Si je vous dis « soldes », vous me répondez ? "Réduction", ok. Nan, en fait on joue pas à "Mots de Passe" là. Donc si je vous dis "soldes" ? Mais non, il n'y aucunes soldes, c'est pour une expérience. Bon oubliez ce que je viens dire. On va partir sur autre chose. Depuis plusieurs mois, j'ai une petite habitude : j'achète absolument tous les Humble Bundle. C'est un peu comme du vol ou du piratage, mais avec la bonne conscience en prime (j'aide des enfants et tout). J'achète toujours au prix le plus bas Carrefour, ce qui me garantit une réserve de jeux pour les 700 prochaines années à un tarif défiant toute concurrence. Bien sûr, j'ai parfois l'impression d'être un gros crevard, mais tout le monde le fait. Les statistiques sont de mon côté : je ne suis pas plus une pute qu'un autre. Voilà donc plusieurs mois que je n'achète plus aucun jeu sur Steam. Les soldes ? Trop cher. A plus de trois ou quatre euros la demi-douzaine de jeux, ça ne m'intéresse pas. Le PC est devenu au fil des années, le paradis des joueurs patients ou tout simplement radins. Pourquoi payer un jeu plein pot quand on sait qu'il sera bradé dans quelques semaines et pourquoi pas donné dans quelques mois ? Il y a bien sûr un tas de réponses supers cools à cette question, mais force est de constater que je ne suis pas le seul à raisonner de cette manière. Il suffit de voir la tronche des courbes de vente de certains titres indés pour s'en convaincre. C'est un fait : attendre les soldes est devenu un réflexe pour pas mal de joueurs. Reste à savoir si ce nouveau mode de consommation n'a pas un impact négatif sur ceux qui pondent ces jeux ou - plus surprenant - sur ceux qui y jouent.

Je vous rassure, cette problématique qui claque un peu, je ne la dois pas uniquement à mon talent. Il se trouve que je vais parfois sur Gamasutra pour avoir l'air intelligent et bilingue. Puis, quand on ne me regarde plus, je clique sur "traduire cette page" et j'évalue le potentiel à clic de ce qui est écrit. En règle général, c'est pas terrible donc je retourne regarder des GIF rigolos sur Kotaku. Mais il arrive que des évènements de la vie me poussent à prendre mon plus plus beau clavier azerty et à écrire un truc. Par "évènements", j'entends : absence totale d'internet (même pas un FreeWifi ou un spot SFR qui traine). C'est donc armé d'une page web enregistrée et ouverte en mode hors-connexion (ça sert donc à ça) que je m'apprête à vous parler de Jason Rohrer. Jason Rohrer - développeur pas connu du tout de son état - est un fringant jeune homme qui a décidé un jour d'écrire un article intitulé "Why Rampant Sales are Bad for Players". Vous l'aurez deviné, le bonhomme n'est pas trop branché soldes Steam et a bien l'intention nous expliquer pourquoi. Il commence donc par démonter petit à petit le concept de soldes pour finalement nous proposer une alternative. Je dois bien reconnaitre que le bougre avait presque réussi à me convaincre. Puis, un petit tour dans les commentaires suffit à me faire douter (oui, je n'ai aucun esprit critique). Je me suis alors dit qu'il serait judicieux que je passe le bordel à la moulinette et que j'en fasse profiter la France. La France qui ne va pas sur Gamasutra. La France qui n'a pas envie de se taper un article en anglais, "parce que quand même, ils font chier les gens à parler une autre langue que la nôtre".

 

Free to (don't) play ?

