Dans un univers fait de soldes, de DRM, de pied-de-biche et régit par un Dieu tout puissant que les mortels nomment God Newell, il existe un monde où le temps n'a plus cours, où les Russes ont pris le pouvoir, les ânes volent et où deux équipes de cinq connards s'entre-tuent pour on ne sait quelle raison depuis des lustres. Ce monde de merde, je commence à la connaitre : il se nomme DOTA 2. Sur le papier, il s'agit ni plus ni moins que d'un mélange parfait de tout ce qui ne m'intéresse pas dans le jeu vidéo : match en équipe, free-to-play, multijoueur, gameplay typé RTS, principe immuable, tout y est. Pourtant, cela fait 222 heures que je pète des tours, extermine des "creepset détruit des anciens ; toujours sur la même carte, toujours avec le même plaisir. Un miracle. Je ne pensais même pas être capable de passer autant de temps sur un jeu sans qu'une once de lassitude ne se fasse ressentir. Il m'est bien arrivé quelques fois de passer plus de 150 heures sur un jeu (Morrowind, Oblivion, Skyrim, FF12, Dragon Quest IX...), mais là c'est différent. C'est pour cette raison que je ressors mon journal de bord partiellement bidon et que je m'en vais vous narrer mes aventures dans "Le monde merveilleux de DOTA 2".

H-3 : Cher journal, cela fait maintenant plus de trois heures que je joue à DOTA 2 et j'ai l'impression que tout le monde me déteste. J'essaie de m'intégrer, mais on me considère comme un "NOOB". On veut me "reporter", on scande mon nom en MAJUSCULE ET EN ALPHABET CYRILIQUE. J'ai peur. Heureusement, de gentilles personnes trouvent que je suis un excellent "feeder". Je crois que j'ai trouvé ma vocation : je serais feeder. Pour ce qui est de mon héros, je pense que je vais commencer tout doucement avec l'Invoker. Il a des yeux blancs, c'est trop cool.

H-3.5 : Bon, en fait je n'aime pas trop ce personnage (et mon équipe non plus a priori). Se fier au nombre de compétences actives à gérer n'est pas toujours un bon indicateur de complexité. Mon cerveau n'a pas supporté l'abondance d'informations et je prête serment devant Dieu que je ne retoucherai pas à cette immondice avant 500 heures de jeu. Amen.

H-4 : J'ai décidé de prendre un truc qui ressemble à un gros scorpion. Il est un peu moche, mais ses quatre capacités sont assez claires. Je me démerde pas trop mal avec. Il y a clairement des personnages plus ou moins facile à jouer. Pour l'instant, je ne sais pas trop ce que je fais, ni pourquoi, mais mon nom n'apparaît pas dans le fil de discussion. Je ne me fais pas remarquer et c'est déjà pas mal. A défaut d'être un bon élément, essayons d'être juste moyen et de ne pas jouer les héros. Pourtant, j'ai toujours l'impression qu'à chacune de mes morts, je prends le risque que des gens remontent mon adresse IP, débarquent chez moi et tuent ma famille. Je suis prudent.

H-5 : C'est en faisant le tour des différents héros que je me rends compte que le character design déchire pas mal d'une manière générale. Il y a bien quelques exceptions (Weaver, Shadow Demon, Viper, Medusa...), mais dans 80% des cas, les personnages ont vraiment de la gueule. Pudge ou Skeleton King paraîtront même étrangement familiers aux joueurs de Diablo III. Mais pour ma prochaine partie, j'ai opté pour un Ent-like : le Treant Protector. Je jette alors rapidement un coup d'oeil sur ces symboles qui ornent la fiche de mon personnage : Durable, Initiator, Lane Support et Disabbler. Ok, d'accord. Je m'en fous. Je suis un Ent donc je vais marcher sur des gens. La partie commence et je me pose toujours la même question existentielle : sur quelle lane dois-je aller ? J'en viens alors à espérer que quelqu'un me lance un rassurant : "noob go bot". Oui, je suis votre objet, parlez-moi mal, dites-moi ce que je dois faire, j'aime ça. Je me sens de toute façon incapable d'avoir un quelconque jugement critique sur les choix stratégiques de mon équipe. Bien sûr, il m'arrive parfois d'émettre quelques doutes sur la capacité de mes camarades à jouer décemment - le score de 8-36 et l'absence de tour alliées sur la carte me mettant en général sur la piste - mais je reste humble et je me tais. On ne sait jamais, c'est peut-être moi qui fait de la merde. Je me pose également une autre question : diantre, où est l'âne qui livre des trucs ? Dix minutes de jeu et toujours aucun connard qui daigne en acheter un. C'est mort, moi j'ai pas de thune et j'économise pour que mon arbre ait des bottes. C'est à ce moment qu'un "treant buy fucking courrier" attire mon attention. Il semblerait que cette charmante personne en veuille à mes bourses et compte pour cela me les briser. Hors, cet individu est en réalité dans son bon droit. En effet, selon l'article 741 d'un bouquin imaginaire : "Un joueur de DOTA 2 a le droit d'exprimer librement son mécontentement à l'égard d'un autre joueur - dit "support" - si ce dernier ne prend pas en charge de manière partielle ou complète la gestion financière du courrier (ou coursier en québécois)". Dans ce cas, il peut se fendre d'un laconique "courrier", "up courrier" (pour se qui est de son amélioration volante) ou d'agrémenter le tout d'insultes à destination du joueur fautif. Et pour ceux que ça intéresse : on s'est fait rouler dessus.

