeurs ont eu la paresse de concevoir une fin enrichissante en terme de gameplay, et ont cédé aux vagues d'ennemis avec deux clous à leur lancer à la gueule... Donc dans Dead Space 2 par exemple, alors que j'ai été conquis par la mise en scène tout à long du jeu, et par la présentation étendue de l'univers, je vais gueuler comme un connard jusqu'à ce que je le finisse, car son final n'est ni amusant ni terrifiant, il est juste gavant.

Mais à quel jeu d'horreur j'ai envie de jouer en fin de compte? Pourquoi pas un jeu qui explore des phobies différentes que celle, primaire, de mourir dans d'atroces souffrances? Explorer la peur des bêtes sauvages, des fonds marins, du vide, de tout ce qu'on ne contrôle pas finalement. Quand je pense à Siren ou à Project Zero, ce sont des jeux qui exploraient des légendes et des mythes purement nippons, des phobies culturelles ancestrales. Malheureusement en occident on nous propose des peurs tirées du cinéma fantastique et de Science Fiction... Moi j'aimerais me retrouver dans la peau d'une personne parfaitement lambda, dans un environnement où rodent des bêtes sauvages carnivores, sans pour autant qu'elles aient subi une quelconque manipulation génétique. Et du coup je repense à Dino Crisis, qui pourrait revenir dans une refonte de gameplay, avec un environnement plus ouvert, et une I.A des Dinosaures bien plus crédible.. Mais on peut aussi s'imaginer pourchassé par un psychopathe parfaitement humain. Avoir le sentiment d'être la proie d'un être humain armé, nous obligeant à nous terrer, à le contourner, à utiliser l'environnement pour le distancer, etc... On peut aussi s'imaginer un jeu qui jouerait sur notre claustrophobie en nous emprisonnant dans l'épave d'un paquebot qui coule comme ce qu'a tenté de faire Hydrophobia, ou dans tout autre environnement cloisonné dans lequel on nous insuffle l'urgence de sortir. 

Sur cette génération, plus que toute autre, on a eu droit à énormément de zombies, et ce à toutes les sauces. Reflexion suggérée sur une société vérolée ou simple volonté cathartique d'une industrie qui est à l'aube de son évolution narrative? Peu importe, au final le jeu que j'ai entre les mains ne correspond pas à mes attentes personnelles de ce genre. Au final je me dis que le but d'un jeu d'horreur n'est pas de nous faire peur, mais de nous amener à combattre nos peurs. Si j'ai une phobie bien précise, ça serait débile de me faire jouer à un titre qui me lâche au milieu de cette peur-là, sans avoir l'intelligence de me donner les clés pour lutter contre cette peur. Si on me dit "tiens, t'as peur de ça? Et bah hop tu vas en chier des noix de cajou", alors le jeu sort de son postulat pour devenir un challenge, un pari. Mais moi je m'en branle de prouver à une galette que j'ai remporté son défi en finissant le jeu. Moi je veux que mon jeu me fasse cotoyer mes peurs tout en m'excitant et en me récompensant avec INTELLIGENCE. Que je récolte les fruits de cette tension que je me suis infligée volontairement, afin de me donner l'ENVIE de continuer l'expérience. Si au bout d'un moment on s'apperçoit que l'accomplissement ne vaut pas le labeur nécessaire, il ne faut pas s'étonner qu'on se détourne du jeu. 

 

De la même manière qu'il est aujourd'hui rare de tomber sur un jeu fondamentalement drôle, il est aussi compliqué de se satisfaire de la conception de la peur qu'on nous propose actuellement. Les jeux d'horreur me font peur car je ne vois pas l'évolution arriver. J'ai peur qu'ils stagnent dans une dérive guerrière et confondent peur et frustration. Entendre les développeurs de Dead Space déclarer vouloir s'inspirer de Resident Evil 5 après la conclusion ultra bâclée de leur deuxième opus, ça, ça me terrorise. Lorsque Silent Hill 2 est sorti sur Playstation 2, on a du être nombreux à se dire "ah, enfin on arrive à un niveau énorme sur les survivals"... Aujourd'hui, le dernier jeu à m'avoir fait ressentir cette même tension, c'est Limbo.