Mais j'aimerais d'abord commencer par la fin, histoire d'exposer la situation dans laquelle je me trouve. En ce qui me concerne, les soldes ont clairement modifié mon comportement. Ayant au fil des années entassé tout un tas de jeux dans ma bibliothèque, j'ai aujourd'hui largement de quoi subvenir à mes besoins pour les siècles des siècles, amen. Bref, n'étant pas un acheteur compulsif, je n'ai plus qu'à attendre qu'on me file des jeux à dix centimes en tentant de venir à bout de la cinquantaine de titres qui squattent mon disque dur. Bien entendu, mon cas est assez particulier, mais la question de l'acheteur fou qui saute sur le moindre jeu à -75% pour finalement ne jamais y toucher fait partie intégrante du problème. Le concept de soldes repose lui-même sur un principe très simple : plus le prix est bas, plus l'objet devient attirant. On se retrouve donc avec tout un tas de trucs que l'on aurait jamais acheté en temps normal. C'est la remise qui créée alors l'envie et non pas le produit. Jason Rohrer aborde d'ailleurs brièvement la question dans son article. Concernant ces joueurs "entasseurs" (ou hoarders en anglais), celui-ci écrit : "Ce sont juste des gens qui gaspillent leur argent dans des trucs qu'ils ne désirent pas vraiment et dont ils n'ont pas besoin. Ils feraient mieux de dépenser leur argent dans un jeu vendu au prix fort, mais qui leur fait vraiment envie, plutôt que dans quatre achats impulsifs à -75% destiné à venir gonfler leur bibliothèque." Pour ma part, je ne me sens que moyennement concerné par ces propos, étant donné que j'ai pour principe de jouer plus ou moins longuement à tous les jeux que j'achète, mais je ne pense pas être un représentant de la race humaine tout entière. Je me suis alors demandé s'il était possible d'avoir ne serait-ce qu'une vague preuve qu'il existe bien une frange de joueurs qui achètent, mais ne jouent pas. Il se trouve que oui. Steam permet en effet de connaitre le pourcentage de joueurs qui ont débloqué tel ou tel succès. Il suffit donc de prendre le succès le plus simple à obtenir (cela ne prend que quelques minutes la plupart du temps) et nous voilà en possession du pourcentage de joueurs qui a, pour ainsi dire, lancé le jeu. Bac +2 les enfants.

 

Shut up and take my money !

En règle général, on oscille entre 10 et 20 % de jeux non-joués, mais il suffit de taper dans des titres limite offerts dans les paquets de Chocapic aujourd'hui pour tomber sur des chiffres autrement plus important. En vrac : Binding of Isaac (37%), FEZ (30%), Limbo (52%), Hotline Miami (35%), Psychonauts (55%), Runner 2 (39%), Rock of Ages (38%) et j'en passe. On savait déjà que la majorité des gens ne terminaient pas leurs jeux, mais là c'est le niveau au-dessus. Puis on se dit qu'au final ce n'est pas très important. Achat stupide ou non, ça fait de l'oseille pour le développeur non ? Ces gens n'auraient certainement jamais acheté le jeu de toute manière. Autant prendre l'argent où il y en a ? Ce point de vue qui est le mien n'est évidemment pas celui de Jason Rohrer. Lui remet sur la table cette question insoluble qui revient à chaque fois (comme pour le piratage) : combien de gens achèteraient mon jeu au tarif de base si les soldes/piratage n'existaient pas ? Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse ici. En fait, lui voit tout ça à travers le prisme des joueurs. Si ces derniers achètent des jeux pour ne pas y jouer, ils perdent alors de l'argent (pragmatisme quand tu nous tiens). Ce qui ne fait que confirmer le titre de l'article. Il rajoute ensuite plus bas : "N'achetez pas mon jeu si c'est pour ne pas y jouer. Si vous voulez me donner de l'argent en échange de rien du tout, utilisez le bouton "Faire un don" sur mon site." Jason Rohrer ne veut pas avoir affaire à des joueurs-porte-monnaie, mais des joueurs passionnés. Si on se casse le cul à faire un jeu, ce n'est pas pour l'argent, mais pour que des gens y jouent. C'est en substance, ce que le monsieur nous dit.

 

L'injuste prix

Attaquons-nous maintenant à l'article en lui-même. Pour ce faire, je pense que ça pourrait être pas mal de poser quelques bases qui vont se révéler importantes pour la suite. Premièrement, Jason Rohrer n'est pas connu et ses productions restent pour l'instant assez confidentielles. Deuxièmement, ce dernier indique que pour son précédent jeu, 25% de l'argent récoltée l'a été durant la première semaine de commercialisation (voir le graphique ci-dessus représentant le volume des ventes au fil du temps. Les pics représentants les périodes de soldes). Et enfin troisièmement : toute sa démonstration repose sur le fait que les soldes stigmatisent les premiers acheteurs, les fans. La raison ? Ces derniers achètent un truc plein pot alors même que des soldes sont sûrement déjà dans les tuyaux. En gros, on les prend un peu pour des jambons, on ne les récompense pas assez. "Même en terme économique, l'intérêt de jouer à un jeu à sa sortie ne vaut pas le coût supplémentaire pour la plupart des gens." Pour lui, la solution est toute trouvée : on arrête les soldes et on fixe un prix de sortie très bas. Dans son cas, ce sera 8$. Puis on augmente par palier au fil du temps pour finalement arriver à 16$. Comme ça, les gens informés, les fidèles, les fans sont récompensés et ceux qui auparavant attendaient les soldes (les connards) seront bien obligés de craquer. En partant sur ce schéma, Jason Rohrer espère recréer des pics de ventes (comme pour les soldes) juste avant le passage au pallier supérieur. Les gens sont prévenus, plus de problèmes d'achats à plein tarif deux heures avant des soldes surprises (ça fait toujours chier, c'est sûr) et tout le monde est content. Et puis pour les joueurs qui arrivent à la bourre et qui payent le double du prix, ils pourront bénéficier du retour de tous les autres joueurs et ainsi prendre la température avant de faire monter celle de leur carte bancaire. Tenez, Notch, c'est comme ça qu'il a fait pour Minecraft. Le prix n'a cessé d'augmenter au fil des versions et ça marchouille pas mal son truc je crois. Ok, stop. Je crois qu'il est temps de jouer le pète-couille de service.