DOTA 2, c'est avant tout une histoire de collaboration.

H-10 : Rien ne change, les gens sont toujours méchants. J'essaie pour l'instant de prendre les héros que je maitrise à peu près (Sand King, Razor) pour me consacrer à l'apprentissage des bases. Chaque mort ridicule, chaque erreur est l'occasion de devenir plus fort. Je commence à me rendre compte que l'apparente simplicité du jeu cache en fait un beau merdier. Prenons les objets par exemple. Chaque personnage étant différent (distance, corps-à-corps, bourrin, mage, discret, soutien...) et plus ou moins dépendant de ses équipements, faire son choix parmi la centaine d'objets disponibles peut se révéler assez tendu. Heureusement, le jeu n'est pas une pute et vous propose une liste d'objets recommandés pour chaque héros. Rien ne vous empêche de jouer les durs en piochant vous-même dans la boutique, mais c'est un peu se compliquer la vie pour rien. Du moins pour l'instant...

H-17 : Je commence à organiser ma vie en tranche d'une heure. Une partie équilibrée de DOTA 2 dure généralement 40-60 minutes et rien ne doit venir troubler ce moment de joie et de concentration. Coup de téléphone de mamie, facteur, incendie, décès d'un proche, tsunami, tous ces évènements aussi futiles qu'imprévus attendront. Je ne peux pas quitter une partie, je ne peux pas rester inactif, ne serait-ce qu'une minute. Il y a quatre autres joueurs qui épient chacun de mes mouvements et Valve saura me punir en cas d'abandon prématuré. C'est ma réputation qui en jeu, ma dignité. Mamie attendra, j'ai un ancien à démolir.

H-21 : C'est avec un certain bonheur et une pointe d'innocence que je lance aujourd'hui ma 25ème partie. J'ai cette fois-ci opté pour Chen : un grand black avec un nom de chinois qui chevauche au chien-rhinocéros. Pourquoi pas. Le soucis, c'est qu'un membre de mon équipe s'est immédiatement exclamé  : "Chen go jungle". Pensant d'abord à une punition, je suis tristesse. M'imaginant déjà errer seul, au milieu des arbres, sans trop savoir quoi faire. Ca ne m'enchante guère, mais je suis désormais officiellement l'homme de la jungle. Je fais alors appel à mes capacités intellectuelles sur-évoluées et en déduit donc que mon bonhomme a pour objectif de créer une armée de créatures des bois. J'aime le concept du noir esclavagiste et mets tout mon coeur à l'ouvrage. Soudain, en plein recrutement forcé, j'entends un premier kill résonner au loin. Il s'agit de Гилберт. Ce dernier se fait allégrement pilonner par deux héros. Je suis alors tiraillé entre mon rôle de jungler en chef et celui d'être humain. N'écoutant que mon coeur, je m'en vais prêter main forte à cet homme de l'est. Pour cela, je décide dans un premier temps de mourir dignement sous les coups de mes adversaires. "Chen you noob ! go jungle !". Enculés de Russes...

