Retrouvez tous mes articles sur : https://www.grorum.com

J’ai lu bien des articles qui parlaient de Bioshock Infinite. Certaines critiques parlent du jeu du mois ou de l’année, d’autres batifolent devant la direction artistique, certains jouissent du scénario et j’en ai même trouvés qui osaient comparer le jeu à d’autres FPS. Bioshock Infinite était attendu par tout le monde et Irrational Games n’avait qu’un défi à relever. Lequel ? Proposer une expérience solo qui se tient, à une époque ou First Person Shooter ne rime plus qu’avec Multijoueurs. Quel poète je fais.

Le reste importe peu et, contrairement à toute la chiasse verbale de la presse spécialisée _dans l’affabulation et les amalgames_, contrairement à tous ces tests de blogueurs au rabais, véritables attachés de presse des temps modernes, contrairement aux anticonformistes qui essaient à tout prix de se frayer un chemin vers la crédibilité webesque, j’atteste, je proclame, j’affirme : seul ce papier est digne de confiance. Vous ne trouverez pas meilleur article sur Bioshock Infinite. Les prochaines lignes s’émasculeront des habituelles branlettes consanguines, il n’y aura pas de glorification facile et aucun sous-entendu malhabile au génie de Ken Levine.

Car Ken Levine est un génie doublé d’un enfoiré, constat simple. Parce qu’il affirme vouloir vendre au plus grand nombre avec des jaquettes passe-partout, parce qu’il sait qu’une héroïne n’est pas un concept souvent vendeur et qu’il fallait un héros standard, digne hériter des années 90′ avec ses gros flingues et ses réflexions de comptoir. Tout ce mépris pour la plèbe, pour nous autres joueurs, cette capacité à répondre systématiquement à toute question sur Twitter avec un recul, une répartie et un humour intestables… Tout ça me rend indubitablement jaloux. J’envie à mort le talent de ce mec, en production comme en communication. Et rien que pour ça, c’est un enfoiré de génie.

PART I : quite Unfinite

Tout d’abord, Bioshock Infinite et ses défauts. Les défauts graphiques dans un premier temps et non, je ne vais pas répéter les propos des autres. La chose à savoir quand on est soi-même développeur, on vit l’expérience de jeu différemment. Ce n’est pas de la vantardise, mais un constat de plus. Développant moi-même mon projet de jeu (ndr : Into The LiGHT), j’utilise UDK, un éditeur emprunt de l’Unreal Engine 3 castré seulement de sa portabilité consoles de salon. Dès lors, les aspérités de Bioshock Infinite me sautent aux yeux, celui-ci fonctionnant avec le même moteur graphique. Commençons par les nombreux problèmes de collision qu’on subit et dont on est témoin durant le jeu : il n’est pas rare de se retrouver bloqué à la sortie d’une ruelle ou d’un petit pont sans raison apparente juste parce que les proxys de collision sont délimités assez grossièrement. C’est un problème récurent des modèles UBX/UCX (des objets invisibles qui englobent les structures visuelles ; il ne servent qu’à gérer les contacts physiques) quand ils se chevauchent ou lorsqu’ils sont mal placés, obstruant un point de passage. Première preuve d’un certain manque de finition dans le titre d’Irrational.

Ensuite viennent les textures et l’éclairage. Un autre soucis mineur récurrent ; on peut apercevoir à plusieurs endroits des coupures nettes dans les sols et les murs. Certains aplats de textures sont mal répétés et on visualise clairement la répétition des motifs, voire carrément les coupures polygonales. Alors pourquoi des coupures sur une surface plane ? C’est très simple. Le moteur UE3 est limité à des textures en 2048 pixels sur les consoles de salon actuelles, ce qui est déjà énorme en soi. Afin de gagner en finesse, la pratique la plus courante revient à découper les sols et les murs d’une même pièce pour y placer plusieurs textures symétriques, qui se répètent sans qu’on le remarque. Dishonored y arrive très bien et même parfois mieux que Bioshock Infinite. Avec ça, on passe parfois dans des endroits où les textures de certains objets (les roses dans la ville, les rouages géants, certaines textures de matelas…) sont carrément grossières, donnant parfois l’impression d’une irrégularité flagrante dans l’attention donnée à la direction artistique, qui jongle avec le grandiose et le médiocre. Heureusement pour nous, ces défauts graphiques sont au final peu nombreux. Mais c’est une autre preuve, un lot de détails en plus qui nous rappelle qu’on est dans un univers en 3D, pas vraiment vivant.

