« Tout artiste est fatalement hanté par le désir de forcer l'accès difficile du monde des démons, et cette pensée, qu'elle soit apparente ou dissimulée, hésite entre la peur et la prière. »

Yasunari Kawabata est né le 14 juin 1899. Ses parents meurent tous deux de la tuberculose, son père en 1901, sa mère en 1902. Kawabata est donc orphelin à 3 ans, et est élevé par ses grands-parents paternels. Ceux-ci tentèrent de pallier le vide affectif traumatisant causé par la disparition de ses parents. La sœur de Kawabata meurt en 1909. Il n'assistera pas à l'enterrement, sa famille voulant éviter de lui infliger une fois encore l'épreuve d'une cérémonie funèbre, mais cela l'empêchera de faire le deuil réel de la jeune fille. Sa grand-mère meurt en septembre de la même année. En 1912, il décide de devenir écrivain et consacre son temps libre à la lecture et à ses premières créations.

Vivant alors seul avec son grand père, l'auteur tisse des liens affectifs très fort avec ce dernier, qui meurt en 1914. Il écrit alors son premier livre Journal de ma seizième année, publié en 1925. Dans ce roman, il conte la longue agonie de son grand père devenu aveugle. Alors, pourquoi toute cette description et ce récit du début de vie de l'auteur? Tout simplement car elle est enssentielle dans la compréhension de son oeuvre, et les thèmes récurents de son écriture.

Kawabata fut le premier écrivain japonais à obtenir le prix Nobel de littérature en 1968 pour son roman Pays de neige . La solitude absolue de ses premières années laissera une marque indélébille dans son oeuvre. L'univers de Kawabata marqué par la mort, le vide et l'absence.

L'ellipse, le flou, l'ambiguïté sont caractéristiques de son écriture. Comme dans beaucoup de romans japonais, le réel et l'irréel se côtoient, l'abondance des images alterne avec les blancs et les silences. L'écriture de Kawabata laisse transparaitre une recherche désespérée de la beauté, empreinte d'une tristesse et d'un désaroi abyssal. Deux ans après le suicide par Hara Kiri de Yukio Mishima (un autre maitre de la littérature japonaise) Kawabata se suicide à son tour, après un long combat métaphysique contre la mort.

Les belles endormies (Nemureru bijo en japonais) à été écrit en 1960. Et c'est un des romans les plus troublant de son oeuvre. Voici les synopsis:

Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu'il franchit le seuil des Belles Endormies? Ce roman décrit la quête des viellards en mal de plaisir. Dans une mystérieuse demeure, ils viennet passer une nuit aux cotés d'adolescentes endormies sous l'effet de puissants narcotiques. Pour Eguchi, ces coirées passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues médiation. Introspection dans la psyché d'un personnage au seuil de la mort, de retour dans la douceur de l'enfance et voué au pardon de ses fautes.

Le thème central du roman, c'est bien évidemment l'alliance entre mort et érotisme, ce qui n'est pas réelement étonnat dans le littérature japonaise. Je vous parlerai bientôt d'un autre roman japonais traitant le même sujet, mais avec beaucoup moins de poésie contemplative.
Le livre comporte 5 chapitres, qui sont autant de nuits passées par Eguchi dans l'établissement. Préalablement à son accès à la chambre, on assiste à la cérémonie du thé, longuement décrite. Je suis passé à coté de ce pan de l'oeuvre, car c'est une pratique de la culture japonaise que je ne connais pas bien.
Le bordel n'est pas un lieu de débauche, mais un lieu de méditation. Les jeunes filles sont vierges, elles ne se reveilleront jamais, et il est interdits de leur faire quoique ce soit de sexuel. Kiga, un ami d'Eguchi lui explique au début du roman que les belles endormies sont comme des Bouddhas. Et, en effet, Eguchi se rendra peu à peu compte que toutes ces femmes endormies poussent les vieillards allongés à leur côté qui peuvent les caresser et surtout les admirer à réfléchir sur leur vie, à faire les comptes. Chacune des filles avec lesquelles il va passer une nuit a ses particularités physiques et chacune d'entre elles provoque, à la manière de la madeleine de Proust, des souvenirs.

Ces nuits sont une longue préparation à la mort, une catharsis ultime, un moyen de se mettre au clair une dernière fois avec soi même, avec son passé. Le sommeil de mort dans lequel sont plongées les filles a une triple importance. La mort est un long sommeil et le sommeil dans lequel sont plongées ces filles est une promesse de mort à venir, promesse que les vieillards ne peuvent plus se cacher et qui les invite à réfléchir. Et toute l'oeuvre de Kawabata joue avec le contraste des symboliques, la contradiction entre symbole de la vie et de la mort.

Alors bien sûr le contact avec de jeunes corps abandonnés suscite certains fantasmes. Eguchi rêve furtivement d'étrangler une de ses compagnes, il tente d'en pénétrer une autre et renonce lorsqu'il se rend compte qu'elle est vraiment vierge. L'érotisme est controlé, les descriptions sublimes. Un livre profondémment humain en somme. Un livre que l'on pose en réfléchissant longtemps, très longtemps. Et c'est peut être également l'un plus beaux hymnes à la beauté des femmes.

Terminons cet article par une citation du livre:

« La beauté atteinte par les seins de la femme n'était-elle point la gloire la plus resplendissante de l'évolution de l'humanité ? »