H-29 : Cela fait maintenant presque trente heures que j'arpente ce monde à la fois hostile et attachant, fascinant et déconcertant. J'ai l'impression que les heures ne sont que des minutes et que je viens à peine de commencer à jouer. J'appartiens toujours à cette sous-catégorie de joueurs qu'on appelle les "noob". Quand je regarde le profil de mes acolytes, rares sont ceux ayant joué moins de 200 heures. La plupart ne joue qu'à DOTA. Comme si le jeu avalait tout ; les heures et le reste. Il faut bien se rendre à l'évidence : DOTA 2 est à la fois passionnant, addictif, profond, mais surtout totalement gratuit. Ce genre de gratuité parfaite (comme pour Path of Exile d'ailleurs) où tout est accessible sans débourser un seul centime. J'ai beau être un passionné du jeu vidéo dans toute sa variété, je sens que je pourrais jouer exclusivement à DOTA pendant les dix prochains mois. Flippant.

H-33 : Ce matin, je me suis réveillé avec le désir de jouer à DOTA 2 comme un grand (et non plus comme un gland). Car si au début, se contenter de taper les méchants se révèle aussi accessible qu'efficace, il arrive un moment où tu passe pour un naze. Car les vrais - ceux que les gens respectent - tapent également les gentils. Enfin pas tout le temps hein, seulement quand ces derniers sont sur le point de casser leur pipe (expression nulle utilisée par les jeunes d'aujourd'hui). On appelle cet acte "deny" (à ne pas confondre avec le deny de grossesse). Vous pouvez deny votre tour et vos creeps pour éviter que l'adversaire ne tue l'unité en question et empoche la thune. Cela peut paraitre tordu, mais en fait non. La deuxième habitude à prendre est d'essayer le plus possible d'achever vous-même les creeps adverses. On appelle ça le "last hit" et ça permet de devenir riche. Sauf que seul certains héros sont "autorisés" à devenir riches pour faire les kikoo sur le champ de bataille (les carry surtout). Oubliez les last hit si vous jouez un support (leur but étant de rendre les autres riches), sauf si vous voulez vous faire insulter bien sûr. Dans ce cas, c'est différent...

H-53 : Aujourd'hui est un grand jour ; enfin je crois. Un joueur a signifié publiquement sur mon profil que j'étais quelqu'un "d'Amical". Impossible de certifier la véracité de cette déclaration, mais il semblerait que ce vote ait une grande valeur. Il est en effet tout à fait commun, en fin de partie, de tomber sur une brochette de joueurs faisant la manche pour un peu de reconnaissance.  "Jé fin, commend me please" peut-on lire sur leur morceau de carton. Mais rassurez-vous, si les gens ne vous aiment pas, ils vous le feront également savoir. Les premières heures de jeu sont en effet l'occasion de bénéficier - sous la demande populaire - d'un petit lot de "report" de derrière les fagots. Pour cela, rien de plus simple : commencez à jouer à DOTA 2. Une fois passée cette première étape, vous avez une chance que quelqu'un déclare : "report (RANDOM PSEUDO NUL)". Les gros mots fusent, vous êtes fâché tout rouge et c'est bien normal. Vous avez alors plusieurs solutions : faire le Suisse et rester neutre, l'insulter copieusement comme tout bon joueur de DOTA ou le dire à tonton Gabe et "report" le malotru. La dernière proposition étant la plus appropriée. Il se peut même que Valve vous remercie un jour pour votre travail de délation en vous signifiant que vous avez participé au bannissement d'un joueur. Encore une victoire de connard !

H-59 : Je sens que je viens de franchir un cap. Je ne me sens plus nul à chier. Après 60 heures de jeu, je maitrise les bases, je sais ce qu'il faut faire ou non, je sais où aller, je me sens même capable de renverser un match si mon équipe me le permet. Je ne sais pas si le matchmaking a fait son boulot ou si c'est moi, mais l'ambiance des matchs est plus agréable, moins délétère (oui, je connais des mots compliqués, t'as vu. J'ai fait un bac L.). J'ai également eu l'occasion de tester pas mal de héros et je me suis très vite rendu compte que toute la richesse du jeu venait de leur singularité, de leur rôle dans la partie et surtout de leur relations avec les autres membres (alliés ou ennemis). Cela peut paraitre con, mais les 104 héros se jouent tous de manière totalement différente. Pas de doublons, de perso inutile, nul ou surpuissant, tous sont viables et surtout intéressant à jouer. Le tout est de trouver leur philosophie, leur spécialité. Tous les personnages en ont une. Certains vont casser les tours, soigner, invoquer, assassiner, sniper, emmerder le monde, taper fort, ralentir, protéger, empoisonner, se cloner, faire de la reconnaissance, voler le mana, voler la vie ; bref il y a autant de manière de jouer à DOTA 2 que de personnages. L'objectif sera donc à long terme de non seulement trouver son/ses héros fétiche, mais aussi de jouer au moins une fois tous les autres. Impossible en effet d'être bon à DOTA si l'on ne sait pas ce dont sont capable tous les autres héros. Vous avez dit chronophage ? Non ? Ah ok, autant pour moi...