En parlant de vie, justement ! Quelque ahuri dira que le stoïcisme des PNJ dépend du moteur. Que nenni. Développer avec l’UE3, c’est avoir accès au code source et pouvoir développer sa propre IA, modéliser des protagonistes à l’infini et créer de la vie dans un jeu ne dépend que du talent du développeur. Irrational Games passe l’épreuve à moitié. Oui, malgré la qualité au demeurant du personnage d’Elizabeth, pleine de vie, d’expressions, d’animations et modélisée avec  un soin méticuleux, on doit se taper l’armée des clones dans Columbia. Une ville complète constituée de 3 ou 4 habitants différents, dupliqués un peu partout, parfois discutant de qui est l’original entre eux, animés et modélisés à la truelle et figés dans l’espace comme dans le temps. Pénible, surtout en 2013. Et non, ça n’a rien à voir avec l’UE3. Je ne m’avancerai que très peu en attestant que les développeurs ont manqué de ressources, de motivation et de temps ; ils auraient pu modéliser une dizaine de protagonistes en plus, varier coiffures, gestuelles et ajouter des patterns de déplacement aux personnages, chose qu’on connait tous depuis Shenmue 1. Bioshock Infinite n’est pas parfait, que voulez-vous.

PART II : Bio semi-shock

Outre les défauts techniques, les défauts évidents : pas de sauvegarde libre, 2 slots pour les armes, 2 slots pour les toniques, une IA tout juste dans la moyenne des productions actuelles, une difficulté globale castrée par le gameplay avec Elizabeth (personnage god tier, même en mode 1999) et les approximations lors des combats pour s’accrocher aux sky-lines ou devoir s’y reprendre à 3 fois pour activer une fonction avec une pression longue de bouton. Ah, ça va mieux d’un coup. J’ai fait le jeu directement en mode 1999 et croyez-moi, c’est franchement gonflant de mitrailler le bouton pendant 3 secondes en plein combat avec un handy man pour réussir à accrocher un de ces foutus rails. Les latences sont une fois de plus rares, mais elles existent. Et dans ce mode de difficulté, ça peut vite vous coûter cher, littéralement parlant. $i vous voyez ce que je veux dire. Bon, pour faire simple, tous ces problèmes énumérés entrent dans la case Consolisation, l’entubage de gamer PC, en d’autres termes. Il faut vendre aux joueurs de bas étage, les joueurs sur consoles de salon. Ces mêmes joueurs incapables de jouer avec un inventaire complet, perdus dans une plaine à 2 sorties, ces joueurs qui se lamentent d’un jeu quand il n’arrivent pas à tuer un ennemi plus puissant. Le syndrome Diablo, ouais. Aujourd’hui, le joueur médiocre prévaut sur le hardcore gamer ; Monsieur Levine l’a bien compris, comme ses confrères. Il ne faut pas frustrer le joueur, il ne faut pas l’énerver, il faut lui proposer un jeu facile d’accès, qu’il pourra finir sans trop de peine parce qu’il a dépensé du fric pour ça. Mais l’enfoiré cache bien son jeu, derrière cet aspect grand public.

PART III : Bioshock Levinite

Sans spoiler, je peux vous prévenir tout de suite ; Bioshock premier du nom apportait du sang neuf dans ses intrigues, mais Bioshock Infinite réinvente carrément le jeu vidéo dans sa narration. Parfois nerveux avec des combats hyper dynamiques, le jeu s’amuse du joueur et stoppe toute action pour des séquences scénaristiques où il n’y a aucun combat et ça, dès le début du jeu. Mais il ne s’agit pas seulement d’introduire l’histoire, les protagonistes ou les lieux, façon Half Life. Ici, il y a plus qu’une ambiance à vivre, c’est une emprunte. Même les nombreux petits défauts cités plus haut ne suffisent pas à stopper la magie qui opère dans Columbia ; le joueur vit dans le jeu. On est partagé entre notre conscience de joueur et celle de Booker Dewitt, comme si son travail nous concernait, comme s’il importait réellement de ramener la fille, pour que la dette soit effacée. Le transfert et l’identification au personnage. Deux mots qui résument tout le génie de la contraction narrative du jeu. On ne sait pas vraiment comment, mais cette ambiance visuelle, ces tenues vestimentaires, ces musiques redondantes nous renvoient aux réminiscences infinies. Nous n’avons rien vécu de comparable, nous ne sommes pas tous américains, mais ce jeu nous donne l’impression d’être un vrai natif. Les enfants, Bioshock Infinite possède une force majeure, un truc en plus qui vous fait dresser le poil sur l’épiderme, sorte de machin que je cite tout le temps, vociférant ma haine pleine de cyber-postillons : l’identité culturelle. Le jeu en regorge de partout, il s’assume totalement. On ressent toute la fierté de Ken Levine pour sa nation, sa dévotion à son pays mais aussi l’énorme regard critique qu’il dévoile au fil des heures de jeu, narrant les péripéties des peuples, des ethnies, des conflits inter-raciaux avec la finesse qu’un très vulgaire et surestimé Tarantino n’aura jamais, malgré les effusions de sang à l’écran. Et Bioshock Infinite est bien plus puissant qu’un film. Aucun long métrage ne pourra vous mettre dans la peau de cet homme blanc supérieur, celui qui décide sur qui jeter la pomme, de la volonté de puissance en chacun et cette inexplicable notion de divination que seul l’Homme blanc a su modeler au cour des siècles, faisant miroiter le ciel et l’infinité du paradis associé à son idée. C’est ça le génie : savoir opposer les forces et les démences humaines une fois de plus et aller plus loin, beaucoup plus loin que ne l’avait fait Bioshock 1. Et ce n’est pas à la fin qu’on le comprend, mais dès le début du jeu.

