Voilà deux week-end que je joue non-stop à Far Cry 3. Deux week-end que je bute des tortues et des requins, que je m'enroule des kilomètres de bandages autour du bras et que j'entends des mecs dirent que ça les brule quand ils pissent (le fameux syndrome de la flèche dans le genou). Et voilà que l'aventure prend fin. Pour ceux que ça intéresse, c'est un bon jeu, on trippe, il y a un arc (mais toujours pas de flèche dans le genou), de bonnes sensations de jeu, un système de combat top moumoute, mais aussi quelques accrocs imputables au monde ouvert. Préparez-vous donc à collecter des centaines de trucs inutiles et à accomplir des quêtes secondaires relativement chiantes. Surtout si on les compare aux missions du scénario, autrement plus excitantes. La raison est simple : Ubi Soft a soigné son casting de personnages. Enfin, certains plus que d'autres...

Acteur canadien jusqu'alors cantonné à des rôles mineurs, le voilà propulsé sur le devant de la scène grâce à son interprétation de Vaas. Et au vu du travail fourni et de son implication pour le rôle, c'est plus que mérité. Je vous recommande d'ailleurs chaudement l'interview de Gameblog à ce sujet.

Il faut dire que quand on part sur le thème de la folie, c'est un peu la fête à la saucisse. C'est l'occasion rêvée pour créer des personnalités atypiques et potentiellement flippantes. On se retrouve donc au bout du compte avec une ile entière peuplés de déglingo. Tous ne sont pas fous à lier, mais aucun n'apparaît complètement clean non plus. Le parallèle avec Alice aux Merveilles est donc vite fait ; surtout quand chaque chapitre est ponctué de passages du livre qui rentrent en résonance avec le scénario. Rien de bien subtile donc, mais il faut bien reconnaitre qu'une fois en jeu, la sensation d'incarner un mec lamba qui perd les pédales est fort bien rendue. Car plus qu'un jeu sur la folie, Far Cry 3 pose la question de l'identité. Au départ jeune américain sans âme, Jason n'aura d'autre choix que de devenir quelqu'un d'autre pour sauver ses amis. Mais jusqu'à quel point ? Ce sera à vous de le décider.

A première vue, le docteur Alec Earnhardt est à ranger du côté des méchants. Il revend de la drogue pour Vaas et plane à 15 pieds constamment, mais cela ne vous empêchera pourtant pas de traiter avec lui. Tout est une question point de vue en somme.

Et Vaas dans tout ça ? Pourquoi est-il à mon sens le méchant le plus charismatique que j'ai vu dans un jeu vidéo ? Sachant qu'au départ, c'était pas gagné puisque Ubisoft n'avait tout simplement pas créé le personnage. Ce n'est qu'après l'audition de Michael Mando (un acteur canadien inconnu au bataillon) que le studio décida de créer le personnage, de le foutre sur la jaquette et de lui faire une figurine toute moche dans la version collector. Et ils ne s'y sont pas trompés puisque Vaas est ce que l'on pourrait appeler un character seller. La preuve, j'ai craqué en day one. Chose qui n'arrive qu'une fois par an à peu près. Tout ça pour dire que je plaçais pas mal d'attente sur le bonhomme et que je n'ai pas été déçu. Alors oui, on le voit peu, oui, il aurait mérité mieux qu'un rôle de second couteau, mais bordel ça fait du bien d'être face à un méchant aussi travaillé ! Non pas que le big boss fasse complètement tiep (cette partie de poker épique quoi), mais on sent bien qu'il y a une personnalité derrière et surtout un vrai jeu d'acteur. Vaas est crédible, humain et c'est assez rare dans le jeu vidéo pour que l'on soit sur le cul quand cela arrive.

Bien que Hoyt Volker (le grand méchant du jeu) se fasse quelque peu voler la vedette par Vaas, il n'en demeure pas moins un personnage marquant.

La plupart du temps le méchant est méchant - et à vrai dire on n'en demande pas plus - mais lorsque ce dernier devient attachant c'est qu'il se passe quelque chose de très intéressant. Certes c'est une enflure, il tue, il torture, mais c'est avant tout quelqu'un d'imprévisible. J'ai vécu ses apparitions comme un moment intense où chacune de ses paroles ou réactions semblaient crédibles. Ce n'était pas seulement un modèle 3D qui parle, mais un acteur qui occupe l'espace et vit son personnage. C'est ce genre de performance que j'ai pour l'instant beaucoup de mal à retrouver ailleurs. Ce ne sont pourtant pas les moyens techniques qui manque, mais la plupart du temps ça ne fonctionne pas.