H-125 : Je goûte de plus en plus à cette sensation de contribuer à la victoire de mon équipe. Car si un mauvais joueur peut à lui seul saboter une partie, il arrive aussi qu'un bon élément inverse la vapeur et offre des victoires inespérés. Dans DOTA 2, l'impact que vous avez sur le déroulement d'une partie est en effet très grand. Et pour cela, pas besoin de forcément jouer un carry ou un nuker (ceux qui bottent des culs), un bon support ou un bon disabler peut, lui aussi, faire la différence entre une victoire et une défaite. C'est ce côté "bataille à petite échelle" qui permet à DOTA 2 de proposer des matchs relativement imprévisibles et uniques. Vous pouvez mener largement au score et vous faire démonter dans les dix minutes qui suivent ; tout est possible. Je n'ai en fait jamais eu l'impression d'avoir joué deux fois le même match. Un joueur de Tiny autiste qui balance toute son équipe sur nous, un mec qui décore la base d'une centaine de wards, un Riki qui détruit à lui seul la base ennemie en mode furtif, des victoires à 2 contre 5, des parties d'1h20 ou de 20 minutes, des coups de chance, des coups de pute, des joueurs très drôles, des joueurs très cons, impossible de s'ennuyer dans DOTA 2.

H-178 : Mon nouveau métier de vendeur de trucs à 0.06 centimes sur Steam commence à me rapporter un paquet d'oseille. J'ai réussi à récolter une dizaine d'euros en quelque mois et je compte bien dilapider ma fortune dans des clés DOTA. Car si le jeu est d'une gratuité sans faille, il est tout à fait possible d'acheter au prix fort des costumes pour vos héros. Ou dans le cas présent, d'investir dans des clés à 1.79 euros qui ouvriront la chiée de coffres que le jeu m'a gentiment filé en guide de loot. Le but de l'affaire : ouvrir différentes boites au contenu aléatoire et se retrouver avec une merde que vous auriez pu acheter 20 centimes ailleurs ou bien choper en jouant. C'est rare, mais il se peut que le jeu vous file un objet de plus ou moins grande valeur (quelques centimes, quelques euros, quelques dizaine d'euros) en fin de partie. Pour cela, il n'est même pas nécessaire de jouer correctement. Le taux de drop et la qualité du loot étant basé sur le néant le plus total, vous pouvez très bien être la risée de votre équipe et finalement choper un collier de pâtes super rare que vous pourrez revendre 17 euros au premier polonais qui passait par là. DOTA 2 : plus qu'un jeu gratuit, un jeu lucratif.

J'espère que vous aimez la mini-map car vous allez passer 50% (légère exagération détectée) de votre temps à la reluquer.

H-196 : Je me rends finalement compte qu'il est difficile d'être bon lorsqu'on est entouré de branquignoles. Briller dans DOTA 2 dépend autant de vos compétences que de vos coéquipiers. C'est pour cette raison qu'il est compliqué d'obtenir un ratio de victoires/défaites décent (ou alors je suis vraiment nul à chier). Je dois actuellement être à 13 victoires pour 10 défaites. D'une manière générale, l'issue d'une partie se dessine lors des 20 premières minutes. C'est à ce moment qu'une des deux équipes commence à se détacher et que les ganks commencent. Pourtant, tout le monde sait très bien que sur le papier, rien n'est joué. Il est donc fréquent qu'une raclée assurée se transforme en résistance vaine, mais héroïque, de 50 minutes. On sait alors que les chances de l'emporter sont quasi-nulle, mais on serre les fesses. Sur un malentendu, ça peut marcher.

H-217 : J'ai une idée. Et si je publiais une sorte de journal de bord de mes 200 premières heures de jeux sur DOTA 2. Peut-être que cela donnerait envie à certains de s'y mettre et à d'autres de partager leur expérience ? Ouais, en fait non. Je pense que je vais faire un truc plus court, pas trop bourrin et surtout objectif. Les gens aiment l'objectivité. Le ton journalistique, ça fait sérieux. Je vais plutôt faire un test, avec du bla bla, des plus et des moins et puis une note à la fin. Je dirais que "DOTA 2 est un titre riche et passionnant, mais qui demandera néanmoins de nombreuses heures de pratique avant d'être dompté." Je lui collerai un 9/10 et puis voilà. Ouais, ça c'est bien...

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