Bioshock inondait de son ciel marin, ce paradis sous les mers. Bioshock Infinite dévoile son ciel céleste, ce paradis au-delà des terres. Les deux jeux forment une boucle.

PART IV : Ad vitam æternam

Je suis vide. Ne pensez pas qu’il s’agit là de ma personne, entendez bien. Le vide forme tout et chaque élément dans Bioshock Infinite témoigne du vide qui sépare ce jeu avec les autres jeux. Tous les autres jeux depuis plus d’une décennie. Le jeu ne se contente pas d’innover dans la narration, mais dans le gameplay aussi, alors que seul Bioshock proposait une façon de jouer différente, principe très largement repris depuis. Et paf, Infinite réinvente la mobilité dans les combats grâce aux Sky-lines. Comme un coup de pied au cul des jeux de tir « sur rails », on s’amuse à prendre volontairement ceux-ci pour affronter l’ennemi sous toutes ses formes. A l’instar d’un grand huit, vous naviguez à fond les ballons autour des habitations de Columbia, vous jouant du principe d’horizontalité et de verticalité des combats. Les affrontement gagnent une nouvelle dimension : la vélocité. « Vais-je pouvoir esquiver cette roquette en accélérant sur la sky-line ? Passerai-je assez rapidement sur cette plateforme pour récupérer les munitions dont j’ai besoin dans mon combat ? Il n’est plus question de camper comme un débile, les ennemis viendront vous chercher aussi grâce à cette même sky-line. Le décor entier devient multi-dimensionnel, relayant au bac à sable les gunfights de Bioshock 1 ou Crysis et aux oubliettes tous les autres FPS solo du monde. De plus, non content de créer une nouvelle dimension au gameplay, Irrational Games ajoute un autre élément innovant : Elizabeth.

Avec ce personnage, vous pourrez créer des failles spatio-temporelles et utiliser des armes d’un pan d’existence alternatif au votre. D’un coup d’un seul, tout le gameplay change, car vous n’êtes plus seul dans un FPS solo. Il ne s’agit pourtant pas d’IA bête et méchante, qui vient vous aider pour tuer directement vos opposants. Non. Ici, c’est vous qui contrôlez chaque spot en temps réel, créant ça et là un mur pour vous protéger, une tourelle pour soutenir vos tirs ou un leurre pour détourner l’attention. Rudimentaire et brillant. Brillant parce que ces éléments ajoutent une forme de stratégie très rare, directement héritée du genre Tower Defense. Au final, on joue seul à Bioshock Infinite, mais quand Elizabeth nous accompagne, une présence réelle s’esquisse à travers son gameplay d’aide. Comme beaucoup d’autres personnages d’aide elle vous donnera des soins, des munitions ou de l’argent (ce qui contribue à son aspect perso cracké, sans qui le jeu serait beaucoup plus difficile), mais c’est exactement là qu’est la vie : les probabilités et le chaos qui découlent de cet ajout stratégique. Ce n’est pas le personnage d’Elizabeth qui est vivant, mais sa capacité à créer des failles et son interactivité la rendent vivante aux yeux du joueur ; on a besoin d’elle, on la réclame tout au long du jeu parce qu’elle ajoute à la plus-value du gameplay, et on finit par s’attacher à ce tas de polygones mappés, pas parce qu’elle possède des animations en mocap, non. La vie tient de l’interaction, pas de l’apparence.

Conclusion : portes ouvertes

Des musiques classiques aux chansons modernes, des références historiques aux anachronismes volontaires, Bioshock Infinite surprend et émerveille. Comme si vous étiez sous l’effet d’endorphine des heures durant, l’éclat des situations, le renouvellement des multiples intrigues, l’explosion artistique dont fait preuve le jeu à chaque coin de polygone, tout oeuvre pour émouvoir le joueur qui possède un peu plus de culture que la moyenne, cette même moyenne majoritaire qui joue à COD, GTA et cette infinité de jeux décérébrants réalisés par des développeurs sans envergure, de ces productions volontairement aguichantes, faciles d’accès comme le très récent Tomb Raider, de ces jeux sans gameplay, sans innovation, se copiant les uns les autres, parce qu’il faut faire du chiffre, prétextant toutes les raisons du monde afin d’ajouter un mode multijoueurs, dissimulant au grand jour la médiocrité du contenu de leurs productions. De tous ces jeux qui s’amusent avec nous, je n’admire que le talent des hommes qui savent faire appel à leur identité pour nous parler et nous faire partager leur vision personnelle de l’art vidéo. Bioshock Infinite n’est pas qu’un jeu, c’est le baptême du renouveau, on oublie le média du vulgaire divertissement et on se délecte de la substantifique moelle si on sait se montrer digne. Bioshock Infinite est à la fois un grand film, un grand concert, un grand parc d’attraction et un grand roman. C’est un vrai jeu vidéo.