 

Et mon Humble avis en Bundle

Sur le papier, c'est sexy comme idée mais j'ai comme un doute là. Déjà, prendre Minecraft (ou Garry's Mod) comme exemple, c'est un peu étrange. Il s'agit là de deux jeux "hors-norme" à mon sens. Minecraft... parce que Minecraft quoi (il est même pas sur Steam en plus) et Garry's Mod parce que le jeu a énormément profité du buzz qu'a suscité de nombreuses vidéos de Youtuber (et puis c'est Valve quoi). Donc déjà non. Prendre ces deux jeux comme exemple est une mauvaise idée. Jason Rohrer (ou un random développeur indépendant si vous voulez) n'est pas Notch ou Valve. Il y a donc de grandes chances que son jeu disparaisse dans les limbes de Steam au bout de quelques mois. Ce qui correspond grosso-merdo au moment où le jeu sera vendu plus cher. Donc adieu rentabilité. Surtout que le bonhomme qualifie lui-même son jeu de "bizarre" (qui ne plait donc pas au plus grand nombre). Je doute donc qu'un prix d'entrée riquiqui suffise à attirer le premier connard venu. A contrario, un encart sur la homepage de Steam au moment des soldes remplira parfaitement son rôle d'aimant à connards. Car bien plus qu'une invention de Satan, les soldes sont surtout bien pratiques lorsqu'il s'agit de mettre un gros coup de projecteur sur la simulation de patin à roulettes en voxel dont tout le monde se branle. Bien sûr que le modèle économique proposé par Jason (c'est mon pote, t'as vu) a un intérêt pour cette population de joueurs qui surveille avec attention les sorties indés, mais ils ne sont pas nombreux les bougres ! Alors si en plus tu ne les fait pas raquer un max, ça risque de devenir un brin casse-gueule ton affaire. L'idée selon laquelle jouer à un jeu à sa sortie n'est pas valable est selon toute vraisemblance fausse puisque selon Jason Rohrer lui-même, 25% de ses revenus viennent justement de ces early adopters. Si le jeu n'en valait pas la chandelle, je doute qu'autant de personnes soient au rendez-vous à chaque fois et depuis si longtemps. En réalité, s'il y a bien un type de joueurs apte à débourser sans compter, c'est bien le fan, le passionné. Le modèle proposé se retrouve également en confrontation avec un truc tout bête : le principe de l'offre et de la demande. Les soldes Steam reposent complètement sur ce concept. Un titre qui se vend bien (je pense à Rogue Legacy là) va rester à un prix stable (oscillant entre les -10/-20%) durant plusieurs semaines/mois et attendre que les ventes baissent pour balancer la sauce (-50/-75%). C'est logique. Je pense aussi que Jason Rohrer omet un paramètre assez important : la qualité du produit. Solder un jeu est souvent le seul moyen de rentabiliser un titre tout juste moyen, voire mauvais. Personne n'a envie de mettre beaucoup d'argent dans quelque chose de juste passable ou même sympa. L'exigence du joueur descend à mesure que la remise augmente. Je ne m'étendrai pas là-dessus, mais le prix que l'on met dans un jeu a forcément un impact sur notre manière de le percevoir.

Pour ma part, je sais très bien que ce qui conditionne mes achats - et la somme que j'y consacre - dépend quasi-exclusivement du temps que j'ai à ma dispostion et non de l'argent qu'on me réclame. Comme le suggère un commentaire, la solution pour récompenser les premiers acheteurs et inciter les autres à craquer le jour J existe depuis un bail. On appelle ça des versions collector ou des éditions spéciales. Appliquer cette tradition à Steam via des avantages ou des bonus (fonds d'écrans, emoticon, chapeaux TF2, cartes à collectionner...) est peut-être une possibilité. Ouais, dis cette manière ça a l'air pourri, mais je vous assure que c'est pas con. D'ailleurs, pour récompenser mes early reader, je vais faire un truc. Le premier qui commente deviendra mon lecteur préféré. Ouais, dis cette manière ça a l'air pourri, mais je vous assure que j'ai déjà utilisé cette tournure de phrase y'a même pas deux lignes.