 Qui est Vaas ?

SPOIL

Vaas Montenegro est le bras droit d'un trafiquant d'esclave, mais également le chef des mercenaires de l'île. Voilà pour le topo de base, rien de bien original pour l'instant me direz-vous. Là où cela devient intéressant c'est que c'est aussi le frère de la meuf qui dirige les natifs de l'île (les Rakyats). Cette dernière promet de vous aider à sauver vos amis en faisant de vous le guerrier ultime. Jusque là c'est plutôt sympa, sauf que l'on se rend compte à la fin que la madame a voulu se taper son frère dans le but d'enfanter un mothefucking warrior. Pas de chance, Vaas est faible à ses yeux et bosse désormais pour l'ennemi. Résultat des courses : ce sera vous l'heureux élu. Tuer Vaas constitue pour elle une preuve que vous êtes le guerrier suprême de l'île. De ce fait, si vous acceptez à la fin de la rejoindre et de tuer vos amis, vous pourrez assister à une scène où le monsieur met son zizi dans la madame. Ensuite la madame elle tue le monsieur parce que c'est bon quoi, il a mis la graine donc il sert plus à rien. Voilà pour la soeur...

Selon Vaas, la folie c'est lorsqu'on recommence encore et encore la même chose. Lui n'arrête pas de demander si Jason connait la définition de folie et Jason ne fait que le poursuivre pour tomber dans les mêmes pièges encore et encore. Nous sommes donc techniquement en face de deux cinglés.

 

Vaas, lui, est en quelque sorte le lapin blanc qui va faire plonger Jason Brody dans le trou. Dès le départ, lorsque notre jeune américain va atterrir au mauvais endroit, au mauvais moment et servir de rançon avec ses poteaux, Vaas va s'amuser avec lui. Il décide donc de le laisser filer en lui mettant au cul des mercenaires. Pas de bol, il va réussir à se carapater. Le jeu du chat et de la souris peut commencer. C'est alors qu'une question va progressivement se poser : lequel des deux est le plus fou ? Car plus on avance, plus Jason ressemble à Vaas. Jusqu'au final sous acide où les deux personnages ne font plus qu'un, comme deux facettes d'une même personnalité.

 

Les interprétations over the top (ça spoil sévère quoi)

 

 

Vaas : le sauveur ?

Car oui, on peut débattre sur Vaas et j'ai presque envie de dire que je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Il est en effet assez troublant de voir que chaque rencontre avec Vaas apparait comme une épreuve, un pas de plus vers la création du guerrier parfait. Jason Brody est en effet vu comme l'élu tombé du ciel (littéralement) et chacune de ces épreuves parait presque factice. Vaas ne semble jamais vouloir tuer Jason de façon net et précise. Il le laisse filer dans la forêt et semble toujours l'attacher sommairement, de telle sorte que ce dernier puisse toujours se libérer. De la même manière, n'est-ce pas Vaas qui nous sauve lorsque sa balle vient se loger dans le briquet. Briquet qu'il nous refile lui-même lors de notre deuxième rencontre. Enfin, n'est-il pas étrange, juste avant le duel final, que la "lame" (seringue ?) plantée par Vaas ne nous tue pas ? Rajouter à cela le peu de résistance que ce dernier oppose lors de l'affrontement et même son insistance lorsqu'il s'agit de l'achever et vous obtenez un joyeux bordel. Vaas ne dit-il pas à un moment qu'il est le sauveur de Jason ? Il est celui qui le prévient de ce qui va arriver et qui lui permet finalement de devenir assez fort pour sauver ses amis. Et puis allez, pour se marrer, inversez Vaas et vous tombez à peu de choses près sur le mot "save". Coïncidence ? Il y a des chances ouais...

Lors de cette scène, on apprend que Vaas était autrefois prêt à tout pour sa soeur, mais qu'elle lui a planté un couteau dans le dos. C'est donc bien Citra qui est en partie responsable de l'homme qu'il est devenu. Et le prochain, c'est vous...

 

Vaas : une hallucination ?

Je n'irai pas jusqu'à dire que Vaas n'est que le fruit de l'imagination de Jason (à la Fight Club), mais quand on voit l'importance qu'occupe les hallucinations dans l'histoire, tout est possible. Vaas pourrait n'être que la soif de pouvoir et de puissance refoulée de Jason qui ne demande qu'à être assumée. Le tuer semble être le seul moyen de l'accepter et de ne faire qu'un avec lui. D'ailleurs Vaas balance à un moment : "Tu es moi et je suis toi". Chelou non ? Et puis quand on y pense, c'est tout de même particulier que ce ne soit pas le héros, mais le méchant qui soit sur la jaquette du jeu. A moins que ce ne soit la même chose ? Et d'ailleurs, comme il 3h du mat' et que je vois des signes partout : que fait cette machette plantée dans le sable à l'arrière plan ? N'est ce pas l'arme de base de Jason ? Voilà, ça peut paraitre un brin fumeux, mais c'est une façon de voir les choses.

Sachant que certains voient carrément le jeu entier comme une gigantesque hallucination. L'île, les personnages, tout sortirait de l'esprit de Jason qui s'imagine un monde où il peut devenir celui qu'il désire. Un mec fort qui joue les Indiana Jones et qui sait enfin qui il est. Far Cry 3 : un jeu sur l'addiction ? Plausible. D'autant qu'on passe son temps à boire et s'injecter toute sorte de truc et que l'île est souvent montrée comme un refuge pour le héros, qui sauve ses amis autant qu'il les délaisse. Si on part dans ce délire, la fin peut être interprétée comme le choix entre arrêter le trip et revenir à la réalité ou s'enfoncer tout entier dans ce monde imaginaire et en crever. C'est une vision assez intéressante puisque renvoyant métaphoriquement au jeu vidéo et à sa propension à nous plonger dans un monde qui n'existe pas. Une jolie mise en abîme du joueur en somme. Petit détail important d'ailleurs : l'île du jeu est une îles fictive qui se nomme Rook Island. "Rook" qui signifie escroquer, rouler...

 

On remarque qu'à la 17 et 18ème seconde, Vaas s'éloigne et laisse Jason seul dans son délire.

 

Vaas : un symbole ?

Ce dont je suis quasiment sûr par contre, c'est que Vaas n'est pas mort. Bon déjà, lorsqu'on le tue, il réouvre les yeux, ce qui est un bon signe de non-mort je trouve. Mais au-delà de ça, il apparait évident que le duel contre Vaas ressemble plus à un trip qu'autre chose. Sa mort ne serait donc que simulée et Citra (sa soeur/mante religieuse) en serait peut-être complice ? En tout cas, je ne crois que ce que je vois et pas la moindre trace du cadavre de Vaas à l'horizon. Personne n'en parle, on se réveille je ne sais où et tout cela ressemble pas mal à une grosse hallu. Une grosse hallu qui a néanmoins fait basculer Jason du mauvais côté de la barrière. Vaas est peut-être une ordure, mais vous devenez finalement comme lui : un tueur prêt à toutes les folies pour atteindre son but. C'est à mon sens comme cela que Vaas doit être vu : un méchant qui au final ne l'est pas tant que ça. Pour la simple et bonne raison qu'il sous-entend de nombreuse fois que nous sommes en train de faire une connerie et que tout ce qui nous attend c'est un couteau planté dans le dos. En acceptant sa part de folie, Jason s'engage sur une voie dangereuse qui pourra le faire basculer définitivement vers le mal et la mort. La fin apparait donc comme une ultime vérification. Avez-vous consommé le jeu sans réfléchir, en vous contentant de devenir le plus fort et de tirer sur tout ce qui bouge ? Ou bien avez vous pris conscience du monstre que vous deveniez ? Dans le premier cas, votre seul récompense est de vous taper vite fait Citra et de crever comme une merde, en ayant tout perdu (punition). Dans le cas contraire, vous avez surement réalisé que vous deveniez ce que vous aviez combattu et avez fait le bon choix. Qu'importe, il est clair que le jeu joue sur les apparences et les méchants ne sont pas forcément ceux qu'on croit (Citra, Dennis Rogers, vous-même dans le pire des cas).

Pour aller plus loin : Far Cry 3 : Analyse, déconstruction et cuisterie. Au programme : métaphores, symboliques et reflexions sur le jeu vidéo.

 

Ce n'est pas forcément ce qui saute aux yeux à première vue, mais Far Cry 3 aborde pas mal de thèmes (folie, identité, moral, jeu vidéo...) de manière assez fine. Il est tellement rare que je retienne des répliques, des scènes ou que je me pose des questions sur le sens global d'un jeu que je me voyais mal ne pas en dire quelques mots. Alors, Vaas, nouveau méchant emblématique du jeu vidéo ?